Ben harper vient de sortir son 12e album : Get up! en collaboration avec le grand harmoniciste du Missisipi Charlie Musselwhite : « Je continuerai à sortir des albums dans le futur, mais ils ne seront jamais à la hauteur de ce que nous venons d’obtenir », dit-il. C’est un hommage longuement préparé à l’un de ses maîtres[1]. Retour sur quelques aspects souvent méconnus d’une œuvre toujours en recherche.
On connaît bien Ben Harper. La France a reconnu son talent bien avant les Etats-Unis. Mêlant des sonorités blues, folk, reggae, funk et rock, tantôt suaves et dépouillées, tantôt dures et virtuoses, sa guitare Weissenborn lap steel[2] posée sur ses genoux enflamme des concerts qui ont fait sa réputation, bien plus d’ailleurs que ses albums. C’est aussi pour sa profondeur humaine et spirituelle qu’il s’est forgé un public d’inconditionnels.
CC BY-ND The Cosmopolitan of Las Vegas
Des chansons comme Plaisure and Pain – selon les fans, sa première composition – sur son premier album Welcome to the Cruel World en marque le style et la recherche : « Si un jour je trouve la paix de l’âme, / je partagerai mon bien avec tout le genre humain. (…) / Alors, que le soleil brille ou que la pluie tombe, / je rends grâce d’avoir eu des yeux pour voir au travers. » L’album suivant, Fight for Your Mind prolonge ce combat. Mais dans le clair-obscur du monde, The Power of the Gospel, fait écho au Magnificat : « Il (l’Evangile) rend puissant le faible / et faible le fort / il remplira ton Cœur et tes mains / ou te laissera sans rien du tout / il est les yeux des aveugles, et les jambes du boîteux / il rend l’amour pour la haine et la fierté pour la honte. »
C’est alors que perce la conscience d’une mission : « J’entends quelqu’un m’appeler, avec tant de route à parcourir, un seul chemin peut te rendre libre » (On the Road To Freedom). Et dans son album suivant Jah Work, cette intuition s’approfondit : « Si tu écoutes de près ce que tu vois, tu entendras un appel. » Elle révèle la source d’une profonde compassion qui s’exprime tout aussi bien à travers de nombreux engagements humanistes. Ainsi, dans Give a Man a Home il chante : « T’es-tu déjà senti usé, t’es-tu déjà demandé par où commencer, as-tu déjà perdu ta croyance et vu ta foi tourner en douleur ? (…) Dans un monde dysharmonique, tu dois combattre pour garder ton âme. »
Après le premier de ses albums avec les Inocents Criminels, il sort Diamonds on the Inside. Merveilleux de justesse et de beauté, le disque réserve des surprises : le titre When she Believe est une révérence tendre au regard de Marie tandis que Picture of Jesus, se tourne vers la lumière du Crucifié. L’album se termine par l’hymne She is Only Happy in the Sun : « Je sais que tu ne voudras pas me voir, sur ton chemin qui descend des nuages, m’entendras-tu si je te dis que mon cœur est avec toi maintenant ? Elle n’est heureuse que dans le soleil, avez-vous trouvé ce que vous étiez après ? La peine et les rires vous ont fait tomber à genoux, mais si le soleil vous rend libre, vous serez réellement libre. » Cet aspect de son œuvre culminera avec There will be a Light, un album de gospel traditionnel enregistré avec les Blinds Boys of Alabama, amplement récompensé[3].
Ben Harper et Charlie Musselwhite se sont rencontrés au cours d’un enregistrement avec le maître John Lee Hooker en 1997[4]. Lors d’un entretien avec les deux artistes, le journaliste de l’Express rapporte : « Vous entendez ça ! Comment fait-il pour sortir le son d'un orgue Hammond, les cris de Coltrane ? » Musselwhite sourit : « Je fais comme toi. Je plonge aux tréfonds de l'âme. On ne peut pas faire du blues si on ne revient pas de loin. J'ai vu ma mère se faire tuer. J'ai eu faim, j'ai été SDF, alcoolique. » Dans cet album plus sombre que jamais, Ben Harper reste fidèle à sa veine gospel car le blues le plus obscur confine souvent à l’espérance paradoxale[5] : get up!
Pour aller plus loin :
L’Express vient de publier un article extraordinaire sur la parcours de Ben Harper : http://www.lexpress.fr/culture/musique/sur-les-routes-de-californie-avec-ben-harper_1212264.html
Un concert au festival de musique sacrée de Fès en 2011, accrochez-vous :
[1] « C'est mon modèle, dit Ben Harper. Un homme au parcours extraordinaire. » L’Express, Paola Genone, (23/01/2013)
[2] Le style unique de Ben Harper est fondé sur les sonorités des Weissenborn lap steel – des guitares d'origine hawaïenne dont on joue à plat, posées sur les cuisses – et sur la technique de slide, où l'on glisse une barre en acier sur les cordes. « Enfant, j'écoutais les bluesmen du delta du Mississippi, de la musique africaine, indienne… Je m'entraînais jusqu'à ce que mes doigts saignent. A 16 ans, je jouais dans les bars. » L’Express, Paola Genone, (23/01/2013).
[3] « GRAMMY® winner for Best Traditional Soul Gospel Album and Best Pop Instrumental Performance, "11th Commandment." The song "There Will Be A Light" was also nominated for Best Gospel Performance. » http://www.benharper.com/music/albums/there-will-be-a-light
[4] « J'ai commencé une improvisation avec lui, quand John Lee a crié : "Les gars… C'est ça le blues ! Continuez comme ça. Jouez pour moi quand je ne serai plus là !" Ce nouvel album, réalisé avec Charlie, est un hommage à ce grand artiste et à ses enseignements : le blues tient d'abord du feeling et se nourrit de toutes les musiques. » L’Express, Paola Genone, (23/01/2013).
[5] «That's where we really musically connected on a soul level and we knew then that at some point in our lives, some day we'd have to dig deeper into that. We both recognise that common tone that brings out the best in each other's instruments.»
«So what have I learned from him? I've learned how to be musically patient and how to be musically creative. You have to disconnect. You have to leave room in your spirit to let music come through, but you also have to be tuned in enough to move within it, so it's a fine line between 'being there' and not being there.»
«These guys are my heroes. If it weren't for these guys, there's no way I'd be making music. The old school, like Brownie McGhee and Lonnie Johnson, BB King and Albert King, and then also The Allman Brothers, Ry Cooder, Taj Mahal – that wave. To be able to make this record with what is the truest school of living blues – through Charlie's harp – for me, it is a dream realised. No dream is ever too old. Just keep sticking to it. Anything could have happened in those 18 years, between the time we met and now, but sure enough, we stayed the course and brought it to life.»
http://www.musicradar.com/news/guitars/ben-harper-on-get-up-569653
Sur les videos des concerts, on est frappé du paradoxe entre la puissance, voir la violence, de la musique de certains morceaux et la force pacifique qui émane de l'artiste imperturbable. Il s'emble en effet qu'un concert de Ben Harper soit plus qu'un concert.
En effet, au festival musique sacrée de Fès, mis à part le fait que la foule chante avec lui The Power of the Gospel, ce qui pourrait parraitre surprenant, à un moment, il exécute des improvisations vocales. La foule aplaudit avec des cris comme s'il s'agissait d'une performance, mais il demande à plusieurs reprises le sielnce : il semble donc qu'il s'agisse d'autre chose. Je crois quant à moi qu'il s'agit d'une prière.
A la fin, un moment émouvant où il fait monter les gens sur scène, dont une femme voilée qu'il salue en disant : "c'est un honneur". Tou entonne "Waiting for an Angel". Cela témoigne de l'intensité et de l'unicersalité de son message.
Je confirme, pour l'avoir vu à plusieurs reprises … Un concert de Ben Harper c'est plus qu'un concert! C'est un moment intense de communion où la magie opère à chaque fois: alors que sort du son qui pourrait déchainer l'hystérie collective, la paix s'impose par sa seule présence.
Pour info, Ben Harper & Charlie Musselwhite seront en concert au Montreux Jazz Festival, le jeudi 11 juillet 2013, à l'Auditorium Strawinski.