Home > Littérature > TOLKIEN, 40 ANS APRES !

Il y a 40 ans, le 2 septembre 1973, s’éteignait J.R.R. Tolkien. De Tolkien, on connaît surtout ses œuvres : Le Seigneur des Anneaux, Bilbo le hobbit, Le Silmarillion… Autant de chefs-d’œuvres littéraires fantastiques qui en disent long sur l’artiste ! On le sait poète, écrivain, philologue et professeur d’université. Si la caractéristique de l’œuvre d’art fait aussi la caractéristique de l’artiste, Tolkien, révèle à travers son œuvre un homme d’exception, profondément humain, épris de vérité. Un ami. Retour sur un homme hors du commun.


CC BY-NC Galaxy fm

Un homme d'amitié

John Ronald Reuel Tolkien est né en Afrique du Sud en 1892 et y passe ses premières années. Sa mère et lui rentrent en Angleterre après la mort de son père : il est âgé de 8 ans. Ses premiers vers paraissent en 1911, année où il devient boursier à Oxford. Il passe ses derniers examens et, en 1916, avant de partir au front, il épouse Edith Bratt, une camarade d'enfance. Il revient de la guerre malade et profondément marqué. Durant la guerre, il se trouve inefficace. Il y côtoie également des jeunes paysans qui deviennent ses camarades et auprès desquels il découvre une vraie simplicité : « Tommy savait à peine lire et écrire mais était d'une réelle efficacité quand il s'agissait d'agir et de changer le monde à sa manière » [1]. Tolkien fut profondément marqué par cette simplicité et ce face à face avec la réalité. Il gardera cela comme un objectif à atteindre pour le reste de sa vie.

En 1926, il rencontre C.S. Lewis avec qui il lie une profonde amitié et surtout avec qui il discute de l’élaboration de leurs œuvres respectives : l’un parle de la Terre du Milieu et l’autre du Monde de Narnia. Il dira en parlant de Lewis : « L'amitié avec Lewis compense beaucoup de choses, et en plus de m'apporter constamment du plaisir et du réconfort, elle me fait beaucoup de bien, de ce bien que donne le contact d'un homme tout à la fois honnête, courageux, réfléchi, – un professeur, un poète et un philosophe -, et épris, enfin, après un long pèlerinage, de Notre Seigneur. » [2] Dans sa vie comme dans ses œuvres, on voit l’importance de cette notion d’alliance, de communauté, de partage d’idées comme une nécessité au service de l’accomplissement de l’humanité.

 

Un artiste épris de simplicité et de vérité

L'homme, l’artiste et l’œuvre ne font qu’un dans cette quête de simplicité, au sens de la locution latine « Simplex sigillum veri » (« La simplicité est la marque de la vérité »). Au quotidien Tolkien vit de cette simplicité, ancrée dans la réalité : « Il a un sens de l’humour simple, il aime fumer la pipe, boire une bière, raconter des histoires et  il déteste la cuisine française parce qu’elle est sophistiquée. Il ne rejette pas ce qu’il est et d’où il vient. Il est catholique, il est anglais, il essaie d’avoir une simplicité devant son héritage » [3].

Parallèlement, dans son processus créatif, il va tenter là aussi de rester le plus simple possible. Son désir initial était d’écrire des histoires passionnantes. Au fil des années il travaille et retravaille les mots, les langues et les personnages avec persévérance. « Les histoires jaillissaient de mon esprit comme si elles m’étaient données » disait-il. Mozart littéraire, Tolkien plonge dans ses œuvres et se laisse guider par elles jusqu’à devenir spectateur de celles-ci. Il s’insurge contre les allégories qu’on peut émettre au sujet de ses œuvres.

« Certes, dit-il, le conte est un récit fantastique, sorti de l’imagination, mais il est capable d’exprimer, mieux que tout autre genre littéraire, les vérités fondamentales sur l’être humain. En ce sens, le conte nous élève dans une autre réalité, un "monde secondaire", et l’histoire qui s’y déroule se présente à nous comme "vraie", c’est-à-dire cohérente avec la logique de cet univers ». [4]

Le Seigneur des Anneaux mettra 12 ans avant d’aboutir et Le Silmarillion restera inachevé à sa mort malgré 20 ans de retouches infimes et infinies. Mais pour lui l’objectif d’une publication n'était pas d'abord dans la publication. « La subcréation en elle-même était devenue un passe-temps qui apportait sa propre récompense, indépendamment du désir d’être édité. » [5]

Vocation de l’artiste qui s’efface devant son œuvre et qui s’en émerveille, mais aussi et surtout unité intrinsèque de l’œuvre et de l’artiste qui, en toute liberté, laisse jaillir ce qu’il est.

 

Un artiste profondément humble

Tolkien considère que son œuvre s’intègre pleinement dans une œuvre plus grande que la sienne, comme en écho à la beauté originelle, celle de la Création. Ainsi il évoque sa propre œuvre comme une « subcréation » qui parle de la nature humaine, de sa création et de son rapport avec Dieu. Le talent de Tolkien réside dans le fait qu’il met tout son esprit et sa capacité d’imagination au service d’une œuvre à laquelle il croit profondément : « Les mythes sont des inventions touchant la vérité. Nous venons de Dieu, et inévitablement les mythes créés par nous, en dépit des erreurs qu'ils contiennent, reflètent aussi des fragments éclatés de la lumière véritable, de la vérité éternelle qui est en Dieu. C'est assurément seulement en fabricant des mythes, uniquement en devenant un "sous créateur" et en inventant des histoires, que l'homme aspire à l'état de perfection qu'il a connu avant la Chute. Il se peut que nos mythes soient détournés, mais ils nous attirent sans relâche vers le port véritable, alors que le "progrès" matérialiste conduit seulement vers un abîme d’ennui. » [6]

A ce niveau, Tolkien assume sa nature d’être créé et fait retrouver à l'imaginaire sa verticalité transcendante. Par là même, il donne une unité et un sens à l'humanité qui dépasse la fantaisie et révèle sa grandeur et sa beauté. « Le cœur de l'homme n'est pas composé uniquement de mensonges, car il est sage d'une sagesse qui lui vient de Celui qui est très sage, et dont il est l'image. Quoique séparé de Lui depuis longtemps, l'homme n'est pas complètement perdu, ni entièrement changé. (…) Il traîne encore des lambeaux de sa grandeur passée. (…) Nous continuons de créer de la manière dont nous avons été créés. » [7]

Par son génie, Tolkien a su explorer toutes les facettes de l’esprit créatif humain pour révéler la beauté de l’humanité et de la création. Le lecteur saura peut-être pardonner ce portrait incontestablement inachevé. Il est une invitation à une suite dans la contemplation de ces œuvres, sans dénaturer l’artiste mais mieux encore, en faire un intime, un familier, selon sa propre quête et à son image.

d'Anne Beneteau


[1]Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, The Authorized Biography, Unwin Paperbacks, 1978.
[2]Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, The Authorized Biography, Unwin Paperbacks, 1978.
[3]Conférence du 18 décembre 2012 : Tolkien une simplicité Hobbit, Bertrand Alliot, Université Paris-Est Marne-la-vallée.
[4]Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, The Authorized Biography, Unwin Paperbacks, 1978.
[5]Humphrey CARPENTER, J.R.R. Tolkien, The Authorized Biography, Unwin Paperbacks, 1978.
[6]Mythopoiea, poème de J.R.R. Tolkien.
[7]Lettre 181, J.R.R. Tolkien (lettre datant probablement du début de l'année 1956).

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2 Commentaires

  1. Geoffroy

    Lire et relire Tolkien, une des grandes lignes de force de mon existence depuis l'âge de 12 ans…

    Au-delà de l'incroyable génie de création, une parole forte et lumineuse.

    L'apparence est trompeuse : il n'y a aucun manichéisme dans ses histoires. Tout est subtil et aboutit à une seule vérité : la puissance de la compassion.

    Figure phare de la littérature occidentale, Tolkien est resté toute sa vie humble et vrai. Comme quoi, le génie ne détruit pas forcément l'homme. On peut trouver la même simplicité et la même fécondité dans l'histoire de la musique chez le compositeur tchèque Antonin Dvorak.

  2. Geoffroy

    Je vous renvoie par ailleurs à la lecture d'un formidable petit essai d'Irène Fernandez (agrégée de philosophie, réputée pour ses articles concernant la théologie et la bioéthique), intitulé "Et si on parlait du Seigneur des Anneaux?"

    Analyse de l'univers de Tolkien passionnante et très bien menée.