Le 4 Avril 1932, à Zavrajye en Russie, naissait le fils du poète Arseni Tarkovski : Andreï Arsenevitch Tarkovski. Enfant, étudiant, réalisateur… Il découvrira le monde à travers les yeux de l’URSS et du cinéma soviétique du VGIK de Moscou en 1959. Pourtant son film de fin d’étude L’enfance d’Ivan, déjà récompensé en 1962 d’un Lion d’or à Venise, le conduira rapidement à une reconnaissance internationale. Un à un ses films (sept en tout) le feront remarquer par la scène internationale et la censure soviétique. Après quatre films : Andreï Roublev, Solaris, Le Miroir et le Stalker, il devra quitter la Russie et vivre en exil en Italie, en France. Cet homme, amoureux de Pouchkine et de Dostoïevski, mourra dans la banlieue parisienne sans avoir revu la Russie en décembre 1986.
« Le poète est un homme qui a l’imagination et la psychologie d’un enfant. Sa perception du monde est immédiate, quelles que soient les idées qu’il peut en avoir. Autrement dit, il ne « décrit » pas le monde, il le découvre. »[1]
Tarkovski nommera son premier film tourné à l’étranger Nostalghia … Dans son premier grand film, il reprend l’histoire du peintre d’icône Andreï Roublev pour montrer comment le désir du beau, inséparable du désire du bon, qui habite le cœur de l’homme, le cœur de l’artiste semble être voué à l’échec dans un monde livré à la haine et à l’orgueil. La réponse de l’homme spirituel au monde contemporain ne peut dès lors être que le silence. Seul l’amour et le don de soi pourront permettre au moine de redécouvrir le sens de son art et de son désir, un art qui désormais ne peut qu’assumer les plaies qu’il a touchées. Désormais responsable de traduire cette vérité rude devant le Créateur.
Les traits ainsi esquissés prendront toute leur ampleur christique dans le dernier film testament du réalisateur-poète. Tarkovski tourne Le Sacrifice sur l’île de Farô, invité par Ingmar Bergman.
Alexandre le héros du film, ancien acteur fatigué de tout, va être provoqué par l’annonce d’une guerre nucléaire. Devant l’imminence de la catastrophe, il se retrouve devant un dilemme soit « continuer son existence de consommateur aveugle » soit « trouver la voie vers une responsabilité spirituelle »[2]. Retourner à Dieu et offrir sa vie, sa situation, sa famille, en sacrifice sera ainsi le premier acte de liberté d’Alexandre qui reconnaît la nécessité de se donner lui-même pour la société dont il est responsable devant Dieu.
Le silence qu’il s’impose à partir de ce moment ne sera plus comme chez Roublev un refus, mais le choix du spirituel et de la possibilité même du miracle. Parce qu’Alexandre a reconnu que « son chemin dans la vie ne se mesure pas à l’aune humaine, qu’il repose entre les mains du Créateur », il faut désormais que tout ce qui n’est pas indispensable à la vie, tout ce qui n’a pas de valeur spirituelle disparaisse.
« Je m’intéresse d’abord et avant tout à l’homme capable de sacrifier sa situation et son nom, sans me préoccuper de savoir s’il le fait en raison de principes spirituels, pour aider son prochain, pour son propre salut, ou pour tout cela à la fois. Un tel geste ne peut être qu’en complète contradiction avec l’idée d’intérêt, propre à la logique dite ‘normale’. Un acte pareil contredit la conception matérialiste du monde et les lois qui l’accompagnent. Il apparaît souvent comme absurde, ou maladroit. Malgré cela (ou peut-être à cause de cela), la démarche d’un tel individu transforme profondément l’histoire et le destin des hommes. (…) C’est cette idée qui m’a conduit pas à pas jusqu’à la réalisation de mon désir, qui était de faire un grand film sur un homme dépendant des autres, libre et donc prisonnier de l’essentiel : de l’amour. »[3]
Le vrai sacrifice ne peut être offert que par celui qui est libre, c’est-à-dire, nous dit Tarkovski, celui qui s’est rendu dépendant de l’amour et devient ainsi porte de rémission. L’amour et la foi étant ainsi indissociablement liés. Dieu reconnaît l’acte d’amour vrai et agrée la demande et le sacrifice.
Porte ouverte aussi à la provocation et la suite car « le drame c’est que plus rien ne nous incite au sacrifice ». Alexandre, par sa foi, entraîne ainsi ceux dont le cœur pur sauront reconnaître la réalité du don de celui que les personnes ‘normales’ considèrent désormais comme fou.
« L’être humain a-t-il un espoir de survie malgré les symptômes évidents du silence apocalyptique qui fond sur lui ? On peut trouver une réponse à cette question dans l’antique légende de la patience de l’arbre sec, celle-là même que j’ai prise comme axe de mon film, le plus important à mes yeux de toute ma carrière. Un moine, pas après pas, seau après seau, avait arrosé un arbre desséché sur le sommet d’une colline sans jamais douter de la nécessité de ce qu’il accomplissait, ni perdre un seul instant confiance en la vertu miraculeuse de sa foi dans le Créateur. Et c’est pourquoi il avait connu le miracle : les branches s’étaient couvertes de feuilles, l’arbre avait retrouvé la vie. Mais cela est-ce un miracle ? Non, c’est la vérité. »[4]
La Résurrection vient pour celui qui s’est offert dans la foi et l’amour.
[1] Le Temps scellé, Tarkovski, p.52
[2] Le Temps scellé, Tarkovski, p.252
[3] Le Temps scellé, Tarkovski, p.250
[4] Le Temps scellé, Tarkovski, p.265