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Wislawa Szymborska décédée début février

Le 9 février dernier, étaient célébrées à Cracovie les obsèques de Wislawa Szymborska, poétesse polonaise, prix Nobel de littérature en 1996, au milieu de milliers d'amis, d'admirateurs et de nombreuses personnalités officielles. Voici un extrait du discours qu'elle prononça le 7 décembre 1996 devant l'Académie Nobel, à Stockholm.

« Je rêve parfois de situations impossibles. J'imagine par exemple, dans mon effronterie, que j'ai l'occasion de m'entretenir avec l'Ecclésiaste, auteur d'une, ô combien poignante, lamentation sur la vanité de toutes les entreprises humaines. Je lui fais une profonde révérence, car c'est un des poètes les plus importants – du moins pour moi. Et puis, je saisis sa main. « Rien de nouveau sous le soleil », as-tu dit, Ecclésiaste. Et pourtant, toi-même, tu es né nouveau sous le soleil. Et le poème écrit par toi ne fut pas moins nouveau sous le soleil, car avant toi personne ne l'avait écrit. Et nouveaux sous le soleil sont tous tes lecteurs, car pouvaient-ils le lire avant toi ? De même, le cyprès à l'ombre duquel tu es assis ne pousse pas depuis l'aube de l'univers. Il fut engendré par un autre cyprès, semblable au tien, mais pas tout à fait le même. Et j'aimerais te demander, Ecclésiaste, as-tu le désir d'écrire quelque chose de nouveau sous le soleil ? Quelque chose qui complétera tes réflexions ? ou bien auras-tu plutôt envie, malgré tout, d'en réfuter certaines ? Dans ton grand poème, tu n'as pas oublié la joie – quelle importance, au fond, qu'elle soit passagère ! Et si ton prochain poème, nouveau sous le soleil, lui était consacré ? As-tu déjà pris quelques notes, fait de premières esquisses ? Tu ne peux tout de même pas m'annoncer : « Voilà, j'ai tout dit, je n'ai plus rien à ajouter. » Aucun poète au monde ne peut dire une chose pareille, d'autant moins un immense, comme toi.

Car le monde, quoi que nous en pensions, effrayés par son immensité et par le spectacle de notre impuissance, pleins d'amertume face à son indifférence à l'égard de ceux qui souffrent, humains, animaux, plantes peut-être (car qui peut nous garantir qu'elles sont libres de toute souffrance ?) ; quoi que nous pensions de ces espaces infinis traversés par le rayonnement des étoiles, autour desquelles nous découvrons aujourd'hui de nouvelles planètes, déjà mortes ? encore mortes ? –  nul ne le sait ; quoi que nous puissions dire de cet incommensurable théâtre pour lequel on nous accorde, il est vrai, un billet d'entrée, mais un dont la validité est si ridicule ; quoi que nous puissions penser de ce monde – il est quand même étonnant.

Néanmoins, dans ce mot d'« étonnant », un piège logique nous guette. Nous nous étonnons des choses qui s’écartent d'une norme connue et généralement admise, d'une évidence à laquelle nous sommes habitués. Or il n'existe aucun monde normal et évident. Notre étonnement est autonome et ne procède d'aucune comparaison.

D'accord, dans notre langage courant, qui ne s'interroge pas sur chaque mot qu'il emploie, nous disons tous « vie ordinaire », monde ordinaire », « ordre normal des choses ». Mais dans la langue de la poésie, où chaque mot est soigneusement pesé, rien n'est jamais ordinaire ni normal. Pas une pierre, et pas un nuage au dessus. Pas un jour, et pas une nuit après. Et, par dessus tout, pas une quelconque existence en ce monde.

Il semblerait que les poètes auront toujours beaucoup de travail. »

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