Home > Sciences > La question du nucléaire sur l’échelle du développement humain mondial

La question du nucléaire sur l’échelle du développement humain mondial

de Claire Fortin, rencontre avec Jean-Louis Basdevant (3/3)         19 décembre 2011

Jean-Louis Basdevant, vous déplacez la question du nucléaire, on l'a vu, des plans politique, économique et scientifique au plan humain comme premier critère de légitimité. Pour vous, ce sont avant tout les questions de sécurité de la population qui sont à prendre en compte. Comment le nucléaire, qui reste une formidable invention technologique, pourrait être pleinement au service de l'homme ?

Dans 200 ans, peut-être… A la fois la science évolue tellement vite que dans 200 ans les questions ne seront plus du tout les mêmes.
Aujourd'hui, à mon sens, il s'agit d’abord de faire des économies dans les pays développés et de donner à tous les peuples un confort de vie comparable. Un Américain consomme deux fois plus d'énergie qu'un Européen. Un Européen, neuf fois plus qu'un Africain (hors Afrique du Sud).

Les deux attitudes à adopter aujourd'hui face à la question du nucléaire fonctionnent l'une avec l'autre et sont les plus réalistes :

  • Il faut faire des économies d'énergie, ce qui montrera qu'on consomme beaucoup trop dans nos pays développés et que l'on n'a absolument pas besoin de tout cela ;
  • Il faut développer des énergies renouvelables et propres.

Dans ce domaine, je suis personnellement assez réservé sur l'éolien : les éoliennes sur terre sont affreuses et celles en mer sont dangereuses.
Il y a aussi le solaire. Je vous donne un exemple : un kit solaire capable d'alimenter un village entier du Sahel coûte mille euros. Pour les gens de là-bas, c'est beaucoup, mais si chacun donne dix euros, c'est faisable, et cela améliore les conditions de vie des gens de façon radicale. Et bien sûr, plus on développe cela, moins cela devient cher – mais évidemment, il faut une volonté politique.
Il y a encore la géothermie, très prometteuse. Au Kenya et en Éthiopie, on a découvert que dans la falaise du Rift, il y a des volcans qui sont juste à la bonne température pour pouvoir mettre des tuyaux et récolter leur chaleur. Il y a ainsi un projet d'installation pour une production de cinq gigawatts, c'est-à-dire l'équivalent de quatre centrales européennes – et dans cette région, c'est une manne.

Je ne crois plus au nucléaire – peut-être dans 200 ans, lorsque les réacteurs de génération 4 à l'hélium seront au point et installés partout. Le projet Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor) travaille sur la fusion thermonucléaire, en s'appuyant sur le phénomène à l'œuvre au cœur du soleil. Peut-être dans 60 ans y aura-t-il des avancées significatives, peut-être que dans un siècle, on pourra mettre ce projet à l'œuvre – mais à quel prix ?
Ce n'est pas raisonnable. Il faut développer ce dont nous disposons.

Source : Blogue Chaudiere.ca

 

J'aimerais croire au nucléaire, et je comprends qu'il y a cinquante ans, des gens y aient cru et se soient enthousiasmés pour cela, c'était fantastique. Imaginez, un gramme d'énergie nucléaire équivaut à une tonne de combustible classique (bois, essence…) !
Mais aujourd'hui, les questions de sécurité, on les voit. On paye cher cet enthousiasme qui les a relégué aux oubliettes, qui n'a considéré que le progrès scientifique et la manne économique que cela représentait. Aujourd'hui, on prend en compte les questions de sécurité et ce faisant, on ne peut plus continuer comme ça.

Le premier ministre japonais l'a reconnu dans son rapport aux Nations-Unies : « [Fukushima] est la pire catastrophe du nucléaire civil. Il faudra plusieurs décennies pour remédier aux conséquences de l'accident. » Et il a refusé de se prononcer sur l'avenir du nucléaire civil au Japon.

Je crois qu'aujourd'hui, le nucléaire est une nécessité temporaire dont on ne peut prévoir l’évolution. Il y aura un creux dans la production d’énergie électronucléaire, y aura-t-il arrêt ou reprise ensuite, personne ne peut le dire. Une reprise vaudrait pour le cas où l'on envisage de continuer notre rythme effréné de consommation : alors oui, on aurait besoin de toujours plus d'énergie. Je crois très sincèrement que c’est la question de fond de la consommation et de la production d’énergie dans le monde, sous toutes ses formes, qu'il faut reconsidérer, avant même la question du nucléaire en elle-même.

 

Jean-Louis Basdevant publiera mi-février la seconde édition de son ouvrage : Maîtriser le nucléaire, que sait-on et que peut-on faire après Fukushima ?, la première édition en étant déjà épuisée. Cette édition contiendra toutes les évolutions des recherches depuis la catastrophe et s'adressera à un plus large public que la première.

Vous aimerez aussi
Réussir en France, c’est encore possible !
Sur l’Affaire humaine, Luc Dardenne
Wislawa Szymborska décédée début février
Quelle transition énergétique pour la France au XXIème siècle ?

3 Commentaires

  1. DOMINIQUE

    C'est vrai qu'on ne parle pas assez de la 6 ème source d'énergie renouvelable, à savoir les économies d'énergie (avec le solaire, l'éolien, la biomasse, la géothermie et l'hydraulique). Parce que pour celle-là, il n'y a pas besoin de construire de centrale ou un appareil. Il faut construire des efforts sur soi, changer ses habitudes et son comportement, aménager les mentalités. Et là, on n'a pas fini d'épuiser cette source. Si on ne fait rien, il faudra construire autant de centrales électriques en 20 ans, qu'au cours du 20ème siècle.
    un ingénieur EDF
     

  2. Geoffroy

    Les économies d'énergie sont une utopie. Comparons le nombre d'appareils électriques que possédaient nos grands-parents avec ceux que nous avons maintenant ! Qui est prêt à se séparer de sa machine à laver, de son nespresso, de son micro-onde, de ses téléphones portables, …
    En 2000, nous étions 6 milliards d'habitants, 7 milliards en 2011 : qui peut amener de l'électricité à toutes ses personnes : certainement pas les éoliennes, panneaux solaires … mais le nucléaire.
    5% de la population chinoise à notre niveau de consommation énergétique. Si cette proportion passe à 20 %, il faudra construire des dizaines de centrales nucléaires.
    Ce n'est pas très populaire de le dire, mais le nucléaire tue moins que le charbon !
    Vous l'avez compris, je suis un ardent défenseur du nucléaire.
    Geoffroy

    1. Céline

      Je me permets de vous rappeler le dernier paragraphe du précédent article (le 2/3 de cette série consacrée au nucléaire), qui concerne justement la Chine : il faut arrêter de regarder avec condescendance les énergies renouvelables, c'est de la mésinformation que de croire qu'elles ne sont bonnes qu'à faire briller un petit projecteur d'extérieur pour illuminer un buisson à l'entrée de votre jardin ! Il y a partout des exemples de progrès dans ce domaine…
      Quant au charbon, au moins sait-on traîter les émanations de dioxyde de carbone dans l'air – les déchets nucléaires, personne ne sait les traîter.
      Vu les limites actuelles du nucléaire, le moins que l'on puisse faire, c'est de chercher autre chose… Il n'est pas dit que l'intelligence de l'homme et sa créativité sont arrivées en bout de course !

Répondre