de Hernán A. Gomez 03 avril 2012
Malouines, Temps de lecture : 4 mn
Il y a trente ans, le 2 avril 1982, lorsque tout paraissait se diriger vers une solution similaire à celle de Hong Kong, un groupe militaire argentin débarqua ses troupes aux Malouines qui déclenchèrent les hostilités sans espoir de victoire pour l’Argentine.
Les Malouines
Passons sous silence tout ce que cette guerre a déclenché pour dire quelques mots sur « les Malouines ».
L’archipel des Malouines fut découvert par des marins au 16e siècle et illustré par des cartographes de cette époque, dont les œuvres aujourd’hui nous surprennent dans la Bibliothèque Apostolique du Vatican. Des érudits soutiennent que les armées espagnoles de Placencia découvrirent ces îles entre les brumes. Mais, c’est Louis Antoine de Bougainville, navigateur et explorateur français qui les baptisa « les îles Malouines ». Lors d’une première et brève occupation anglaise, l’Espagne les revendiqua et la Couronne de rouge et d’or récupéra ses possessions, après l’expulsion des anglais qui les avaient renommées Falklands.
Suite aux guerres de l’indépendance, autour de 1820, les Provinces Unies du Río de la Plata – nom romantique d’origine de l’Argentine – prirent possession officiellement des îles et implantèrent une colonie de « Gauchos ». Avec eux arrivèrent guitare, mate, couteaux créoles, poncho et chevaux qui filent comme le vent.
Vers 1831 les Anglais occupèrent les îles avec des troupes armées et expulsèrent les Créoles de manière irrépressible. Paradoxalement aujourd’hui les Britanniques argumentent le droit d’autodétermination des peuples, dans une claire contraditio in terminis avec le traitement qu’ils donnèrent à ces habitants gauchos. Depuis lors les îles restèrent occupées de fait par le Royaume Uni.
Bateaux coulés, avions abattus, des centaines de morts, le deuil et les pleurs. L’ancien port de Notre Dame de la Solitude[2], beau nom perdu dans les mers du sud, fut témoin de l’horreur. Un froid jeudi dans la nuit les troupes de la Grande Bretagne firent face à une résistance qui fut vaincue par la supériorité numérique et technologique.
Jorge Luis Borges a publié[3], à peine la guerre des Malouines terminée, un poème "Juan Lopez y John Ward", peut-être pour sauver de l’oubli ceux qu’on évoque:
“Il leur échut de vivre une époque étrange.
La terre avait été partagée en pays différents, chacun pourvu de fidélités, de souvenirs aimés, d’un passé sans doute héroïque, de droits, de griefs, d’une mythologie particulière, de héros coulés en bronze, d’anniversaires, de démagogues et de symboles. Cette division, chère aux cartographes, encourageait les guerres.
Lopez était né dans la ville au bord du fleuve immobile ; Ward, aux alentours de celle que Father Brown avait parcourue. Il avait étudié l’espagnol pour lire le Quichotte.
L’autre professait l’amour de Conrad, dont il avait eu la révélation dans une classe de la rue Viamonte.
Ils auraient pu devenir amis, mais ils ne se virent qu’une fois, face à face, dans des îles trop connues, et chacun d’eux fut Caïn, et chacun d’eux, Abel.
On les enterra ensemble. La neige et la pourriture les connaissent.
Le fait que je rapporte eut lieu en un temps difficile à comprendre.”
Un soldat Argentin et un autre Britannique, comme tant d’autres, se virent pour la première et dernière fois, aveuglés par le feu des tirs.
L’intervention du pape Jean Paul II fut un baume de paix qui évita plus de morts et de douleurs.
Aujourd’hui, trente ans après le débarquement aux Malouines, nous rendons hommage à ces morts, qui dans le ciel de Dante lisent Quichotte et Conrad, et rappellent les tourmentes du bout du monde avec un regard qui dévoile la compassion. De temps en temps, l’Argentin avance des arguments irréfutables géographiques, historiques et juridiques. L’Anglais les connaît et les approuve mais se tait, non par déloyauté mais par ennui. En fin de compte aujourd’hui ils partagent la même Patrie.
[1] Expression de l'écrivain Jorge Luis Borges cité dans son texte “La maravillosa Argentina”.
[2] En 1768 Felipe Ruiz Puente, Premier gouverneur espagnole des Malouines, rebaptisa les îles le jour où il intronisa une image de la Vierge sous l'invocation Notre Dame de la Solitude
[3] Jorge Luis Borges, Los conjurados, Madrid, Alianza, 1985, p. 95.
Les Argentins "sans espoir de victoire" ? Je crois que l'auteur fait erreur: sentant Londres prêt à rétrocéder l'Ile, les militaires au pouvoir à Buenos Aires ont cru à une victoire facile qui redorerait leur blason. L'Angleterre etait à 13000 km. Ils ont sous estimé deux facteurs : le caractère de Margaret Thatcher, qui pouvait difficilement laisser douter de sa résolution. Et le climat de guerre froide qui régnait alors : L'URSS installait les missiles SS20 en Europe de l'Est. Confrontés à des mouvements pacifistes, les gouvernements occidentaux ne pouvaient se laisser défier par un adversaire de second ordre sans riposter.