Samedi 31 août, 21h30 place de la Concorde : à la lueur de leurs bougies, des centaines de personnes silencieuses et paisibles entourées d'une quarantaine de fourgons de CRS sont assises à même le sol. En cette soirée de fin d'été, elles attestent que l'été n'a pas émoussé leur conviction. Plus que jamais, elles sont témoins d'espérance.
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Le contraste entre le déploiement des forces de l'ordre et le calme des "manifestants" est une fois de plus saisissant. Malgré les interdictions répétées de la préfecture de police, la soirée est maintenue et se déroulera sans le moindre incident. Le grand Paris des Veilleurs est prévu depuis plusieurs semaines. Il clôture la marche entreprise depuis le 11 août par ces mêmes veilleurs et qui avait pour but d'aller à la rencontre des Français. Bien que le groupe de marcheurs ait rarement rassemblé plus de trente personnes, la soirée du 31 août montre que le mouvement né spontanément au cours des manifestations ne s'est pas essoufflé. Ce soir, les autorités parlent de 200 veilleurs, les organisateurs de 5000. "Ce n'est pas le chiffre exact qui compte", rappelle Axel, pionnier du mouvement, "ce qui compte c'est que les personnes qui se rassemblent ici sont des citoyens libres."
Le thème choisi pour cette veillée de retrouvailles est "Mémoire et espérance". La mémoire pour ce patrimoine culturel dont les veilleurs souhaitent s'enrichir de soirée en soirée. "La culture est un vecteur pour éveiller les consciences" souligne le texte de Péguy choisit en introduction, exprimant la conviction profonde des veilleurs. L'espérance, pour ce qu'ils veulent transmettre dans une société frappée par le désenchantement. "Les veilleurs sont des citoyens qui s'interrogent", aime à rappeler Axel. "Ils ne cherchent pas à manifester ou à faire pression sur un pouvoir. Ils cherchent avant tout à découvrir l'homme !" C'est bien la beauté de la nature humaine qui est ici révélée à travers musique, poésie et essais. Parmi les auteurs que les veilleurs aiment à lire et citer, on retrouve Hugo, Saint-Exupéry, Eluard, Camus, Dostoïevski, Luther King… et ce soir plus particulièrement, Hélie de Saint-Marc.
Au nom de ce dernier, une nuée de mains se lèvent en un applaudissement silencieux, hommage à l'ancien officier décédé quelques jours auparavant. "Je suis venu vous parler d'un veilleur" annonce Étienne, l'un de ses proches. En quelques mots, il retrace la vie du jeune résistant envoyé en camp de concentration, qui s'engagea dans la légion étrangère à la libération, fut plongé dans la guerre d'Indochine, participa au putsch en Algérie et fut condamné à dix ans de prison. "Hélie était avant tout un homme qui s'interrogeait", explique-t-il, reprenant presque mot pour mot la définition des veilleurs donnée un peu plus tôt par Axel aux journalistes. "Il tenait le courage en haute estime et le mot courage est indissociable du mot engagement".
L'engagement. C'est finalement bien la finalité du grand Paris des Veilleurs. "Il est précieux et important que chacun d'entre nous s'engage", martèle Axel. "On n'est pas veilleur uniquement lors des veillées. Participer aux veilleurs n'est pas un engagement, ni une formation. On est un veilleur dans son quotidien. Engagez-vous pour les autres ! Aujourd'hui, ne pas s'engager c'est collaborer." Collaborer à quoi ? A une société où seul le bien-être personnel est promu mais où l'Homme n'a plus sa place. Et ce soir, alors que l'été touche à sa fin, qu'ils soient des centaines ou des milliers, les veilleurs témoignent qu'ils sont prêts à transmettre l'espérance.
Extraits de Toute une vie, d'Hélie de Saint-Marc :
"Les adolescents d’aujourd’hui ont peur d’employer des mots comme la fidélité, l’honneur, l’idéal ou le courage. Sans doute ont-ils l’impression que l’on joue avec ces valeurs – et que l’on joue avec eux. Ils savent que leurs aînés se sont abîmé les ailes. Je voudrais leur expliquer comment les valeurs de l’engagement ont été la clef de voûte de mon existence, comment je me suis brûlé à elles, et comment elles m’ont porté. Il serait criminel de dérouler devant eux un tapis rouge et de leur faire croire qu’il est facile d’agir. La noblesse du destin humain, c’est aussi l’inquiétude, l’interrogation, les choix douloureux qui ne font ni vainqueur ni vaincu."
"Un ami m’a dit un jour : « Tu as fait de mauvais choix, puisque tu as échoué ». Je connais des réussites qui me font vomir. J’ai échoué, mais l’homme au fond de moi a été vivifié."
"Je crains les êtres gonflés de certitudes. Ils me semblent tellement inconscients de la complexité des choses… Pour ma part, j’avance au milieu d’incertitudes. J’ai vécu trop d’épreuves pour me laisser prendre au miroir aux alouettes."
Merci pour ce beau témoignage.
David bailly