Le 15 octobre sortait en salle le dernier film du réalisateur Wim Wenders. Intitulé "Le sel de la terre", ce documentaire sur le photographe Sebastião Salgado nous entraine au cœur de la vie et du regard de cet homme. "Un photographe est quelqu'un qui écrit avec la lumière, dessine le monde avec des lumières et des ombres. […] comment aurais-je pu me douter que j'allais découvrir bien plus qu'un photographe" explique Wim Wenders au début de ce chef d'œuvre.
Wim Wenders nous a déjà offert de grandes rencontres avec ses documentaires sur Pina Bausch, Yohji Yamamoto, Ozu, le Buena Vista Social Club etc. Sebastião Salgado et son fils Juliano Ribeiro Salgado, co-réalisateur, l'ont cette fois invité à poursuivre une œuvre qu'ils avaient commencée ensemble : le fils suivait le père dans ses aventures photographiques tout autour de la planète, regardait cet homme passionné par les hommes et le filmait.
Qu'un réalisateur plonge dans le regard d'un photographe, qu'un photographe se laisse filmer par un réalisateur, voici un beau défi de complémentarité de regards, de passion commune, d'humilité à se laisser regarder et à se mettre à l'école d'un autre.
Sebastião Salgado nous raconte sa vie, ses rencontres, ses fascinations et ses souffrances. Le scénario chronologique nous introduit dans sa recherche incommensurable de vérité, de sens à toutes les situations et rencontres faites. Entrainé sans s'y être formé dans cette aventure photographique, il a fait plusieurs fois le tour du monde ; il a rencontré les plus pauvres ; il a été présent au cœur des plus grands drames de l'humanité ; il a cherché toujours ce qui donne une telle dignité à la personne humaine. Il sait qu'il reçoit un cadeau à chaque photographie, il sait qu'il est témoin d'un trésor historique à partager. C'est cela être photo-reporter, être témoin et donner à connaître au monde. La force d'un portrait est dans "les yeux qui racontent beaucoup", "tu reçois toute leur vie. C'est la personne qui t'offre la photo". "La qualité de la photo dépend en fait de la relation qu'on a su établir avec les gens que l'on photographie. La photographie est un acte d'amour. Elle offre la possibilité d'approcher les gens et de vivre avec eux." [1]
Entre son histoire familiale, la beauté des paysages de sa ferme natale qui lui a façonné un regard en contre-jours et immensités, et sa découverte des cultures, des peuples, de la nature, Sebastião Salgado dévoile simplement l'expérience de toute sa vie. Il a plongé dans la beauté de peuples ignorés, dans les souffrances nues des hommes exilés, mourant de faim, si pauvres et si dignes. Il a pleuré avec eux, il a vu les ténèbres du cœur de l'homme. Les drames humains du Rwanda, Soudan, Ethiopie, etc, sont le gouffre du mal et aussi une école de sincérité sur tout ce qui se vit dans les camps de réfugiés : "Lorsque je quittai le Tigré pour le Soudan afin de suivre les réfugiés, il y avait des instants très drôles, on riait, les enfants jouaient, oui, même en mourant de faim, j’ai vu des enfants qui continuaient de jouer. Il y avait une scène d’amour incroyable entre un couple sur le point de mourir, il y avait une intensité de regard et de gestes, et la lumière était aussi belle que le paysage environnant. Car ces gens voient la beauté. (…) Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est plus seulement l’homme africain qui est en train de mourir mais nous-même. Nous devons penser à eux comme nous pensons à nous." [2]
Habité par tous les morts qu'il a croisés pendant ces années de reportages sur "Exode", Sebastião Salgado est tenté de laisser tomber la photo, "je ne croyais plus au salut de l'espèce humaine" explique-t-il. Wim Wenders s'attache alors à sa renaissance. "C'est la nature qui l'a guéri, qui lui a redonné foi en l'humanité. Le sujet du film était là : j'ai raconté cette renaissance" [3]. Tout d'abord grâce au projet de reforestation de la ferme familiale du Minas Gerais (Br). Leila en a l'intuition devant la souffrance de son mari. Elle sait, elle qui le soutient depuis les débuts, les premières audaces de reportages, les premiers voyages où elle attend patiemment son retour. La nature a ce secret de vie. Elle est beauté, origine et grâce qui redonnent espérance et goût à notre histoire. Alors un nouveau projet prend vie – Genesis – et – Sebastião Salgado reprend son appareil. "Pendant huit ans j'ai pris le temps de voir", dit-il humblement après toutes ces années de photo-reportage ! Il fait des milliers de kilomètres pour revenir comme à l'origine des temps, dans une "vision plus optimiste", pour écrire cette "lettre d'amour à la planète" et compléter comme le cycle de toute sa vie : de la beauté de sa ferme d'enfance, à celle de notre terre. Et remettre ainsi l'homme au centre en contemplant la création dans son unité. Dix ans de travail pour monter Genesis, cette dernière œuvre, cette ode à la création.
Filmé en contre-jour de ses photos, Sebastião Salgado en explique substance et détails. Cette technique où il apparaît en transparence de ses photos est une éloge à l'unité entre photographe et photographié. Wim Wenders alterne descriptions historiques et anecdotiques avec des courts métrages sur la famille Salgado. De l'émouvante rencontre avec Sebastião Salgado père aux audaces aventurières dans des régions inaccessibles, tout est passionnant. Que l'on connaisse déjà Sebastião Salgado ou non, cet hommage à son œuvre et sa vie est une école du regard sur toute la réalité, sans rien en esquiver. "Je savais déjà une chose de ce Sebastião Salgado, il aimait vraiment les êtres humains, après tout, les hommes sont le sel de la terre ".
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