C’est un geste diplomatique aussi original qu’audacieux que le président de la Fédération de Russie a adressé au peuple américain le 12 septembre dernier. Rien de moins qu’une « lettre ouverte » qui a le grand mérite de nous permettre d’écouter Vladimir Poutine directement.
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Plusieurs points sont abordés dans ce document :
1. La question de la légalité internationale
Le président russe commence par un rappel des relations russo-américaines depuis la seconde guerre mondiale : « Les relations entre nous sont passées par différentes étapes. Nous étions les uns contre les autres pendant la guerre froide. Mais nous avons aussi été des alliés, à une époque, et nous avons vaincu les nazis ensemble. L'organisation internationale universelle – l'Organisation des Nations Unies – a ensuite été mise en place pour empêcher qu'une telle dévastation jamais ne se reproduise ».
A l’inverse de la Société des Nations qui a échoué à établir la paix « Les fondateurs de l'Organisation des Nations Unies ont compris que les décisions concernant la guerre et la paix ne devaient se produire que par consensus, et avec le consentement de l'Amérique, le veto par les membres permanents du Conseil de sécurité a été inscrit dans la Charte des Nations Unies. La profonde sagesse de ce point a étayé la stabilité des relations internationales pendant des décennies ».
Le recours unilatéral à la force constituerait donc une atteinte aux fondements mêmes des Nations Unies basés sur le respect du droit. En somme la question posée pourrait se résumer ainsi « comment peut-on exiger que la légalité soit respectée si nous-mêmes nous n’appliquons pas les principes que nous défendons ? »
Aux accusations de soutien inconditionnel du pouvoir en place en Syrie le président russe répond plus loin : « Nous ne protégeons pas le gouvernement syrien, mais le droit international (…). La loi est toujours la loi, et nous devons la suivre que nous le voulions ou non. Selon le droit international actuel, la force n'est autorisée qu'en cas de légitime défense ou par la décision du Conseil de sécurité. Tout le reste est inacceptable en vertu de la Charte des Nations Unies et constituerait un acte d'agression ».
2. Les conséquences désastreuses d’un recours à la force qui soutiendrait les forces d’opposition
Une fois ces principes posés, Vladimir Poutine passe à la question syrienne pour noter tout d’abord que la Russie n’est pas si isolée sur la scène internationale que les médias occidentaux ne veulent bien le montrer. Une frappe sur la Syrie « malgré la forte opposition de nombreux pays et des principaux responsables politiques et religieux, y compris le pape, se traduira par davantage de victimes innocentes et une escalade, la propagation potentielle du conflit au-delà des frontières de la Syrie. Une attaque augmenterait la violence et déclencherait une nouvelle vague de terrorisme. Elle pourrait saper les efforts multilatéraux visant à résoudre le problème nucléaire iranien et le conflit israélo-palestinien et déstabiliser davantage le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord ».
Malmenant l’image officielle d’une guerre de libération entre une dictature méchante et des « rebelles » démocrates, le président russe rappelle que « La Syrie n'est pas témoin d'une lutte pour la démocratie, mais d'un conflit armé entre le gouvernement et l'opposition, dans un pays multireligieux ». Et ceci sans pour autant faire la part belle à son « allié » syrien : « Il y a peu de champions de la démocratie en Syrie ».
Ce qui préoccupe visiblement le maître du Kremlin c’est ce qui lui parait être un aveuglement manichéen des occidentaux vis-à-vis des opposants de Bachar-El-Assad. Il rappelle que certains groupes qui combattent en Syrie (comme « le Front Al Nusra » et « l'Etat islamique d'Irak et le Levant ») ont été inscrits par le département d’Etat américain comme organisations terroristes. D’où la mise en garde : « Des mercenaires des pays arabes combattent là-bas, et des centaines de militants en provenance des pays occidentaux et même de Russie, sont l'objet de notre profonde inquiétude. Ne pourraient-ils pas retourner dans nos pays avec l'expérience acquise en Syrie ? Après tout, après les combats en Libye, les extrémistes sont passés au Mali. Ceci nous menace tous ».
3. La question de l’utilisation d’armes chimiques
« Personne ne doute que le gaz toxique a été utilisé en Syrie. Mais il y a tout lieu de croire qu'il n'a pas été utilisé par l'armée syrienne, mais par les forces de l'opposition, afin de provoquer l'intervention de leurs puissants protecteurs étrangers, qui seraient du côté des fondamentalistes. Les rapports selon lesquels les militants (rebelles) prépareraient une nouvelle attaque – cette fois contre Israël – ne peuvent pas être ignorés ».
C’est ce point de la lettre qui a surtout attiré l’attention des médias occidentaux. Apparemment les « preuves » divergent et il est difficile de connaître la vérité. D’où sont partis les tirs ? Quel camp a lancé le gaz ? La thèse de Vladimir Poutine, aussi invérifiable pour le commun des mortels que celle des occidentaux a néanmoins le mérite de poser la question : « à qui profite le crime ? ».
4. L’échec de la résolution des conflits par la force
« Mais la force s'est révélée inefficace et inutile. L'Afghanistan est sous le choc, et personne ne peut dire ce qui se passera après que les forces internationales se seront retirées. La Libye est divisée en tribus et en clans. En Irak, la guerre civile se poursuit, avec des dizaines de morts chaque jour. Aux États-Unis, beaucoup de gens établissent une analogie entre l'Irak et la Syrie, et se demandent pourquoi leur gouvernement veut répéter les erreurs récentes.
Peu importe comment les frappes cibleront, ou les armes sophistiquées employées, les victimes civiles sont inévitables, y compris les personnes âgées et les enfants, que les frappes sont censées protéger ».
Vladimir Poutine souligne même que le recours à la force, loin de résoudre les conflits ne fait que les amplifier :
« Le monde réagit en demandant : si on ne peut pas compter sur le droit international, alors il faut trouver d'autres façons d'assurer sa sécurité. Ainsi, un nombre croissant de pays cherchent à acquérir des armes de destruction massive. Ce qui est logique : si vous avez la bombe, personne ne va vous toucher. Nous sommes partis de la nécessité de renforcer la non-prolifération, alors qu'en réalité cela s'érode ».
Pour conclure : « Nous devons cesser d'utiliser le langage de la force et reprendre le chemin du règlement diplomatique et politique civilisé ».
La fin de la lettre est de nouveau très originale : Le président russe dit qu’il a écouté avec attention le discours de son homologue américain à la nation mardi dernier, mais qu’il est en désaccord sur un point : lorsqu’il affirme que la politique des États-Unis est « ce qui rend l'Amérique différente. C'est ce qui nous rend exceptionnels ». Vladimir Poutine souligne « qu’il est extrêmement dangereux d'encourager les gens à se considérer comme exceptionnels, quelle que soit la motivation. Il y a de grands pays et les petits pays, des riches et des pauvres, ceux qui ont de longues traditions démocratiques et ceux qui cherchent encore leur chemin vers la démocratie. Leurs politiques diffèrent, aussi. Nous sommes tous différents, mais quand nous demandons la bénédiction du Seigneur, nous ne devons pas oublier que Dieu nous a créés égaux ».
Traduisons le diplomatique « nous » par un « vous », paternelle mise en garde contre toute tentative d’action qui se baserait sur une dangereuse auto-évaluation de sa supériorité.
Comment a été reçue cette lettre ? Le forum du NY Times (Plus de 4500 réactions à ce jour) semble montrer que les américains ne sont pas indifférents aux arguments développés par le président russe. Pour ou contre, un peu piqués au vif par la dernière remarque ils réagissent néanmoins. Les Européens n’ont pas cette liberté car la lettre est tout simplement passée sous silence. Aussi incroyable que cela puisse paraître devant cette initiative diplomatique exceptionnelle, elle a été rangée dans la catégorie des déclarations officielles dont la majorité des médias nous citent des bribes prises hors de leur contexte[1] ! Aucun site des grands journaux n'a retranscrit la lettre dans son intégralité. L’idée d’un Vladimir Poutine dictateur et ami de dictateur, ne cherchant qu’à défendre ses intérêts au mépris des droits de l’homme semble ainsi être devenue si fixe que toute affirmation qui ne va pas dans son sens est écartée d’un revers de la main. Ce qui ne manque pas d’interroger venant de la part de personnes se réclamant du monde « civilisé » et « libre ».
Lire l’intégralité de la lettre telle qu’elle est parue dans le NY Times :
http://www.nytimes.com/2013/09/12/opinion/putin-plea-for-caution-from-russia-on-syria.html?pagewanted=all&_r=1&
[1]A l’exception notable du site catholique « le salon beige » qui offre une traduction française intégrale de la lettre dans sa page du 12 septembre 2013.
Merci pour cet excellent article qui a le mérite de nous faire directement entendre la voix de Poutine. Cette tribune peut-être intégralement lue sur le site de agoravox, qui s'étonne aussi de ne voir aucun journal français la publier …. http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-scandaleuse-malhonnetete-de-la-140970
Nul doute que l'intervention du Pape François avec le mouvement mondial de prière et de jeûne qu'il a proposé n'ait trouvé un écho dans le Coeur si puissant de notre Mère.
On peut considérer que les rodomontades criminelles des nains de l'Elysée sont passées au 2è plan et ce n'est pas demain que des frappes aveugles vont ravager davantage ce malheureux pays au grand dam des marchands d'armes (500000e le missile Patriot, quand même !!! on comprend qu'ils soient fumasses …..)
Il est tout simplement ahurissant de voir un Poutine rappeler que Dieu nous a créés égaux et il est certain que nous pouvons voir dans les orthodoxes d'aujourd'hui des frères que peu de choses séparent !