Home > Cinéma, Théâtre > « Le privilège de la vie »

Sélectionné à Cannes, « Perfect Days » de Wim Wenders a reçu le prix d’interprétation masculine pour la performance de Koji Yakusho. Le film est né au Japon et c’est peut être l’une des premières raisons qui fait qu’il nous surprend, car il nous plonge dans une culture où le rapport au temps, à la nature, aux autres est différent.

 

 

L’autre source d’étonnement du film est la durée du silence, une bonne demi-heure avant que ne soit prononcé le premier mot. Ce silence qui sera suivi de nombreux autres dans le film, nous « oblige » à faire peu à peu taire nos bruits intérieurs, il nous « oblige » à d’abord regarder, à entrer dans tous les petits gestes du quotidien de cet homme, Hirayama, nettoyeur des toilettes publiques de la ville de Tokyo. Ce silence nous permet peu à peu d’entrer dans la simplicité de sa vie quotidienne. Une vie rythmée par les mêmes gestes répétés chaque jour, un rythme que l’on retrouve même durant les jours de repos. Et pourtant il ne semble y avoir aucune lassitude, ce quotidien monotone n’est pas vécu comme un poids. Il fait son travail avec une grande précision, il s’assure de la propreté des toilettes mêmes dans les endroits que personne ne peut voir, il ne recherche aucune reconnaissance, n’attend aucun merci. Il est perfectionniste et en même se laisse déranger par les personnes et attend sans impatience de pouvoir finir son travail.

« Il est heureux. Il fait un travail qu’il aime, qu’il adore faire bien. Il ne le fait pas pour lui, il adore le faire pour les autres. Il adore sa routine parce qu’il est perfectionniste, il le fait d’une manière parfaite, et ça devient plutôt un rituel qu’une routine (et ça fait une grande différence) » [1]Citation de Wim Wenders dans l’entretien sur France Inter .

Le génie de Wim Wenders permet de comprendre grâce aux changements de rythmes, de plans, que cette routine du quotidien n’est pas une répétition de gestes posés, toujours les mêmes, mais chaque moment est un instant unique. Et on se surprend à anticiper avec tendresse le geste suivant… Au cœur de ce quotidien, ce qui est central ce sont les rencontres. Il y a beaucoup de tendresse et un brin d’humour. La femme qui mange son repas à quelques mètres de lui, elle aussi toujours assise sur le même banc, la serviette posée sur ses genoux et sans mots, une reconnaissance mutuelle de la présence de l’un et de l’autre. Le mendiant qui tantôt embrasse l’arbre ou se retrouve au milieu de la circulation perdu, insolite ; son jeune coéquipier et son amie ; la libraire ayant toujours un commentaire quant au livre acheté ; le serveur chaque jour enthousiaste de le voir s’installer à sa table. Le silence d’Hirayama génère en lui une vraie hospitalité du cœur et une vraie écoute.

« Ce qui me dérange le plus aujourd’hui, c’est que les gens ont tous des opinions. Et à part leurs propres opinions, ils n’écoutent plus rien ; ils écoutent seulement ceux qui sont d’accord avec eux. Et ça, c’est terrible. Écouter, entendre l’autre, c’est ce qui compte le plus » [2]Ibid .

Hirayama laisse entrer en lui chaque personne, chacun des mots de l’autre, la souffrance de chacun, mais il ne cherche jamais à résoudre la situation : par exemple, il glisse simplement la cassette dans le sac de la jeune fille émue par la chanson de Patti Smith. Il ne la juge pas, il ne cherche pas à changer sa vie. Il accueille sa nièce qui a fugué sans rien lui demander, sans chercher à la faire parler, à la conseiller : simplement il lui donne sa chambre se contentant de dormir dans la cuisine, il l’introduit dans sa vie, partage avec elle son quotidien. Et ce silence, cette présence qui écoute, amène à la confession.

Dans l’une des dernières scènes du film, Hirayama voulant se rendre dans son restaurant du week-end, tenu par une femme qui ne le laisse pas indifférent, la surprend dans les bras d’un inconnu. Ce dernier le rejoint au bord de l’eau le soir et lui révèle qu’il est l’ancien mari de cette femme. Il est malade et sait qu’il va mourir. Il est venu pour dire merci, mais non, c’est plus que cela, pour demander pardon, mais c’est encore autre chose, il est venu tout simplement pour la voir. Et Hirayama reçoit ces mots sans un mot et propose à l’homme de jouer ! Il s’agit d’attraper l’ombre de l’autre et nous les voyons comme deux enfants rire en jouant.
Hirayama est un homme heureux. En lui surgit une joie non feinte, mais jaillissant de son attitude intérieure la plus profonde : simplement accueillir ce qui est tel que c’est donné à chaque instant.

 

References

References
1 Citation de Wim Wenders dans l’entretien sur France Inter
2 Ibid
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