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L’exposition qui se déroule actuellement au musée juif de New York apporte une lumière prophétique et christologique sur l’œuvre du peintre Marc Chagall. Durant la période de la Seconde guerre mondiale et de son exil aux USA, Marc Chagall mit en lumière le lien qui existe entre la croix, la mission de l’artiste et celle du peuple élu.


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1. l’artiste comme prophète

Marc Chagall décrit la mission prophétique de l’artiste dans un monde livré au chaos des guerres et des révolutions. L’exposition commence par une fresque de la révolution bolchevique. Au centre du tableau, Lénine en bouffon danse sur un bras au dessus d’une table. Marchand d’illusion, il tient encore le drapeau russe mais semble indifférent aux souffrances des hommes et à tout le sang qui se répand sur la gauche du tableau. A droite, quelques artistes ont leurs instruments et leurs palettes de peinture à terre, les tons blancs et clairs évoquent la beauté et leur vulnérabilité devant cette violence.

A partir des années 30, Chagall pressent la catastrophe qui va s’abattre sur l’Europe. Il peint « Solitude », un juif qui cache sa torah dans son châle de prière et détourne de la ville son regard plein de mélancolie et de peur.

Durant la guerre il explicite le lien entre l’artiste et la croix. Dans le tableau « Descente de croix », la plaque au dessus de la croix porte le nom de l’artiste, Marc Chagall. Son cadavre est descendu de la croix et remis à sa mère tandis qu’un ange lui tend la palette de peinture pour lui indiquer que sa mission ne peut s’arrêter et qu’il ne peut se taire malgré son agonie intérieure.


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Plusieurs toiles montrent l’artiste au pied de la croix, l’artiste qui peint la croix, l’artiste qui sur la croix n’a plus qu’un bras libre pour peindre ou encore l’artiste écartelé entre d’un côté son esquisse de la croix ou de la déposition et de l’autre la souffrance du monde ou le corps sans vie de sa femme Bella.


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Chagall nous dévoile ainsi la mission de l’artiste qui relie sa souffrance et celle du monde à la Croix du Christ. Il ne s’agit pas d’une annonce théorique puisqu’il est lui-même écartelé, crucifié ou brisé par la violence de la croix dont il détourne son regard :

Dois-je peindre la terre, le ciel, mon cœur ?
Les villes en flammes, mes frères en fuite ?
Mes yeux en larmes.
Où dois-je courir ou fuir, vers qui ?

2. le peintre prêtre

L’exposition révèle comment le Christ se substitue à la souffrance de chaque homme. Le crucifié a les traits du juif, du peintre, de l’homme de Vitebsk après la destruction de la ville par l’armée rouge, et plus souvent encore les traits anonymes de monsieur-tout-le-monde. Cette vision très humaine et actuelle du mystère de la croix exprime la compassion du Christ qui se substitue à chacune de nos croix. La croix n’est pas un événement du passé, elle est archétype de l’expérience humaine.

Chagall vit l’exil, la guerre et la mort de Bella, sa femme tant-aimée : il ne pourra alors plus peindre pendant presque un an. Il exprime son désarroi dans « la fuite de la sainte famille en Egypte » où Joseph est dépeint comme un arlequin. Chagall commente : « J’ai toujours vu les clowns, les acrobates et les acteurs comme des humanités tragiques ». Saint Joseph est l’homme chassé, il n’est ni accepté chez lui ni attendu ailleurs. Sa mission le dépasse et son costume de scène est un rappel qu’il ne peut compter que sur l’inspiration intérieure de la grâce pour suivre son destin. Saint Joseph est ici l’anawim de Dieu, un clown triste et apeuré qui n’a que cet accoutrement ridicule pour répondre aux armées d’Hérode.

 


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Le contraste entre la violence extérieure, la peur de Joseph et la tendresse de Marie et son enfant est un thème récurrent dans la peinture de Chagall. Dans plusieurs crucifixions, nous découvrons à côté de la croix la présence aimante de Marie et de son enfant ou la figure de son épouse Bella. Un tableau représente même sa femme décédée, en robe de mariée, enlacée au Crucifié.

La mission de Chagall est ainsi sacerdotale, il n’explique ni ne décrit la souffrance mais il cherche à la vivre humainement comme une porte vers le Mystère, un chemin d’expiation et de miséricorde, une école d’amour.

3. Jésus le grand roi d’Israël

Dans la grande fresque « La sortie d’Egypte », Chagall dépeint Jésus crucifié comme le nouveau Moïse qui embrasse du haut de sa croix l’ensemble de son peuple libéré de la servitude. Dans ses fresques bibliques, Chagall identifie plusieurs fois le peuple à un patriarche. Ici le peuple juif est identifié à son roi humilié sur la croix. Le peuple est libéré d’Egypte et unifié par l’expiation de la Croix.

 


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Chagall peint Jésus en croix sous les traits de l’homme juif, avec parfois un soldat nazi devant lui ou l’inscription explicite en allemand « Ich bin jude ».

La Croix apparaît comme le centre de la vie de l’artiste, du destin d’Israël et de l’histoire du monde. Le Christ est bien le roi humilié qui conduit à son achèvement la vie de chaque homme et de l’humanité.

Cette exposition place la mission de l’artiste dans son rapport avec le Dieu trinitaire. L’artiste est le serviteur souffrant configuré au Christ ; avec Lui il est cloué à la croix. Par son idéal et sa sensibilité, il ressent de façon plus dramatique le péché, il vit et accueille la souffrance dans une grande vulnérabilité et ne répond pas aux coups, il transmets ainsi aux autres hommes le sens de la rédemption dans le Fils.

« Je me lève dans la douleur
d’un nouveau jour, avec des espérances
non encore peintes
non gribouillées de peintures

Je monte
Vers mes pinceaux secs
Je suis crucifié comme Jésus,
Avec les clous plantés dans le chevalet

j’ai avalé votre lune
le rêve de votre innocence
pour devenir votre ange
pour vous contempler comme avant. »  (poème La peinture, NY, 1947)

L’artiste reçoit aussi de l’Esprit l’inspiration pour que son œuvre – au-delà des couleurs et de son projet personnel – atteigne une vérité universelle. La peinture de Chagall est profondément juive biblique et russe, mais elle dépasse toutes les frontières. La mission de l’artiste est d’ouvrir notre regard à l’universel et au toujours plus de l’obéissance personnelle à Dieu. Comme Abraham, Moïse ou Saint Joseph, l’artiste doit obéir à l’inspiration intérieure qui lui fait emprunter une voie qui semble folie pour la logique humaine. L’inspiration est le contact avec l’Esprit-Saint pour l’artiste, la voie intérieure qui le fait dépasser et offrir son talent. Cette inspiration intérieure est le sceau de la mission qu’il reçoit comme un don pour le conduire au Père :

Mais vous avez anéanti ma douleur,
et recouvert ma maison d’un voile
ouvert une nouvelle page pour moi
eévélé une nouvelle terre

Ne me laissez pas à la dérive au milieu de la mer
où des hordes de frères fatigués, impitoyables
me rappellent mon pédigrée et mon épreuve

Que ma voie s'étire sans menace
comment puis-je vous bénir, mon Dieu,
et quel jour vais-je jeûner ? (Sur le bateau,1941)

 

http://www.thejewishmuseum.org/exhibitions/chagall-love-war-exile

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4 Commentaires

  1. Arnaud de Malartic

    Merci beaucoup pour cet article. J’aurais aimé être à New York en ce moment pour visiter cette exposition. Juste une question: comment les juifs ont réagi ou réagissent aujourd’hui à cette présentation de la croix au sein de leur histoire comme le fait Chagall? N’est pas extrêmement osé de sa part d’avoir ainsi associé le plus fort symbole chrétien (la croix « scandale pour les juifs » selon saint Paul) et la vie de ce peuple ? Je suppose que cela a du heurter plus d’un juif orthodoxe…

    1. Les commentaires de l’exposition qui a lieu dans le musée juif de New-York sont très honnêtes par rapport à la signification christologique de la peinture de Chagall. Il n’y a aucune idéologie ou tentative de récupération d’une oeuvre qui dépasse le « pédigré » pour atteindre à l’universel. 

  2. Giannina Mogollon

    wow ,gracias por compartir me parece tan interesante le dire a mi hermana que esta en manhattan para que vaya a ver la exposicion