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Interview de Mgr Massimo de Gregori par Clément Imbert   2 juillet 2012
 

Mgr Massimo de Gregori est secrétaire à la mission permanente du Saint-Siège, qui bénéficie d’un statut d’observateur permanent auprès de l’Organisation des Nations-Unies à Genève.


© Points-Cœur

Pouvez-vous nous dire en quoi consiste ce statut d’observateur permanent ?

Le Saint-Siège a été admis aux Nations-Unies par l'Assemblée Générale, avec le statut d'observateur. Ce statut est normalement provisoire mais le Saint-Siège a préféré ne pas devenir membre, ce que l’Assemblée Générale a accepté et confirmé récemment, faisant de nous un “observateur  permanent“. Nous sommes certes un Etat, le plus petit au monde, mais cette dimension territoriale nous permet surtout de ne pas dépendre du pouvoir politique des autres pays. Être Etat-membre des Nations-Unies impliquerait de prendre des décisions politiques trop marquées, comme la condamnation d’autres Etats. Dans certains pays, en effet, l’Eglise subit toute forme d’oppressions. Il est d'autant plus important pour nous de garder cette voix libre, tout en évitant des prises de positions dommageables pour les chrétiens dans ces pays.
Nous représentons avant tout l'Eglise catholique, notre mission est  de diffuser l'Evangile dans les organisations internationales, à travers les moyens qui sont mis à notre disposition.

Comment est perçu le Saint-Siège aux Nations-Unies ?

Un petit nombre d’Organisations non gouvernementales sont assez hostiles à l’Eglise ; d’autres ne partagent pas nos convictions, mais ne se battent pas pour autant contre nous. Nous sommes en général bien acceptés, et même quand il y a des points de désaccord, nous bénéficions toujours d’écoute et de respect.
Je constate que beaucoup de choses se jouent dans les rapports personnels que nous tissons avec les  membres de chaque délégation. Même avec des diplomates de pays avec qui nous n’avons pas grand chose en commun, nous sommes face à des personnes, avec qui nous pouvons établir de très bons rapports. C’est aussi là que se situe notre mission d’annoncer l’Evangile.

Votre longévité exceptionnelle à la mission (17 ans) fait de vous un observateur privilégié. D'après vous, quelles sont les évolutions aux Nations-Unies qui sont signe d’espérance ?

Je pense qu’ici, aux Nations-Unies, comme dans les autres Organisations Internationales, beaucoup de messages positifs passent. Le problème est qu’ils restent parfois dans l’entourage de nos salles de réunions et qu’il est difficile de les mettre en pratique. Nous faisons des tous petits pas. Mais lorsque nous travaillons sur la mise en place d’instruments juridiques internationaux, je constate une réelle volonté de les mettre en pratique. Par exemple, au Bureau International du Travail nous avons l’an dernier planché sur la convention pour le travail décent des travailleurs domestiques. Beaucoup de gens de bonne volonté ont coopéré : diplomates, membres de la société civile, représentants des employeurs et des travailleurs. Cette convention peut avoir un grand impact à l’avenir dans les législations nationales. On peut en dire autant pour la convention des droits de l’enfant et ses protocoles additionnels traitant des problèmes des enfants dans les conflits armés et des enfants victimes de pornographie, de prostitution et de traite… autant de petits pas qui peuvent influencer la mentalité et le droit.
Dans d’autres domaines, la situation semble bloquée, c’est le cas par exemple du désarmement. Cependant je trouve bon qu’on arrive encore à se parler, car tant qu’il y a du dialogue, nous évitons les issues les plus dramatiques. L’ONU doit promouvoir et défendre la paix : si elle n’arrive pas à faire progresser la juridiction internationale, au moins permet-elle que l’on se connaisse, ce qui évite la haine réciproque et ouvre la possibilité d’un chemin commun. Et même s’il y a de durs affrontements en session, les gens continuent à se parler en dehors de la salle et ça c’est très important. Il y a parmi les diplomates de futurs ministres qui rencontrent ainsi ceux qu’ils considèrent comme leurs pires ennemis. Le Saint-Siège et les ONG catholiques jouent ici un rôle crucial.

La tradition veut que la diplomatie vaticane soit menée par des clercs, quels sont les impacts mutuels de votre fonction diplomatique avec votre mission sacerdotale ?

C’est une chose qui pour moi est très importante, aussi je réponds volontiers à cette question. Je ne vois pas mon travail d’ici comme quelque chose d’extérieur à mon ministère. Je suis là pour être témoin de l’amour de Jésus. Igino Giordani, un député italien d’après guerre qui est en voie de béatification, disait : « Il y  a des collègues qui se disent chrétiens mais qui laissent leur foi au porte-manteau avant de rentrer au Parlement ». En tant que prêtre je suis là pour accomplir ma vocation. Je suis là pour proposer et défendre l’Evangile, tout en cherchant à le cultiver dans mon cœur.
Certains diplomates souffrent du fait que, quand leur gouvernement change, ils doivent “changer d’opinion“ et défendre des choses contraires à leurs convictions. Nous avons la chance de ne pas être confrontés à cette contradiction.
La prière joue un rôle important, il faut des moments privilégiés pour cultiver son rapport avec Dieu. Je peux ainsi lui confier mon travail à l’ONU. Je le fais au palais au cours de la journée, mais surtout le matin après la messe. Et le soir je dépose tout entre ses mains, tout ce que j’ai pu faire, de bien ou de mal, avec la conscience d’être parmi les “servi inutili“.

Qu'est-ce qui retient particulièrement l’attention du Saint-Siège dans l’agenda des Nations-Unies ?

Certaines thématiques sont toujours présentes : la défense du droit à la vie, massivement violé dans cette période où l’on parle d’euthanasie et d’avortement. La “santé reproductive“ fait partie de ces expressions dangereuses qui sont souvent interprétées en faveur de l’interruption de la vie.
Nous travaillons beaucoup à défendre la famille. Nous suivons de longue date le dossier du désarmement, même si le dialogue n’a, ces dernières années, pas donné beaucoup de résultats. Nous sommes attentifs aux questions de développement, au sort des plus pauvres, surtout en ce temps de crise. Nous suivons un certain nombre de questions économiques pour tenter d’y distiller les principes de la Doctrine sociale de l’Eglise. Il y a encore de nombreux sujets… nous faisons ce que nous pouvons mais nous sommes une toute petite délégation.
En conclusion : c’est une mission passionnante !
 

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1 Commentaire

  1. Claire Fortin

    Merci beaucoup pour cette interview qui montre combien la place de l'Eglise dans tous les lieux de ce monde est cruciale.