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Baluchon Alzheimer ou l’école du cœur

La mission de l'association « Baluchon Alzheimer » est d'offrir du répit et un accompagnement aux aidants de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer et de pathologies apparentées. Rencontre avec Muriel de Béco, qui, après avoir « baluchonné » pendant 3 ans, coache désormais les baluchonneuses.

Une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer réalise progressivement qu'elle perd ses facultés cognitives : qu'elle a de moins en moins de mémoire, qu'elle perd la notion de l'espace et du temps. Par ailleurs elle sait très bien ce que signifie cette maladie. Elle en a entendu parler, elle connaît l'évolution de la maladie. Cela engendre en elle une angoisse épouvantable.

Les aidants de ces personnes qui vivent au quotidien avec elles sont parfois démunis ou tellement épuisés qu'ils ne voient plus la beauté de leur conjoint, de leur père ou mère. Ils ont un besoin prioritaire de prendre du recul, du répit, de se faire aider. Pour cela, ils peuvent faire appel à « Baluchon Alzheimer » : une « baluchonneuse » s'installe au domicile d'une personne atteinte, 24h/24h pendant une durée d'une semaine à 14 jours. La « baluchonneuse » prend en charge la personne malade ainsi que la gestion du quotidien… Et l'aidant peut alors prendre du repos, aller en vacances dans sa famille, ou bien souvent bénéficier de soins de santé.

Pendant le baluchonnage, on se retrouve seul à seul pendant 10 jours, on crée une relation véritable. Il y a des règles d'or pour pouvoir entrer en relation de personne à personne, de cœur à cœur avec des personnes atteintes. Il faut beaucoup de douceur, de patience, ne jamais forcer la relation, ne jamais contrarier… et « pour aller vite, aller lentement » ! Quand tu as vraiment suivi ces règles-là, à ce moment-là tu vois la personne beaucoup moins angoissée, tu lui donnes le temps d'être et tu ne la pousses plus à faire les choses « au bon moment et comme il faut ». Il est alors possible d'entrer en relation d'être à être. C'est possible avant tout en leur montrant que l'on peut être leur ami, en créant un lien d'amitié, d'amour, inconditionnellement, malgré tout ce qui peut se présenter. La personne t'ouvre alors à une vérité, à une liberté que tu n'as pas ailleurs. Tout cela permet une ouverture de la personne atteinte et est une invitation à être soi-même dans une profonde amitié.

Par ailleurs, « Baluchon Alzheimer » offre un accompagnement à l'aidant. L'outil principal est le journal d’accompagnement dans lequel les baluchonneuses relèvent « la beauté » de la personne atteinte comme de ce qui est vécu pendant le séjour. Cela permet aux aidants, en relisant les journaux de se dire « mais oui, ça c'est bien mon mari, mais parce que je suis trop fatiguée je ne vois plus cette perle ! ». De plus, pendant la journée de transition, l'intervenante observe les relations entre l'aidant et l'aidé et ensuite fait des propositions de stratégies qui peuvent améliorer la qualité de vie, la communication, la compréhension et l'accompagnement de la personne atteinte, sur base de ce qu'elle comprend au cours de son séjour au domicile et des situations difficiles que l’aidant vit et lui aura signalées. En effet, les aidants doivent souvent réapprendre à entrer en contact avec leur proche atteint. Car ce qui est très important à savoir c'est que le cœur n'a pas la maladie ! Les personnes atteintes ont des sentiments, des émotions, elles sont au contraire beaucoup plus sensibles, émotives qu'auparavant. Elles vivent en miroir avec les personnes qui les entourent. C'est par le cœur que l'on peut entrer en communication avec elles. Et ce malgré les problèmes de mémoire, les troubles dus au changement d'humeur… mais aussi malgré les difficultés engendrées par la perte des savoir-vivre, des normes éducatives, de ce qui peut mettre en danger la personne. Ces points-là sont très difficiles à vivre pour les proches car ils s'expriment par des comportements inadéquats, déroutants.

Les aidants doivent donc apprendre à entrer en contact, à reconnaître et valider ce que vit la personne, à ne pas se laisser démonter par les comportements inquiétants et à se poser la question : « Est-il en danger quand il fait ça ? ». S’il l'est, il faut intervenir. Si non, pourquoi ne pas le laisser faire ? Se demander : « Est-ce que cela dérange vraiment ? ». Par exemple : lors d’un séjour auprès d’une personne qui déambulait tout le temps, la baluchonneuse a découvert que ce Monsieur avait été facteur. La stratégie a été de lui donner des journaux, des enveloppes à ouvrir, à trier, des timbres à coller, quelque-chose qui lui permette de se sentir utile, en fonction de ce qu'il était avant. Pour toutes sortes de comportements qui déroutent, la baluchonneuse cherche comment leur trouver du sens.

On peut parfois relayer des culpabilités, des secrets de famille que la personne atteinte nous partage. Il faut cependant sentir, réfléchir, discerner sur ce qui peut être partagé, mais parfois cela libère toute la famille. 

Un autre exemple : une personne atteinte peut te dire : « Je veux rentrer chez moi voir ma mère », alors qu'elle est à son domicile et que sa mère est décédée depuis vingt ans. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Ça peut vouloir dire : « Je ne suis pas bien, je veux aller quelque part où je suis bien. » Il faut alors chercher pourquoi la personne n'est pas bien. Ça peut très bien aussi vouloir dire : « J'ai mal quelque part, j’ai faim, il y a trop de bruit, etc. ». Ça peut vouloir dire qu'elle veut parler de sa mère, qu'elle a de la nostalgie, ou « Montre-moi des photos, rappelle-moi ce bon temps, invite ma famille ». La personne parle de quelque-chose de présent, de son mal-être, de son inquiétude, mais avec des données du passé. Dans ce présent, il faut chercher à tout prix à apaiser, à sécuriser car la personne a perdu tous ses outils pour y faire face et a besoin de notre médiation.

Tu peux vivre en tant que baluchonneuse de très belles choses car il y a un côté tellement naturel, authentique chez les personnes atteintes, un côté « enfant », dans ce sens que la personne te fait totalement confiance, peut totalement dépendre de toi car n'a plus de repères. Il faut donc créer cette confiance avant tout.

Cette expérience permet aux baluchonneuses de grandir en charité, en écoute, en don d'elles-mêmes. Elle permet aussi de mieux se connaître, de mieux se comprendre personnellement, de débloquer certains aspects de la personnalité qui n’avaient pas été exprimés. Je me suis permise avec une personne de danser, de chanter, de jouer… 

C'est une école de vie, du cœur surtout !

d'Anne-Sophie Rotsaert 

Consultez le site : http://www.baluchon-alzheimer.be

 

Interview très émouvante du Docteur Marie Gendron, fondatrice de Baluchon Alzheimer Québec

 

Photo en page d'accueil : © Jean-Marie Porté

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3 Commentaires

  1. Leticia B

    Merci pour ce bel article! Les réfléxions sur la maladie d'Alzheimer de Mme Gendron, me font beaucoup penser à Anita, une femme atteinte de schizophrénie qui vit avec nous à la Fazenda do Natal au Brésil depuis plusieurs années. Elle est extremement sensible à la beauté, à l'amour, à la lumière, aux couleurs. Elle prêtre toujours attention aux détails et peut se réjouir de toutes petites choses: une fleur, un café, une musique, etc Sa présence est un vrai cadeau pour les enfants qui sont ici accueillis, pour les personnes qui passent, pour toute notre commuanuté.

  2. Muriel de Béco

    Merci Leticia !

    C'est si vrai ce que vous écrivez-là … J'ai connu Anita, j'ai aimé Anita et son coeur large ouvert aux petites choses avec leur beauté, leur secret seul visivle aux âmes simples.Sa belle sensibilité célébrait tout ce qui se vivait à la Fazenda. J'y ai fait un séjour de 7 mois en 2001-2002, à la maison de "Catherine de Hueck" et veillait sur Diego. Période pour moi de grand dépouillement et d'ouverture aux "petits" et à leurs richesses cachées. Période qui m'a menée tout naturellement à embrasser la belle mission de compassion qui est celle de toute "baluchonneuse".