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Qui est Javier Milei le nouveau président argentin ?

Dimanche 19 novembre, suite aux second tour de l’élection présidentielle argentine, 56% ont préféré Javier Milei à la continuité de Sergio Massa (actuelle ministre de l’économie) et du kirchnerisme [1]Ainsi nomme-t-on la permanence au pouvoir de la famille, des proches et des idées de Nestor Kirchner (président du pays de 2003 à 2007) et de son épouse Cristina Fernandez (présidente de 2007 à … Continue reading .

 

Javier Milei

 

La « campaña del miedo » (campagne de peur) menée par le parti au pouvoir n’a visiblement pas eu l’effet escompté : malgré les spots publicitaires, l’achat d’espace sur YOU TUBE, les nombreux articles de presse et l’utilisation des deniers et des médias publics, plus de 14 millions d’Argentins ont considéré que la continuité au pouvoir du kirchnerisme devait s’arrêter ce dimanche 19 novembre. Avec une inflation à trois chiffres (142,7% interannuelle, 120 % depuis le début de l’année [2]https://www.indec.gob.ar/uploads/informesdeprensa/ipc_11_231B28D924C4.pdf qui se calcule désormais chaque semaine (2,2 % la semaine dernière) [3]https://www.pagina12.com.ar/617674-la-inflacion-semanal-fue-de-2-2-por-ciento la désignation d’un économiste de profession comme Javier Milei, même si elle génère plus d’incertitude que de certitude, a semblé être la solution la moins pire pour le pays.

L’homme « hors caste »

Le nouveau président a surtout grandi dans les studios de télévision où il intervenait régulièrement sur les questions économiques. Se définissant lui-même comme « anarcho-capitaliste » et « libéral-libertaire » [4]Et en aucun cas « d’extrême droite » comme le situe la majorité de la presse occidentale. Même ses adversaires politiques situés de l’autre côté de l’échiquier politique n’utilisent … Continue reading , il a fondé son parti « La Libertad Avanza » il y a à peine deux années et a obtenu une quarantaine de députés et 7 sénateurs aux dernières élections législatives dont il fut la surprise. Il est connu pour son style extravagant : « peluca » est un de ses surnoms (en raison de sa coupe de cheveux qui fait penser qu’il porte une grosse perruque) mais il est aussi nommé « el léon » (le lion, pour son caractère irascible et fort) et même « el loco Milei » (le fou, en raison de certaines de ses propositions comme aussi de la façon agressive dont il peut les exposer). Ses coups de sang en public sont notoires et ont beaucoup joué sur la peur qu’il a suscitée chez de nombreuses personnes. Pour beaucoup, voter Milei c’était « dar un salto en el vacio » (faire un saut dans le vide). Ses propositions ont souvent semblé ne pas pouvoir être soutenues par une large majorité.

Javier Milei a été la surprise des primaires du mois d’août (dite PASO), a stagné au premier tour le 22 octobre mais a littéralement ressuscité lors du second. Très rare étaient ceux qui pensaient qu’il pouvait gagner avec une telle différence de votes (presque 12 points). La presse argentine évoque diverses interprétations : l’une est évidemment le rejet de Sergio Massa et du kirchnerisme perçus comme corrompus (la liste est longue en effet des affaires judicaires de ses membres), inefficace (l’échec économique qui laisse un pays au bord de la banqueroute) et anti-démocratique (ses nombreuses interventions au sein du pouvoir judiciaire). À cela il faut ajouter aussi le soutien de Mauricio Macri (ex-président de 2015à 2019) et de Patricia Bullrich (candidate officielle du parti de Mauricio Macri). Enfin, il y a le propre flair de Javier Milei, son expertise à ajuster sa communication et à se concentrer sur les idées de changement, ses charges contre « la caste au pouvoir », son intention de passer la « motosierra » (la tronçonneuse) au sein des nombreux ministères et autres institutions étatiques considérées comme des nids de fonctionnaires inefficaces. [5]Les fameux « noquis » : nom d’un plat italien que l’on cuisine traditionnellement en Argentine le 29 de chaque mois. À terme, il finit par désigner ceux qui viennent chercher leur argent à … Continue reading .

 

Meeting Electoral Javier Milei

 

Ce qui est apparu clairement, c’est que la campagne de peur menée par Unión por la Patria (le parti au pouvoir de Sergio Massa) non seulement n’a pas atteint son objectif, mais qu’elle a même pu être contre-productive. Elle était largement basée sur des idées que Javier Milei avait effectivement exprimées, telles que la vente d’organes ou le libre port d’armes (sur le modèle américain), ou sur des exagérations, telles que la privatisation de la santé et de l’éducation.

Cependant, l’idée de changement a pesé plus lourd. Et surtout l’inflation, cet « impôt des pauvres », un dollar à mille pesos, une pauvreté supérieure à 40% et en augmentation, les réserves de la Banque centrale en chute libre [6]24 milliards de Dollars en août, dont 18 de crédits SWAPS chinois. Aujourd’hui on parle même de « réserve négative » mais il est difficile d’avoir le chiffre exact. C’est sans … Continue reading , et une économie qui survit grâce au respirateur artificiel du déficit. À cela s’ajoute un système politique corrompu qui génère de moins en moins de confiance dans la société. Dans ce contexte, la réussite de l’actuel ministre de l’économie tenait du miracle. Et il n’a réussi à donner le change jusqu’au scrutin qu’en raison d’une peur qui n’en était finalement pas une. Les Argentins ont eu clairement plus peur de Massa que de Milei.

Et maintenant quel programme ?

Le nouveau président pourra apparemment compter sur les marchés financiers [7]Qui au 20 novembre sont fermés en Argentine mais ont ouvert favorablement aux USA ce même jour pour proposer son plan de reconstruction du pays et notamment de son économie. Il a déjà eu des contacts avec le FMI depuis le mois d’août et ses équipes ont travaillé avec les experts de cet organisme pour coordonner les deux propositions phare de sa campagne : la fin du déficit fiscal et la dollarisation de l’économie (suivant en cela d’autres pays comme l’Equateur en l’an 2000). Le pays est déjà en parti dollarisé de fait puisque tous les achats importants se font en USD (voitures, immeubles et aussi loyers, certains voyages…) et que la moindre variation du dollar non officiel (dit pudiquement « blue ») se répercute automatiquement sur les prix à la consommation courante. La nouveauté sera un État qui n’émet plus de monnaie et devra donc payer ses dépenses non par la dette et l’émission monétaire mais par ce qu’il possède effectivement en caisse. Il reste qu’une telle mesure ne sera en rien évidente et que les propositions d’économies des dépenses publiques risquent de générer de forts mouvements sociaux.

Le nouveau président a promis, entres autres, de nombreuses privatisations (dont la compagnie aérienne Aerolineas Argentinas et la pétrolière YPF), de réduire le train de vie de l’État, entre autres, en arrêtant les « planes sociales » (aides sociales à l’efficacité controversée mais dont bénéficient 3 millions d’argentins [8]Et aussi les subventions aux transports (un ticket de métro à Buenos Aires coûte douze fois moins qu’aux Etats Unis en dollar constant) et à l’énergie (ce qui aura un effet direct sur les … Continue reading , les ministères jugés « inutiles » (comme celui de la femme ou de la culture) ou « inefficaces » (le CONICET, équivalent de notre CNRS et qui embauche 35 000 personnes). C’est un programme aux antipodes des mesures des 25 dernières années qui avaient plus mises l’accent sur l’État-Providence et son rôle dans l’économie, la création d’emploi et la protection sociale.

Quelques déclarations phares

Selon Milei, les hommes politiques « préfèrent la griffe de l’État à la main invisible » [9]Dans le domaine socio-économique, la « main invisible » est une expression d’ Adam Smith (1723-1790) pour qui l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, guidées … Continue reading . Pour lui, le concept de justice sociale est aberrant et l’a défini ainsi : « C’est voler quelqu’un pour donner à quelqu’un d’autre, un traitement inégal devant la loi, qui a également des conséquences sur la détérioration des valeurs morales au point de transformer la société en une société de pillards » [10]Discours le 24 août 2023 à l’hôtel Alvear devant les chefs d’entreprises. … Continue reading .

Le nouveau président avait ainsi affirmé : « l’origine du déclin de l’Argentine a été identifiée comme étant le modèle des castes, qui dit que lorsqu’un besoin naît, un droit naît. Le problème est que les besoins sont infinis et les ressources limitées, et nous, les libéraux, savons clairement comment résoudre ce conflit : avec la propriété privée et sans intervention de l’État ».

 

Javier Milei avec Victoria Villarruel

 

Javier Milei reconnait aussi que les problèmes de l’Argentine ne sont pas seulement économiques mais culturels. Il proclame ainsi « la défense du droit à la vie dès la conception ». Interrogé sur la loi qui dépénalise l’avortement en 2020, il a déclaré : « Ce n’est pas parce qu’une chose est légale qu’elle est légitime. Je suis contre cette loi parce qu’elle va à l’encontre du droit à la vie » [11]Entrevue le 14 août 2023 avec Alejandro Fantino pour le programme « la cosa en si » … Continue reading . Interrogé s’il réviserait la loi s’il devenait président, il a répondu : « Au moins, j’organiserai un plébiscite. Et si le résultat était en ma faveur, la loi serait supprimée. Mais laissons les Argentins choisir. Si les Argentins croient au meurtre d’un être humain sans défense dans le ventre de sa mère, nous verrons » [12]Ibid .

Le discours du nouveau président au soir de sa victoire s’est voulu rassurant : « Nous tous qui partageons les idées de liberté, il est temps que nous travaillions ensemble ». La main est tendue à tous ceux qui veulent s’unir avec lui. S’il veut faire passer ses nouvelles lois, Javier Milei sait très bien qu’il va avoir besoin du soutien des autres partis. Pour le moment il doit surtout s’atteler à constituer un gouvernement et définir un plan d’action qu’il devra mettre en œuvre au plus vite. Les 56% des voix du scrutin donnent au président élu une force qu’il n’aura ni au Congrès ni dans les provinces. Une faiblesse d’origine qu’il ne pourra combler qu’avec un gouvernement solide et un cap clair. Ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra tenir sa promesse de « mettre fin à la décadence de l’Argentine ».

 

Discours complet -en Espagnol – de Javier Milei après sa victoire à l’élection présidentielle en Argentine

References

References
1 Ainsi nomme-t-on la permanence au pouvoir de la famille, des proches et des idées de Nestor Kirchner (président du pays de 2003 à 2007) et de son épouse Cristina Fernandez (présidente de 2007 à 2015 puis vice-présidente de 2019 à 2023). Un de leur fils, Maximo, possède aussi une très importante influence politique
2 https://www.indec.gob.ar/uploads/informesdeprensa/ipc_11_231B28D924C4.pdf
3 https://www.pagina12.com.ar/617674-la-inflacion-semanal-fue-de-2-2-por-ciento
4 Et en aucun cas « d’extrême droite » comme le situe la majorité de la presse occidentale. Même ses adversaires politiques situés de l’autre côté de l’échiquier politique n’utilisent pas ce qualificatif.
5 Les fameux « noquis » : nom d’un plat italien que l’on cuisine traditionnellement en Argentine le 29 de chaque mois. À terme, il finit par désigner ceux qui viennent chercher leur argent à la fin du mois et que l’on ne voit que ce jour-là, équivalent français des « emplois fictifs »
6 24 milliards de Dollars en août, dont 18 de crédits SWAPS chinois. Aujourd’hui on parle même de « réserve négative » mais il est difficile d’avoir le chiffre exact. C’est sans comparaison avec le Brésil qui en possède 337 milliards de dollars de réserve nette ou même le Pérou avec 70 milliards de dollars
7 Qui au 20 novembre sont fermés en Argentine mais ont ouvert favorablement aux USA ce même jour
8 Et aussi les subventions aux transports (un ticket de métro à Buenos Aires coûte douze fois moins qu’aux Etats Unis en dollar constant) et à l’énergie (ce qui aura un effet direct sur les factures de gaz, eau et électricité
9 Dans le domaine socio-économique, la « main invisible » est une expression d’ Adam Smith (1723-1790) pour qui l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, guidées uniquement par l’intérêt personnel de chacun, contribuent à la richesse et au bien commun
10 Discours le 24 août 2023 à l’hôtel Alvear devant les chefs d’entreprises. https://www.ambito.com/politica/javier-milei-el-concepto-justicia-social-es-aberrante-es-robarle-alguien-darle-otro-n5803423
11 Entrevue le 14 août 2023 avec Alejandro Fantino pour le programme « la cosa en si » https://chequeado.com/el-explicador/esto-propone-javier-milei-sobre-la-ley-que-legalizo-el-aborto-y-el-sistema-de-vouchers-educativos-que-dicen-los-datos-y-los-especialistas/
12 Ibid
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1 Commentaire

  1. Michel S.

    Très bon contribution bien plus éclairante que les poncifs des médias français relayant les slogans caricaturaux de la presse Mainstream.

    Merci à Terredecompassion de nous aider à approfondir une telle problématique en la replaçant dans son contexte, à exercer notre esprit critique.

    Courage au peuple argentin qui sort d’années extrêmement compliquées