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La question du nucléaire : un enjeu humain mondial

de Claire Fortin, rencontre avec Jean-Louis Basdevant (1/3)         16 décembre 2011

On parle souvent de la question du nucléaire sous l'angle écologique, scientifique, politique, économique… Autant de facteurs qui comptent mais qui ne doivent pas éclipser la finalité réelle de cette technologie comme de tout progrès scientifique : le bien de l'homme.
Jean-Louis Basdevant, physicien, ancien professeur à l'Ecole Polytechnique et ancien président du département de physique, réinterroge donc le sens du développement de l'énergie nucléaire au regard des événements récents et de l'évolution de nos sociétés.


Jean Louis Basdevant

Jean-Louis Basdevant, vous avez publié, suite à la catastrophe de Fukushima le 11 mars dernier, un ouvrage intitulé Maîtriser le nucléaire : que sait-on et que peut-on faire après Fukushima ?
Cet événement a provoqué un changement de position très clair chez vous par rapport à la question du nucléaire, pourquoi ?

Parce que j'ai vu les véritables dangers d'un accident nucléaire et ses conséquences colossales.
C'est la première fois dans l'histoire du nucléaire occidental qu'il y a fusion complète des cœurs des réacteurs. On est incapable aujourd'hui de mesurer l'ampleur des dégâts pour l'environnement et pour tout un peuple.

Cœur du réacteur de Three Mile Island, aux Etats-Unis, après sa fusion partielle en 1979

Cette fusion des cœurs des réacteurs a été provoquée par une série de dysfonctionnements qui sont survenus à la suite du tsunami. La chaleur des éléments n'est plus refroidie, la température monte à toute vitesse. Se forme ce que l'on appelle un « corium », c'est-à-dire un magma de produits combustibles et de déchets radioactifs, d'une température de 2800° et d'une masse de 75 tonnes. À Fukushima, pour la première fois, ce corium a traversé la cuve du réacteur,  puis les soubassements en béton pour arriver dans le sol et finalement atteindre les nappes phréatiques.

Trois des quatre réacteurs de la centrale de Fukushima ont subi ce phénomène, montrant que la réaction humaine sur laquelle on s'est appuyé plus ou moins consciemment jusque là, à savoir : « on s'en tirera toujours », n'est pas valable : cette fois on ne s'en est pas tiré.
Le césium 137, c'est-à-dire l'élément le plus toxique contenu dans le corium, a une durée de vie de 30 ans ; l'océan a été touché aussi, donc les poissons, donc tout l'écosystème : les conséquences nous dépassent complètement.

Il y a en plus la malhonnêteté des politiques et des industriels. Tepco, la compagnie qui exploite la centrale de Fukushima, a affirmé jusqu'à très récemment que c'était le tsunami, et non le tremblement de terre, qui avait provoqué l'accident. Évidemment, lorsqu'on sait que les 50 réacteurs japonais sont tous situés en zone sismique, c'est une question lourde de conséquences… Un article publié dans le Monde du 8 décembre dernier, en plus de révéler que l'on retrouve du césium dans du lait en poudre pour bébé et que la quantité d'eau contaminée ayant atteint l'océan est près de quatre fois supérieure à ce que l'on pensait, montre que les conclusions de l'enquête menée par la commission gouvernementale japonaise sont loin de rejoindre celles de Tepco. En effet, la cause de l’accident serait bel et bien le tremblement de terre, après lequel est arrivé le tsunami qui a stoppé tout moyen de refroidissement. Les deux phénomènes cumulés sont à l’origine de l’ampleur de la catastrophe.
Les Japonais n'ont pas tellement le choix d'arrêter le nucléaire – et ils ont d'autres sources d'énergie à disposition qu'il leur faudra développer.

Ce qui m'a fait basculer, c'est cela : on a une technologie qu'on ne maîtrise pas du tout. Par la faute des hommes qui ont menti et parce que les outils n'ont pas les normes de sécurité qu'ils devraient avoir, les réacteurs avec lesquels on travaille depuis quarante ans peuvent créer, du jour au lendemain, un immense cimetière autour d'eux. Et Fukushima nous fait prendre conscience de cela.

C'est Tchernobyl qui nous a fait prendre conscience des dangers du nucléaire civil (on pensait jusqu'alors que le seul danger du nucléaire était celui de la bombe et des armes atomiques), mais moi, c'est Fukushima qui me fait prendre conscience du danger des réacteurs actuels. Dans ces conditions, je dis : ou bien on les arrête, ou bien on met le prix pour les mettre aux normes de sécurité convenables. Le réacteur EPR par exemple (images ci-dessous) est bien plus sécurisé que l'immense majorité des réacteurs actuellement en fonctionnement dans le monde, puisqu'il a un système de recueillement du corium en cas d'accident.

 

Source : IRSN

 

Source : 123Savoie

Dans un prochain article, Jean-Louis Basdevant évoquera les enjeux politiques de la question nucléaire en France, notamment dans le contexte de l'élection présidentielle, puis dans un troisième et dernier article, il s'agira de replacer la question du nucléaire sur l'échelle du développement humain mondial.
 

Decouvrez le dernier ouvrage de Jean-Louis Basdevant
Maîtriser le nucléaire : que sait-on et que peut-on faire après Fukushima ?

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