Orphée et Eurydice est l’une des pièces majeures de Pina Bausch, un opéra-dansé, créé à Wuppertal en 1975 et joué en ce moment à l’Opéra Garnier, à Paris. La chorégraphe allemande donne corps à la partition de Gluck dans une mise en scène épurée, où le dialogue s’instaure entre le chant et la danse. Les silhouettes gracieuses des danseurs nous entrainent dans ce monde mythologique par leurs expressions belles et fluides. Camille de Bellefon, l’une des danseuses du corps de ballet, nous partage ce qui se passe sur la scène.
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Quand et comment avez-vous connu Pina Bausch ?
CdB : Je danse depuis que j’ai 6 ans, mais la première fois que je me souviens vraiment avoir été marquée par Pina Bausch, c’est à 16 ans, en allant avec mon lycée à Wuppertal visiter sa compagnie et voir un de ses ballets. J’avais été alors très frappée par l’esprit qui régnait, par sa présence et par la beauté du spectacle.
En tant que danseuse de l’opéra de Paris, j’ai été ensuite amenée à danser « Le Sacre de Printemps ». Les répétitions avaient été très difficiles pour moi, très intenses, car il faut apprendre un vocabulaire nouveau en peu de temps. Ceci dit, une fois arrivée sur scène, avec l’orchestre, nous avons vécu ensemble une expérience unique. Pas maquillés, nous dansions dans de la terre sur la musique rythmée et angoissante de Stravinsky. Je me souviens de sentir tout le groupe essoufflé et presque arrivé à un état de transe. Cette expérience est unique pour les danseurs, qui restent ensuite spécialement soudés.
Vous parliez de vocabulaire nouveau. Que signifie danser du « Pina » ? Qu’est-ce que Pina apporte de nouveau ou d’unique à la danse ?
CdB : En effet, danser des ballets de Pina ouvre de nouvelles portes dans la danse.
Pina, c’est une émotion. La danse classique est parfois dominée par l’aspect technique alors que Pina amène ses danseurs à exprimer une émotion qui vient du fond d’eux-mêmes : c’est ce qui touche indéniablement le public. Pour parvenir à cela, elle prend du temps pour les connaître chacun, et créer un esprit de famille et d’amitié au sein de sa compagnie. De ce fait, la compétition qui règne souvent dans le monde de la danse semble disparaître avec elle. Au sein de sa compagnie, chacun a son rôle et sa place : le but n’est pas que tout le monde soit pareil, mais que chacun puisse donner le meilleur de lui-même. Cela rend les danseurs qui ont travaillé avec elle (et qui nous transmettent aujourd’hui ses ballets) particulièrement reconnaissants, humbles et généreux.
Ensuite, la chorégraphie de Pina se caractérise par son aspect théâtral. Elle donne l’impression que c’est Monsieur et Madame tout le monde qui danse. Elle rend le ballet beaucoup plus humain, « nature » en y plaçant des éléments et des costumes de la vie quotidienne et en nous surprenant par l’ingénuité de ses décors. Les mouvements très spécifiques qu’elle utilise dans sa chorégraphie parlent aussi beaucoup de ce qu’elle veut exprimer : elle utilise rarement les tensions, les extensions extrêmes de la danse classique, mais joue sur des positions ouvertes, généreuses. Dans son vocabulaire on retrouvera souvent les poignets tournés vers l’avant et moteurs de mouvements, les pieds positionnés d’une manière particulière et des grandes chaines humaines parfois comiques, parfois tristes… Elle introduit également une très belle complémentarité des sexes. Souvent, les hommes et les femmes dansent par groupes séparés et leurs danses sont très distinctes. Et lorsqu’ils dansent en duo, chacun dans le couple porte sa féminité/masculinité de façon magnifique.
Parlez-nous de ce ballet : Orphée et Eurydice
CdeB : Ce ballet est très différent des autres, parce qu’il y a en même temps le chant, la musique et la danse. Si j’avais à caractériser ce spectacle par trois mots, je dirais : drame, féminité, et harmonie. Le drame car c’est une histoire d’amour qui finit mal… Le deuil, le désespoir, la souffrance sont très présents. La beauté de la musique, de la chorégraphie et des voix (solistes et cœur) font jaillir ces émotions. D’autre part, je trouve beaucoup de féminité dans le ballet dû à la délicatesse des mouvements, à une certaine douceur, une fluidité, spécialement dans le haut du corps et les ports de bras. Peut-être aussi parce que Orphée et Eurydice (danseurs) sont représentés tous deux par des voix féminines. Et enfin, l’harmonie, qui semble caractériser le mieux toute cette œuvre. Les costumes, les décors et les lumières : sobres et épurés mettent en valeur les trois arts réunis.
Comme tous les autres danseurs – une vingtaine au total pour ce ballet –, je suis ravie de le danser. Chaque représentation est un moment magique et il y a entre les danseurs, une expérience commune unique qui a lieu au cours du spectacle.
C’est un vrai plaisir de danser « Pina ». A vous de vivre l’expérience de le voir !
Lien du site de l'opéra avec quelques vidéos : http://www.operadeparis.fr/saison-2013-2014/ballet/orphee-et-eurydice-christoph-w-gluck-opera-danse-de-pina-bausch