Home > Santé > La maternité, école du don

de Laurence Aubrun      2 juin 2012
Maternité, Altérité, Don de soi, Temps de lecture : 3mn

Devenir mère, c'est protéger au creux de soi l'origine de la Vie, c'est aussi apprendre à se donner corps et âme pour un autre, bien au-delà de ce que l'on avait pu imaginer. A l'heure de la fête des mères, revenons sur l'expérience singulière de la maternité.


Picasso, Maternité

« Sentinelles de l'invisible »1

L'origine de la vie reste secrète. Si les futurs parents savent quand ils se sont donnés l'un à l'autre, le fruit de cette union leur échappe : y aura-t-il conception ? Cette vie nouvelle poursuivra-t-elle son développement ? Que sera cet enfant ? « Tu ignores quel est le chemin du vent, et celui de l'embryon dans le sein de sa mère »2. La Vie échappe à nos prévisions : fausses couches, fertilité incertaine, grossesse inattendue… Certains médecins promettent de maîtriser la conception, mais le parcours de chaque famille nous rappelle à l'humilité de l'accueil. Ce n'est pas nous qui donnons la vie, mais bien la Vie qui, à travers nous, se donne. S'il est louable aux thérapeutes de chercher des solutions à l'infertilité, rappelons qu'il n'y a pas de lieu plus protégé pour le tout-petit que le sein maternel. Hors de ce sanctuaire, l'embryon est à la merci de l'acte technique. En son corps, la femme est gardienne de la vie naissante et touche au mystère. De mèche avec le Créateur, c'est d'abord d'un silence protecteur qu'elle enveloppe ce ventre qui s'arrondit.

L'intime altérité

Les philosophes devraient se pencher sur l'expérience de la maternité. Elle détermine l'une des relations les plus fondamentales de l'existence humaine. De fait, l'altérité, la rencontre avec l'autre a toujours été pensée dans l'extériorité, la transcendance, le face-à-face. L'autre, c'est celui que je croise, que je dévisage, qui m'interpelle. La voix, le regard, le toucher me rapprochent de celui qui n'est pas moi. Mais l'expérience première de l'altérité est toute autre, et les femmes le découvrent en portant leur enfant : voici qu'au plus profond de moi surgit une autre vie. Le tout-petit a son rythme propre, ses mouvements, sa place. Loin de vivre cet état comme fusion ou confusion avec son enfant, la mère se découvre habitée, « envahie » par un autre qu'elle ne peut ni voir ni entendre, qui la bouscule de l'intérieur, la réveille la nuit, et reste cependant un inconnu : l'étranger le plus étranger et l’hôte le plus intime de sa vie. Cela n'est pas sans résonance spirituelle : le Tout-Autre se manifeste aux mystiques dans les profondeurs du cœur. Augustin s'adressait à Dieu « plus intime que l'intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même »3.

Vécue par l'embryon, cette relation non consciente mais primordiale est intense : chacun de nous a d'abord été porté, bercé, enveloppé, « hébergé » par un autre. Ces premiers liens qui se tissent à l'aube de la vie humaine l'inscrivent déjà sous le signe de l'hospitalité, du partage… et de la gratitude.

Du don des corps au don de soi

Aucun parent ne peut prévoir à quel point l'arrivée d'un enfant va bouleverser sa vie. Changement de priorités, de rythme, de préoccupations… On peut parler de « recomposition psychique ». Mais c'est plus que cela pour la mère : tout son être est transformé de l'intérieur, bien malgré elle. Être enceinte, c'est voir son corps se polariser sur cette vie nouvelle, au point que la maman peut avoir l'impression que ce corps ne lui appartient plus. Cette dépossession peut se vivre dans l'émerveillement et la joie, surtout lorsqu'elle prolonge et parachève le don d'amour qui s'est joué dans l'union des corps, mais elle est rarement facile. Souffrances physiques, inquiétudes pour la santé de l'enfant, souci pour l'avenir : la mère porte en elle toute la vie de son petit. La maternité devient le lieu le plus simple de l'apprentissage du don total de soi. Parce qu'elle conduit à donner tout naturellement sa chair, son sang, sa santé, parfois jusqu'à risquer sa vie, la maternité prépare en douceur la maman à consentir avec amour à tous les sacrifices. Bien d'autres expériences de don total sont possibles, et la maternité d'adoption, la maternité spirituelle et toutes les modalités de la charité pourraient être évoquées, mais il est heureux que la maternité vécue dans son corps et sa chair soit l'expérience la plus répandue et la plus évidente du don d'amour total : ainsi la vie humaine prend-elle sa source dans un cocon de douceur, de tendresse et de vulnérabilité inimitable. A toutes nos mamans, merci !

 

1« La mission particulière qui revient à la femme, à notre époque tentée par le matérialisme et par la sécularisation : être dans la société actuelle témoin des valeurs essentielles qui ne peuvent se percevoir qu'avec les yeux du cœur.
A vous, les femmes, il revient d'être les Sentinelles de l'Invisible ! » 
Jean Paul II, Lourdes, 15 août 2004

2Ecclésiaste 11, 5.

3St Augustin, Confessions.

 

 

 

 

 

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3 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    Merci aussi pour ce témoignage. Les pères participent aussi à cet éveil de la vie, mais de façon moins directe: sans eux, elle ne serait pas là. Les théologiens disent du célibat qu'il dit quelque chose de Dieu. C'est vrai, mais il en est de même de la maternité et de la paternité qui nous font entrer dans le mystère de Dieu : un amour qui donne vie.

  2. Christine Rivrain

    Merci Laurence pour ce témoignage extraordinaire et tellement vrai….. Moi aussi, je le fais parvenir aux mamans…. Et bien bravo aux papas qui y participent bien évidemment…. Je rend grâce à Dieu pour ce don de la Vie !

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