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Une porte au début du tunnel : la trêve des maras au Honduras

de Nicolas de Dinechin   13 juin 2013
Temps de lecture 5 mn

« Nous offrons zéro violence dans les rues, zéro crime. Ce n'est qu'un premier pas et nous le prouverons par les faits ». C'est en ces termes que les porte-parole des deux gangs les plus violents du Honduras, les maras Salvatrucha (ou MS-13) et Barrio 18 (ou M18), manifestaient, le 28 mai dernier, leur intention de commencer un chemin de réconciliation et de paix au sein de la société hondurienne. L'événement se produisait à San Pedro Sula, capitale économique du pays et ville déclarée la plus dangereuse du monde, dans l'enceinte de la prison où les principaux leaders s'adressaient à une centaine de journalistes nationaux et internationaux invités pour l'occasion, en présence de Mgr Rómulo Emiliani, évêque du lieu et principal instrument de ce petit miracle, et du secrétaire de l'Organisation des Etats Américains (OEA), Adam Blackwell.


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Au moment de convoquer la presse, Mgr Emiliani, qui travaille depuis plus de dix ans auprès des mareros incarcérés, restait lui-même très prudent : « Je ne suis qu'un médiateur, je ne suis pas vendeur d'espoir, mais je soutiens toutes les possibilités. J'ai moi-même eu beaucoup de déceptions sur ce chemin, parce que beaucoup des jeunes que j'avais vu se relever sont morts. Mais il faut leur donner leur chance. » Cependant personne n'imaginait que les déclarations – faites en deux temps, un groupe après l'autre, et en deux lieux différents de la prison – iraient aussi loin :

« Zéro violence, zéro crime… déclarait le porte-parole de la MS-13. Nous n'allons plus permettre à personne d'intégrer notre organisation, même s'il le demande. » « Notre trêve est avec Dieu, avec la société et avec les autorités. Nous demandons pardon, pardon à la société et aux autorités pour le mal que nous avons fait. » « Nous voulons montrer que nous ne sommes pas des monstres, et nous allons le prouver par les faits ; mais nous avons besoin de soutien pour pouvoir travailler et subvenir aux besoins de nos enfants, de nos familles. » « Je parle au nom de toute notre organisation, tant à l'intérieur des établissements pénitentiaires que dans les rues, sur l'intégralité du territoire ; tous les jeunes savent à partir d'aujourd'hui ce qu'ils doivent faire. »

De leur côté, les membres de la M18 affirmaient de même : « Beaucoup d'innocents ont été victimes de la violence et nous offrons la même chose que l'autre groupe. Nous y sommes tous résolus. Nous donnons notre parole de réduire la violence à partir d'aujourd'hui même, pour pouvoir nous réintégrer dans la société comme pères et êtres humains. » « Nos familles paient nos erreurs, nos enfants sont discriminés, nos femmes maltraitées, on nous persécute et au lieu de nous arrêter, la police nous exécute sommairement. Nous ne supportons plus cette violence, nous voulons un changement qui stoppe cette dynamique. » « S'ils le veulent (ceux de la MS-13), nous respecterons désormais leur territoire ; qu'ils respectent le nôtre, afin de calmer la violence ainsi qu'ils sont parvenus à le faire au Salvador.[1] » « Nous voulons le dialogue avec le gouvernement ; nous ne demandons pas de contrepartie autre que d'être aidés. Nous savons que le gouvernement fait ce qu'il peut avec les moyens qu'il a. Nous espérons, nous espérons qu'ils agiront de bon cœur. »


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Violence et maras

Apparu il y a 20 ans en Amérique Centrale, le phénomène des maras est un héritage à la fois des conflits armés de la région et des déportations, depuis les États-Unis, de jeunes délinquants affiliés à des gangs de rues – à la violence toute relative comparée à ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Essentiellement masculines, les maras offrent comme une famille « à la vie, à la mort » à des jeunes de 12 à 35 ans issus essentiellement de secteurs marginaux de la société et en recherche de repères. Ils s'identifient par des tatouages, des codes rituels qui affirment leur appartenance et les unissent contre le même ennemi – en général le gang adverse –, font régner la terreur et imposent leur loi dans les zones qu'ils contrôlent (c'est à dire pas moins de 2244 barrios et colonias des 14 principales villes du Honduras), exigeant parfois la complicité des habitants en échange de la vie sauve. L'instrument par excellence aujourd'hui de cette oppression est l'« impôt de guerre », un racket de type mafieux des commerces et même parfois des habitants des quartiers. La prison fait d'une certaine manière partie du parcours d'un marero, et c'est de là que les plus anciens continuent de dicter stratégies et délits. A qui voudrait quitter la mara, seules deux options sont offertes : se convertir en membre d'une église (protestante, catholique, mormone, peu importe) ou bien mourir ; Dieu est le seul qui justifie que l'on abandonne la mara.

Ces dernières années, les maras ont été rejointes au Honduras par les cartels de narcotrafic et des groupes de crime organisé en tout genre (trafics de véhicules, de ressources forestières, de médicaments, enlèvements, etc) se disputant le territoire et la route de la drogue vers les États-Unis.[2] Les gouvernements d'Amérique Latine ont tous parié jusqu'à récemment sur les solutions policières et militaires – les politiques de « mano dura », « tolérance zéro », etc. – manquant totalement leur objectif et provoquant au contraire une escalade de violence. Le Honduras détient ainsi la triste palme du pays le plus violent du monde, avec un indice officiel de 85,5 assassinats pour 100,000 habitants, soit près de 20 par jour pour une population à peine plus nombreuse que celle de la Suisse, dépassant même certains pays en guerre[3]. Et un taux d'impunité dépassant les 80 %.

Espoirs de trêve

La trêve annoncée ce 28 mai est entre autres le résultat de la fidélité de l'évêque auxiliaire de San Pedro Sula, Mgr Rómulo Emiliani, auprès des mareros qu'il accompagne depuis plus de dix ans dans les prisons. C'est lui qui a relancé il y a huit mois les efforts de dialogue auprès de chacun des gangs. Vu les compromissions multiples au sein des institutions civiles, seul un homme d'Eglise serait accepté pour ce genre de médiation ; c'est d'ailleurs à lui que les membres de la MS-13 avaient fait appel en 2005, pour une tentative de trêve qui finalement avorta au bout de deux mois[4]. Négociations longues et difficiles : il faut écouter, dialoguer, donner son opinion, suggérer, répondre patiemment. « Cela fait des années que je suis dedans, insiste Mgr Emiliani. C'est un chemin terrible de frustrations et d'échecs, mais c'est la seule manière qu'ils prennent conscience que cette route ne les conduit qu'à la prison ou à la mort. » C'est ainsi qu'ils découvrent peu à peu la nécessité d'un changement, explique-t-il encore, pour eux et pour leurs enfants, car c'est là un thème auquel ils sont très sensibles. Paradoxalement, c'est le plus engagé dans le processus qui manifeste le plus de doutes : les espoirs sont si minces à vues humaines, que seul le regard de la foi lui permet de suivre ce chemin, se nourrissant de petites surprises inattendues : « Les déclarations des deux maras ont coïncidé en presque tout ! Et pourtant, ils ne se parlent pas entre eux ; cela m'a beaucoup surpris. Les deux ont dit "zéro crime", l'une a dit "plus d'extorsions", plus d'assassinats à gages… c'est un pas énorme, car si cela se réalisait, ça serait une vraie bénédiction ! »


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Et si le 1er juin, soit trois jours après, on notait dans les colonnes du El Heraldo, un des principaux journaux du Honduras, un article entièrement consacré… au fait qu'il n'y avait pas eu de mort depuis plus de 24h dans la capitale[5] ! Il ne s'agit pas de crier victoire trop tôt. Cette trêve est très fragile et présente de nombreuses limites.

Une trêve extrêmement fragile

1. Tout d'abord, les plus sceptiques allégueront que les maras trouvent certainement leur compte à cette trêve, leurs trafics respectifs pouvant par exemple enfin se déployer « paisiblement » s'ils n'attirent plus l'attention de la police[6]. Néanmoins, on ne peut nier qu'un désir de paix soit présent chez beaucoup des mareros, qui ont vu tant de leurs amis mourir, et qui vivent la peur en permanence – il n'est qu'à constater l'angoisse de ceux qui s'apprêtent à être libérés de prison…

2. Les maras ne sont pas les seules responsables de la violence. Dans les mains de groupes criminels extrêmement puissants et capables de pousser leurs racines jusque dans les plus hautes sphères gouvernementales et policières[7], les maras ne sont qu'une pièce de l'échiquier, et le processus de pacification passe sans aucun doute par l'assainissement des institutions de sécurité et de justice de l'Etat ; certains pas ont été faits depuis un an, qui doivent toutefois encore prouver leur efficacité.

3. A la différence du Salvador où les leaders des deux gangs ont fait une déclaration commune il y a un an, ceux du Honduras ont très clairement notifié « qu'il n'y a pas de trêve entre gangs ». Le respect du territoire de l'autre a été mentionné, mais « il n'a pas été possible d'obtenir une trêve entre les gangs, ils continuent sur le pied de guerre. C'est malheureusement une saloperie de guerre civile entre jeunes Honduriens avec tous les moyens les plus terribles ». « Je ne comprends pas cette haine si terrible entre jeunes Honduriens pauvres, les uns contre les autres, je ne parviens pas à le comprendre… » (Mgr Emiliani)

4. La société elle-même peut faire tourner court cette trêve. Car une chose est que les membres des gangs veuillent s'intégrer dans la société, autre chose que la société accepte de leur faire une place… Tant de discours jusqu'à présent ont considéré ces jeunes comme un problème à éliminer, plutôt que comme le fruit d'un problème plus large. La vie pourrait être plus simple sans eux, même repentis ! Qui acceptera de mettre en place les moyens sociaux et économiques de leur réinsertion ? Qui leur offrira formation et emploi ? Qui prendra le risque de s'engager avec eux sur le long terme pour accompagner leur réhabilitation psychologique, afin que leur intelligence émotionnelle se déploie, qu'ils apprennent à contrôler les réflexes de violence qu'il est si difficile d'abandonner, spécialement lorsqu'ils se sentent menacés. Comme le mentionne encore Mgr Emiliani, « C'est un processus qui peut durer des dizaines d'années ! Il faudra au moins deux générations pour commencer à voir un véritable changement. Ce n'est qu'une semence, les fruits se verront au fil des années ».

Un des atouts pour assurer une pérennité au processus, est la présence et le regard des institutions internationales qui, fort du succès de l'expérience Salvadorienne, ne laisseront pas un gouvernement galvauder les efforts déjà faits. Et c'est la raison pour laquelle les promoteurs de cette trêve cherchent à intégrer au processus le plus d'acteurs possible (organismes internationaux, organismes religieux, société civile, entreprises, ONG…), afin que cette  nouvelle forme de combattre la violence se maintienne et porte ses fruits dans le temps, au delà des changements de gouvernement ou de circonstances.

« Humainement, je n'ai pas beaucoup d'espérances ; mais du point de vue de la foi, si… C'est un événement historique pour le Honduras, c'est le début de quelque chose de nouveau. Plus aucun des deux gangs ne veut de guerre ; bien que ça ne soit pas simple, c'est extrêmement positif pour le peuple hondurien. Le peuple hondurien désire tant la paix… »

 


[1] Le 9 mars 2012 au Salvador, suite au travail de médiation effectué par Mgr Fabio Colindres, évêque aux armées, et par le même Adam Blackwell, un pacte fut annoncé en prison entre les leaders de la MS-13 y de la M18. Cette trêve a eu pour conséquence immédiate la réduction de plus de moitié du nombre de morts. Réduction durable puisque le Salvador a vu son taux de criminalité baisser de 70 à 24 pour 100,000 habitants entre 2011 et 2012.
[2] Sur la place du narcotrafic dans l'explosion de la violence au Honduras, cf. http://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Studies/TOC_Central_America_and_the_Caribbean_english.pdf (en anglais).
[3] Chiffres de l'Observatoire National de la Violence de l'Université Nationale Autonome du Honduras : http://www.iudpas.org/index.php/publicaciones/cat-observatorio/126-pbl-bolnacionales. Les chiffres rapportés par l'ONU, qui s'appuient sur une estimation moindre de la population, sont encore plus pessimistes (92 pour cent mille) : http://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/homicide.html (lien « Homicide statistics »).
[4]
A titre d'illustration, voir le récit d'un bain de sang évité grâce à la médiation de Mgr Emiliani dans la même prison en mars 2012 (en espagnol) : http://www.laprensa.hn/Secciones-Principales/Honduras/Apertura/Romulo-Emiliani-Tan-solo-un-muro-dividia-la-vida-y-la-muerte#panel1-3
[5] http://elheraldo.hn/Secciones-Principales/Sucesos/Mas-de-24-horas-sin-muertes-violentas-en-Tegucigalpa
[6] Lire sur ce sujet le long et très complet récit de l'organisation et des tractations qui ont constitué la trêve entre les maras au Salvador il y a un an. Même si les conditions sont un peu différentes – les maras au Honduras sont beaucoup plus liées au crime organisé qu'au Salvador, et la trêve ne concerne pas les maras entre elles –, les problématiques soulevées sont cependant très semblables (en espagnol) : http://www.salanegra.elfaro.net/es/201209/cronicas/9612/
[7] Cf. l'analyse de l'Observatoire des Droits de l'Homme au Honduras (CONADEH) (en espagnol) http://www.conadeh.hn/index.php/7-conadeh/69-derecho-a-la-salud. Un chiffre révélateur : le Honduras était également en 2012 le pays avec le taux de journalistes assassinés le plus élevé au monde (rapporté à la population) selon l'UNESCO. Cf. http://www.argentinaindependent.com/currentaffairs/newsfromlatinamerica/honduras-most-dangerous-country-for-journalists/ (en anglais).

 

 

 

 

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