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Rencontre avec David Rastas, curateur de l’exposition « Corporéité et sexualité »

Australien d’origine finlandaise, David Rastas a étudié le commerce international au Japon puis l’histoire de l’art. Par ses expositions, il souhaite ouvrir un dialogue entre l’art contemporain et l’Eglise.


David Rastas © Paul Walter

David Rastas, comment a débuté votre carrière de curateur ?

J’étais intéressé à créer des opportunités ou à faciliter des rencontres avec l’art d’une façon qui rejoigne les personnes. J’étais convaincu dès le début du pouvoir de l’art de guérir et de faire bouger. Je travaillais à la galerie internationale de Melbourne où j’ai pu fréquenter et apprécier profondément de nombreuses œuvres. J’étais frustré de voir certaines œuvres religieuses enfermées dans des musées et en même temps de voir certaines églises enfermées dans le passé.

En 2006, j’ai organisé une exposition dans la cathédrale de Melbourne appellée « Croix et cataraxis ». Chaque artiste était invité à créer ou à donner une œuvre pour un endroit précis de l’église. J’ai donc « offert » une place à chaque artiste dans l’église. J’ai alors dû faire face à la colère de certaines personnes qui considéraient que ces œuvres avaient une signification sexuelle inapropriée pour une église. Cela m’a fait réfléchir et j’ai décidé d’organiser une exposition pour valoriser la signification du corps, puisque l’architecture de l’église représente bien un corps étendu en croix.

Ma rencontre avec le jésuite allemand Friedhelm Mennekes fut décisive [1]. Pour lui l’art est vital pour l’Eglise mais il a une tolérance 0 pour tout art « religieux ». Il décourageait déjà dans les années 80 la production d’objets de culte qui ne soient pas de l’art mais des « images ». J’ai mis du temps à comprendre son jusque-boutisme et sa radicalité. Je peux dire aujourd’hui à sa suite que je ne suis pas intéressé par l’art religieux mais par l’art dans des espaces sacrés, comme par exemple l’exposition « Corporéité et Sexualité ».

Pour beaucoup de nos contemporains l’Eglise signifie un groupe minoritaire lié à un passé révolu, comment conciliez-vous cela avec la dimension universelle de l’art ?

L’objet d’art a le pouvoir d’atteindre n’importe qui et aussi un groupe spécifique. Tout le monde peut saisir l’image de la mère et de l’enfant, mais la Pietà a des codes précis spécifiques à un groupe. Je ne suis pas intéressé à exposer des œuvres pour ceux qui se sentent à l’aise dans l’église, ce n’est pas mon audience même si je dois les prendre en considération. Je suis au service du bâtiment et de la tradition qu’il porte plutôt qu’au service d’un groupe. Mon expérience du bâtiment concerne davantage ses caractéristiques physiques que sociales.

Pourquoi vouloir aujourd’hui « ramener » l’art dans les églises ?

Il y a des moments historiques dans l’histoire de l’art qui sont particulièrement intéressants. Je pense au premières œuvres chrétiennes qui devaient avoir des « codes » inaccessibles pour le grand public. Je pense aussi à l’art byzantin où l’anonymat de l’artiste met l’accent sur l’objet et sa signification. L’art moderne par contre est un peu vide à mon point de vue. La priorité est l’expression, la forme et la rétrospection. C’est un passage nécessaire dans l’histoire de l’art mais je le trouve inapproprié pour l’Eglise. Cet art doit être contemplé de façon séparée et autonome et il n’a donc pas sa place dans une église. Il y a bien sûr des exceptions comme Chagall, Rothko, Matisse…

A partir des années 90, l’art contemporain apporte un nouvel élan et une grande liberté par rapport aux idéologies et aux projets. Les œuvres d’art moderne, surtout exposées dans une église, offrent une multitude d’interprétations, superficielles jusqu’à très profondes et personnelles. J’ai une préférence pour l’art contemporain qui me semble être le plus approprié pour les lieux sacrés et peut cohabiter avec l’art traditionnel et figuratif. L’art contemporain permet une réconciliation entre la tradition et le présent, voilà pourquoi j’aime aussi placer des objets anciens dans des églises modernes.

L’art contemporain est souvent perçu comme une provocation, une transgression. Comment concilier cet aspect avec un lieu sacré ?

La presse présente souvent l’art contemporain comme une insulte et il est vrai que certaines œuvres ont cette intention, mais ce n’est pas la caractéristique de l’art contemporain. L’art peut être provoquant, mais cela ne suffit pas, cela doit être mesuré et tempéré par une compréhension profonde. Le pouvoir de provoquer n’est pas l’apanage de l’art contemporain mais de l’art en général. Ce n’est pas cet aspect qui m’intéresse dans l’art contemporain, ce qui m’attire est au-delà de cela, une sorte de surprise, une expérience d’être sidéré.

Quel est le point de contemplation dans l’art contemporain ?

L’art contemporain n’est pas entre la subjectivité et l’objectivité. Depuis 1990, la position du spectateur est déplacée, le spectateur et l’espace font partie de l’œuvre d’art. Cela rend l’objectivation difficile. Les œuvres tendent à l’objectivité, les artistes aussi, mais dans la façon de présenter les œuvres émerge l’expérience d’un nous. Nous entrons dans un espace partagé, même si la signification est personnelle et subjective, les personnes découvrent souvent la même signification et la partagent. L’art d’aujourd’hui ouvre à l’expérience d’un nous.

Comment percevez-vous votre mission de curateur ?

Je ne perçois pas mon travail comme celui d’un curateur qui prend des décisions concrètes sur ce qu’il convient d’exposer. Je considère l’église à la manière d’un architecte. Je pense qu’il faut placer les objets en fonction de l’espace de façon à respecter les opportunités données par l’église. Je cherche aussi à engager les visiteurs dans une relation profonde et personnelle avec les œuvres, en restant présent et disponible pour eux, ce qui n’est pas la responsabilité du curateur.

Je n’ai pas une vision du métier ou du rôle de curateur car je ne veux pas avoir d’arrière-pensées lorsque je travaille. Ce qui me guide, c’est ma foi dans le pouvoir de l’art d’atteindre les gens. Je ne fais pas cela dans l’église pour convertir les gens à une idée de Dieu, mais pour favoriser une expérience personnelle et une rencontre avec Celui qui inspire ma vie, le monde, l’art. Cet esprit travaille lui-même dans le cœur des gens et je dois juste ouvrir un espace et le laisser travailler.

Si ma mission était de développer l’art religieux, ce serait kitch. Le mot beauté est un mot piégé. Personnellement je trouve de la beauté dans les lieux les plus sombres et les plus laids. Cette beauté n’est ni attirante ni jolie, elle est profondément dérangeante, mais elle rapproche de la vérité et en ce sens elle est belle.

Pour beaucoup de gens, l’impressionnisme est très attirant, pour ma part, je ne considère pas cela très profond. On peut présenter par exemple l’antithèse de la beauté pour faire comprendre ce que c’est en regardant ce qu’elle n’est pas. Le kitch par contre est un sous-produit de cette quête de beauté, c’est une distraction, dans la sphère religieuse, c’est une sorte de pornographie pour l’âme, cela ne montre pas la réalité. Si la recherche de beauté ne plonge pas au plus profond, elle est dangereuse.

Quels sont vos prochains projets ?

J’ai un projet d’une exposition à Berlin sur le pardon, une autre sur « Mysticisme et équilibre » dans un asile psychiatrique de Vienne et enfin des projets pour une exposition sur l’humour à la cathédrale de Paris et bien d’autres encore…

 


[1] http://www.artandreligion.de/index.php?idcatside=3

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1 Commentaire

  1. Merci Père jacques
    Et l’humour comme expo à Paris est une sacrée bonne idée, ou une idée bonne et sacrée, ou une idée sacrée et bonne…
    enfin! c’est sacrément bon et cela fera du bien!
    vivy

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