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La liberté, c’est donc être?

Mon neveu me dit, allongé sur sa serviette, caressé par le soleil, encore recouvert d’eau et de sel après une longue baignade dans la mer, qu’il aimerait que toute l’année soit le temps des vacances, qu’il aimerait que ce soit tout le temps l’été.

Qui n’a pas pensé à cela à un moment ou à un autre ? Pour lui, pas d’école, jouer, se lever tard, se coucher tard, quitter sa ville, profiter de l’été. Pour les adultes, du temps pour avoir le temps, pour se détendre, pour dormir, pour lire, pour se promener, pour faire la fête, pour manger. Du temps pour la mer ou la montagne, pour voyager, voir et savoir. Du temps pour de longues matinées de sable, de soleil et de sel, ou de longues siestes dans le jardin, à l’ombre et dans le hamac, ou de longues nuits en famille et entre amis, nuits de rires, de tables et d’étoiles. Du temps pour les longues promenades. S’arrêter et prier au lever du soleil. Regarder et savourer les couchers de soleil. Pour lire sans regarder l’heure. Pas de précipitation. Pas d’obligation. Pas de patron. Aucun engagement. Du temps pour soi.

 

© Analia Pasquali

 

Un ami me dit aussi que la liberté doit être quelque chose comme ça. Et bien qu’au début – comment ne pas le faire – on acquiesce et on partage cette idée, au bout d’un moment, on se dit qu’il y a là quelque chose d’étrange. La liberté est-elle seulement la possibilité de disposer de son temps pour les vacances et simplement d’en profiter ? La liberté serait la capacité de tout avoir pour soi, en toute tranquillité ? La liberté, serait de rejeter les engagements, les obligations, les efforts, les tâches, les emplois, pour être calme et serein, en paix et reposé ?

Il y a un temps pour tout, comme le dit Qohelet. Le repos est nécessaire. Mais cela ne fait pas un homme. C’est une condition pour quelque chose d’autre. C’est comme si la vie de l’homme n’était qu’une nuit de sommeil. Le repos, le temps libre est nécessaire, mais ce n’est pas ce qui donne à l’homme sa condition. Nous ne sommes pas faits pour vivre uniquement de nos loisirs. Nous sommes faits pour plus, pour faire des choses. Nous sommes – dans la catégorie biblique – des co-créateurs du monde, des collaborateurs de Dieu dans la création. C’est pour cela que nous sommes faits. Et cela implique travail, effort, fatigue, obligations, engagements, hâte, stress.

De ce point de vue, la liberté est plus que de renoncer à l’implication et à l’effort, plus que d’éviter la fatigue et le stress, plus que de vivre dans un loisir oisif et vacant, plus que de développer ses propres capacités, conditions et possibilités dans des efforts en adéquation avec la finalité à laquelle nous sommes appelés. La liberté, plus qu’une liberté de ne pas avoir à faire les choses, est en réalité une adaptation du faire à ce qui doit vraiment être fait, c’est faire les choses justes et adéquates, adapter sa propre vie à un projet ordonné et significatif qui fait de nous ce que nous sommes appelés à être. La liberté consiste donc à être et à faire ce que l’on est appelé à être et à faire, et pas seulement à faire ce que l’on veut faire quand on veut le faire et comme on veut le faire.

Cependant, cette manière externe  de comprendre la liberté a pris le dessus dans notre monde : la liberté comme absence de limitations qui permettent à l’homme de faire ce qu’il veut, quand il veut et comme il veut. C’est une énorme erreur, car les êtres humains sont précisément construits avec des limites. Des limites physiques – nous sommes grands, petits, forts, minces, hommes, femmes ; les limites temporelles – on nous a donné quelques années, une époque à traverser dans laquelle avoir 15, 40 ou 90 ans ne signifie pas la même chose; des limites psychologiques – capacités, aptitudes, dons ; des limites choisies – être médecin, ou journaliste, ou maçon, ou prêtre, ou facteur, ou enseignant – ; et oui, également des limites sociales auxquelles on ne peut pas renoncer – nous vivons avec d’autres personnes qui sont dignes de notre attention, de notre respect, de notre compréhension, voire de notre acceptation ou de notre tolérance, dans un cadre légal, dans un cadre culturel, dans un cadre social reçu. Tous nous conditionnent dans nos actions, certes, mais en même temps ce sont des chemins qui nous permettent de nous développer. Les limites – Huizinga et le jeu, Chesterton et les règles  – sont des possibilités de développement, des tremplins pour déployer la condition humaine et non des entraves qui la réduisent. Comprendre que ce que fait la norme, c’est restreindre la personne, c’est ne pas avoir compris ce qu’est l’être humain.

 

© Analia Pasquali

 

Le fait de ne pas comprendre cela s’accompagne de la subversion et d’une nouvelle conception de la condition humaine dans un mouvement profondément moderne, révolutionnaire et presque luciférien – comme celui dans lequel nous vivons – qui suppose que la condition humaine n’existe pas, qu’elle n’est qu’une construction culturelle médiatisée par des intérêts ou des influences historiques – libérales, capitalistes, dominatrices, patriarcales, cléricales, etc. Ainsi, ce mouvement conçoit la liberté comme la transgression de ces conditionnements, dans un mouvement de libération humaine, parce qu’il refuse d’accepter le réel, fruit d’une idéologisation du jugement, fruit d’une vision « conspiranoïque » de l’histoire. De manière adolescente.

Comprendre la liberté de façon adolescente – nous vivons dans un monde profondément adolescent en raison de l’absence de contrôle de soi, où les désirs sont moteurs de l’action, un monde de l’insouciance, un monde où les impulsions sont agents de l’action et de l’incapacité à accepter la réalité indépendamment de notre volonté – revient à ne pas comprendre la liberté ni l’être humain. À Ne pas l’accepter. À Ne pas assumer que la réalité a son entité en dehors de notre volonté. Que nous sommes des créatures.

La théologie la plus classique nous a déjà dit que la liberté est l’adaptation de la conduite humaine à sa véritable identité, à la loi naturelle, reflet de la loi éternelle, à la fin de plénitude à laquelle l’homme est appelé. La liberté consiste à agir en fonction de la véritable condition humaine, de sa créature, de sa vérité humaine, à la développer dans toutes ses capacités. On est d’autant plus libre que l’on agit conformément à sa véritable nature humaine, que l’on met son être et ses actes en conformité avec ce que l’on est appelé à être.

Dès lors, la question qui se pose est évidente et invite à la recherche et au discernement : qu’est-ce que l’homme est appelé à être ? ; comment être et développer toutes les capacités qu’il possède ? ; qu’est-ce que l’être humain en réalité ? ; qui est-il et pourquoi est-il là ?

 

Article écrit par Vicente Niño et publié sur El Debate de Hoy le 22 aout 2021

Traduit de l’espagnol par MC

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