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Sur l’Affaire humaine, Luc Dardenne

Ce mercredi soir à Paris, la Maison de l’Amérique Latine accueillait Luc Dardenne, plus connu « à deux » que seul puisqu’il est l’un des frères Dardenne, réalisateurs belges aux très nombreuses récompenses, à Cannes et ailleurs.
Mais cette fois c’est pour présenter un livre que Luc Dardenne prenait la parole : il vient de publier un essai au Seuil,  Sur l’Affaire humaine.


Luc Dardenne

Une vaste affaire que celle-ci, à laquelle l’auteur se confronte non par souci de théoriser son œuvre cinématographique, mais justement parce qu’elle est à la fois la source et le cœur du cinéma des frères Dardenne. Cet essai trouve en effet son origine dans les notes que Luc a prises en commençant à imaginer les personnages de leur dernier film, Le Gamin au vélo, Grand Prix du Festival de Cannes 2011. Il écrit dans l'introduction : « Prenant ces notes au fil des jours, je fus comme contraint de les relire et de les réécrire, comme si je devais descendre plus profond. Pourquoi cette contrainte ? Vraisemblablement parce que Cyril et Samantha réveillèrent en moi des choses qui accédèrent à une telle intensité que je ne pus plus m'en détourner… ».

Dans ces profondeurs, le cœur du sujet est immédiatement énoncé : « Cette “affaire humaine” s'est révélée être aussi une “affaire de Dieu”, une affaire concernant la naissance de cet Eternel dont la mort nous laisse entre nous, entre êtres humains, entre mortels, qui désormais essayons de vivre sans sa consolation multiséculaire. »

Comme elle est belle et déchirante, cette quête de l'homme contemporain qui porte en lui sa culture sans Dieu en même temps que son désir d'éternité ! Comme elle est belle et déchirante, cette loyauté à vivre qui fait de la mort la mesure de l'existence humaine ! Comme elle est terrible, notre époque qui fait refuser aux plus grands ce qu'entrevoient les yeux écarquillés de leur âme…

L'humanisme athée verrouille tant et si bien l'accès à Dieu qu'il en vient à suggérer de douloureuses contradictions avec lesquelles Luc Dardenne tâche de s'arranger comme il peut :
« Ne puis-je pourtant penser un “infini” généré par l'humain, une transcendance humaine, seulement humaine ? Ne puis-je penser que cet “Infini tombé en moi” appartienne à une chronologie et soit tombé en moi depuis un autre être humain ? »

Cinéaste contemporain, l'auteur porte en son œuvre la culture dans laquelle il a grandi, dans laquelle il travaille, dans laquelle il aime et souffre. Il fait avec ce qu'il a, avec ce qu'il est, sans se faire d'illusion : « Dans cette enquête menée avec les moyens du bord, il y a beaucoup de choses que je n'ai pu éclaircir, sans doute aussi beaucoup de choses plus triviales qu'originales. »
Artiste contemporain, il annonce la mort de Dieu comme il la vit, avec cette loyauté surprenante de chercher pourtant sans relâche l’ultime consolation au drame de vivre. Ne renonce pas à son désir d'absolu. Se cogne, passe par bien des méandres, mais ne renonce pas.
Et c'est justement en cela qu'il transcende, malgré tout, ses propres limites, car c'est bien cette attitude existentielle en soi qui peut rendre « l'affaire humaine » supportable : celle de l'assoiffé.

Luc Dardenne formule dans son livre ces interrogations : « N'y a-t-il pas une joie humaine, si humaine, à être à plusieurs, à se rencontrer, à échanger, à être en relation, à converser ? N'est-ce pas cette joie qui me fait oublier ma mort et me dit que la vie vaut la peine d'être vécue ? ». Je ne sais dans quelle mesure il réalise que la joie que nous éprouvons, nous tous l'écoutant, n'est pas due au fait d' « être à plusieurs, [de] nous rencontrer, [d’] échanger, [d’] être en relation, [de] converser » (ceci n'est qu'une conséquence), mais bel et bien au fait que se tient devant nous un homme qui mendie le sens de sa vie, de la mort, de la souffrance – et que ce sont ces hommes dont nous avons besoin, rien que de cela.

Dernière intervention de l’animateur de la rencontre : « Mais enfin, Luc, tu dis que tu es athée, mais il faudrait que tu le dises plus explicitement, pour qu’après avoir lu ton livre, on puisse encore y croire ! »

Sourire et silence de Luc. Mystère.

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