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« Au bord du monde », tout près des yeux

Sorti en salles le 22 janvier dernier, le documentaire « Au bord du monde » part à la rencontre des sans-abris de Paris, fantômes qui hantent les trottoirs de la ville et les couloirs du métro, omniprésents mais invisibles aux yeux de celui qui passe sans s’arrêter. Plus qu’une réponse à une curiosité médiatique sur la raison qui les a amenés à la rue, ce film cherche à illuminer la parole de ces hommes et de ces femmes, derniers philosophes de la Ville Lumière, qui nous parlent d’amour, d’amitié et de respect de l’autre : un vrai retour à l’essentiel.


Wenceslas © Sylvain Leser

La quête d’une vérité plus profonde
« On ne connaît que les choses que l’on apprivoise, dit le renard. Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n’existe point de marchands d’amis, les hommes n’ont plus d’amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi ! » [1]

Mus par une volonté d’aller sous la surface des choses, Claus Drexel, accompagné de Sylvain Leser (Directeur de la photo) et d’un ingénieur du son, ont arpenté les rues de la capitale durant toute une année. Les entretiens, menés chaque nuit comme de longues discussions entre amis, donnent force et dignité aux personnes filmées et agissent comme un miroir pour le spectateur. Ces SDF nous rappellent en effet constamment cette réalité : nous sommes faits pour la rencontre.

Notre connaissance de l’homme et de l’humanité reste limitée si nous ne scrutons pas les mystères de la compagnie et de la communion. La soif qui habite chacune des personnes interviewées ne semble étanchée que dans un rapport de personne à personne, dans l’attente d’un simple regard ou d’un échange.

Voilà tout le génie de ce film, qui durant 1h40, nous invite à un face à face très personnel, choc de deux solitudes. A l’instar de cet homme, qui après la projection du film, dans la salle, confiera combien il lui est difficile de poser les yeux sur ces personnes qui peuplent les rues de Paris. « Mais monsieur, aujourd’hui vous avez pris deux heures de votre temps à les rencontrer, ces gens de la rue. Et en plus, vous les avez regardés d’en bas, vous avez dû lever les yeux pour les contempler » lui répondra, avec beaucoup d’empathie, Sylvain Leser.

« Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde… » [3]

La Beauté au service d’une réalité difficile
Dès l’ouverture du film, le spectateur est saisi par la splendeur des images : le Paris de nuit revêt son plus bel écrin de lumières. Ce contraste est d’autant plus saisissant que la misère des personnes qui vivent sur ses trottoirs et sous ses ponts est immense. Au-delà d’un esthétisme paralysant, cette production de belles images se met au service de la parole recueillie et restitue toute la force et la profondeur des témoignages. « J’ai l’impression que les réalités les plus insoutenables doivent être abordées de la façon la plus douce, avec la meilleure composition, la lumière la plus belle, de manière à entraîner les gens dans l’image pour qu’ils comprennent que ces êtres qu’ils regardent et qui souffrent sont en fait des gens comme eux. » [4]


Christine © Sylvain Leser

La volonté d’avoir une très belle image, où chaque plan deviendrait un tableau, ne s’impose jamais au spectateur mais souligne délicatement la dignité des personnes rencontrées. Cependant, malgré une certaine stylisation, ce documentaire est bien loin de « mettre en scène » ses protagonistes. En témoigne la véracité des rencontres et des visages contemplés. « Au bord du monde » nous fait plonger dans l’existence de personnes profondément humaines, à l’exemple de Christine, qui à la question « Que faites-vous quand vous avez froid ? », répondra : « Je grelotte ».

« J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu’à une panne dans le désert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s’était cassé dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passager, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C’était pour moi une question de vie ou de mort. » [5]

Et si Christine, Pascal, Wenceslas, Costel, Jeni et Marco étaient pour nous les derniers rappels de ce que notre cœur désire profondément, et les gardiens d’un secret qui nous est petit à petit dévoilé : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible aux yeux ». [6]

Bande-annonce


[1] Extrait du livre « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry.
[3] Extrait du livre « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry.
[4] Citation de Sebastiao Salgado.
[5] Extrait du livre « Le Petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry.
[6] Idem.

 

2 Commentaires

  1. DC

    « C’est comme si ils considéraient que parce que tu es là, tout est fini pour toi, ce n’est même plus la peine de s’arrêter, ce n’est même plus la peine d’écouter. La non réponse au problème qui nous maintient ici, c’est ça le pire » Christine.
    Anaïs, ton article est magnifique, une grande maîtrise. Une fenêtre ouverte sur la réalité, une invitation à s’arrêter, à retrouver cette splendeur que voudrait traduire cette musique d’opéra et cette « si belle neige ».
    Vivement que ce documentaire sorte en DVD pour qu’on puisse le visionner depuis nos confins.

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