Témoignage du Docteur Patrick Lepault 21 avril 2012
Médecin en équipe mobile de soins palliatifs, temps de lecture : 3 mn
Le Docteur Lepault rencontre au quotidien des situations angoissantes pour les familles qui doivent faire face à la souffrance d'une proche et ses derniers instants. Il nous partage le cheminement d'une famille lors de cette épreuve en passant du mal être face à la douleur au renouvellement de liens familiaux.
CC BY-NC-SA redwolfoz
Notre équipe mobile intervient dans différentes cliniques et maisons de retraite de Bordeaux. A la demande des équipes soignantes de ces structures, nous intervenons pour soutenir les équipes, examiner des malades, écouter des familles…
Vendredi, nous sommes appelés dans un service de chirurgie d’une clinique pour aider le personnel soignant dans la prise en charge d’une famille entourant leur mère en fin de vie. Le médecin et l’infirmier de l’équipe mobile interviennent. Nous rentrons dans la chambre de Madame M. La patiente est dans son lit, somnolente mais agitée. Trois filles de 30 à 60 ans sont présentes. La chambre est encombrée de matelas pneumatiques, glacière… « Nous restons ici, jour et nuit » me disent les trois filles. Puis, en montrant leur mère : « Mais c'est intolérable, vous devez abréger ça, elle ne doit plus vivre, c'est inhumain ». Je commence par leur dire bonjour après cette « envolée de reproches ». Devant la tension et l’énervement de la famille qui est épuisée, je propose que l’on aille prendre un café à l’extérieur de la chambre pour parler tranquillement. Elles quittent la pièce, et j’en profite pour examiner la patiente qui semble effectivement douloureuse et en phase terminale de son cancer. Je rejoins les trois femmes qui sont toujours sur la défensive, « vous devez faire quelque chose, notre mère n’aurait jamais accepté cela. Il faut lui faire une piqure pour que cela cesse ». Après un long échange, je leur demande de nous faire confiance pendant 48 heures et je m’engage à modifier le traitement pour que leur maman soit plus confortable, moins douloureuse, moins anxieuse. Donc, oui à des piqures, mais pour que cesse la douleur et que leur mère vive plus apaisée.
Nous repassons le lundi matin et l’infirmière de service nous dit : « merci, la famille est moins pénible et la patiente est bien calme, elle arrive à ouvrir les yeux de temps en temps ». Nous rentrons dans la chambre, les trois filles sont toujours là, entourant leur mère comme si elles veillaient un mort. Je leur propose que chacune puisse dire comment elle se ressource en cas de difficulté. Pour l’une, c'est en faisant du sport, une bonne course lorsqu’elle est énervée. Pour la seconde, c'est en allant acheter des livres et en lisant. La troisième sœur, elle, aime être en silence et méditer lorsqu’elle est en souffrance. Je leur demande si, actuellement, elles arrivent à faire cela pour se ressourcer. Elles me répondent que non, car elles veulent rester avec leur mère. Je les encourage à prendre ce temps car leur énervement est contagieux et n’aide pas leur mère. Nous continuons à adapter le traitement morphinique et auriolytique pour que la patiente soit le plus confortable possible tout en étant consciente. Trop souvent les médecins cherchent à « déconnecter » les malades en les sur-dosant en calmants, ce qui est une erreur et pour moi une pratique euthanasiante.
Deux jours après, nous repassons voir la patiente et sa famille. La malade est dans un coma a-réactif. Les trois filles sont là avec leur père. Elles sont plus détendues, et l’une d’elles me dit « merci ». Je lui demande pourquoi elle nous remercie. « Parce que nous avons découvert notre père. Lui qui est d’habitude toujours dur et sans sentiment, nous avons pu pleurer ensemble autour de maman. Il nous a pris dans ses bras comme il ne l’avait jamais fait auparavant ». Les trois filles pleurent mais avec un sourire. La plus jeune dit : « nous sommes en train de perdre notre mère mais nous avons retrouvé notre père ». Madame M. est décédée trois jours après, en présence de son mari et de leurs trois filles.
Comme accompagnant, nous devons toujours « attendre l’inattendu » et le dire aux familles. Cet inattendu, nous ne le connaissons pas, mais il est la source de notre espérance.