Avec le Synode pour la famille lancé il y a quelques semaines, le Pape François a voulu affronter le problème douloureux des « divorcés remariés », encourageant un débat ouvert afin de laisser émerger des solutions nouvelles.
Cependant le déroulement de cette première session a laissé chez beaucoup un sentiment de malaise, voire une profonde inquiétude. Il a donné l’impression qu’un rythme et un agenda particulier étaient imposés comme de l’extérieur. C’est ce qu’un vaticaniste appelle « la patiente révolution du Pape François » : « Ni les ouvertures en direction d’une autorisation de communier qui serait accordée aux divorcés remariés civilement – et donc l'acceptation de ces remariages par l’Église – ni l'impressionnant changement de paradigme en ce qui concerne l’homosexualité qui a été introduit dans la "Relatio post disceptationem" n’auraient été possibles sans une série de démarches habilement calculées par ceux qui avaient et qui ont le contrôle des procédures. » [1]
Bien sûr le texte final a écarté toute ouverture de la communion aux divorcés remariés et les tentatives de changer la position de l’Eglise sur l’homosexualité ont été vigoureusement écartées par les Pères synodaux. Cependant cela nous laisse avec le sentiment que « le mal est fait » car tous ces évènements ont reçu un très large écho : « Le nouveau verbe réformateur qui est en tout état de cause mis en circulation dans le réseau mondial des médias a plus de valeur que le succès qui a été effectivement obtenu auprès des pères synodaux par les propositions de Kasper ou de Spadaro. » [2] Il suffit de consulter la presse du lundi 13 octobre pour s’en rendre compte. [3]
Par ailleurs, comment ne pas s’étonner que quelques mois seulement après sa canonisation l’héritage de saint Jean-Paul II (« Pape de la famille » comme l’a qualifié le Pape François) soit complètement battu en brèche ?
Cependant on ne peut résoudre la question en la réduisant à un débat purement moral voire canonique sur la question de l’accès des divorcés à la table eucharistique car le problème est beaucoup plus grave encore. Un article du Cardinal Ruini publié au début du Synode est passé inaperçu alors qu’il pose un problème fondamental : aujourd’hui un nombre important de baptisés qui se marient n’ont pas la foi : « La question se pose donc de savoir si ces personnes peuvent contracter de manière valide un mariage sacramentel. » [4] Or, « la foi appartient à l’essence du sacrement » et donc si cet élément vient à manquer, le mariage ne peut être valide.
Cette constatation pose de manière cruciale la question du discernement et de la préparation au mariage – deux thèmes peu abordés au Synode. Car n’est-ce pas là en effet que tout se joue ? On a beaucoup parlé de l’exigence de la vie de famille selon l’Evangile, mais aide-t-on suffisamment les jeunes à discerner leur engagement et à se préparer convenablement – et donc pas seulement par des cours mais par un vrai accompagnement ? En ce sens, comment comprendre qu’un consacré reçoive des années de préparation, de cours et de discernement avant de faire ses vœux alors que la plupart des couples doivent se contenter de quelques heures (ou comme on l’a vu dans une paroisse doivent payer une pénalité s’ils n’y assistent pas… mais sont quand même mariés !) ? Que dire aussi de la formation de ceux qui conduisent ces préparations et aussi de leur adhésion réelle à la vision catholique du mariage ?
Jean-Paul II avait depuis ses années de jeunes prêtres une très forte conscience du besoin des jeunes d’être formés à l’amour et de la responsabilité des prêtres vis-à-vis d’eux : « Cette vocation à l’amour est, bien sûr, un élément qui suscite un contact des plus étroits avec les jeunes. Une fois devenu prêtre, je m’en suis très vite rendu compte. Je sentais une sorte de sollicitation intérieure en ce sens. Il faut préparer les jeunes au mariage, il faut leur donner un enseignement à l’amour. On n’apprend pas l’amour, et il n’existe pourtant rien qu’il faille autant apprendre ! » [5]
L’éducation à l’amour est une éducation à la foi car seule la grâce peut permettre au couple de traverser les épreuves de la vie : « Le mariage sacrement ne peut correspondre qu’à cette éducation à l’amour qui se développe sur la base de la vérité que Dieu est amour et que l’amour est Dieu… Réaliser cela signifie collaborer avec la grâce de l’amour. » [6]
Plus que jamais l’Eglise doit être Mater et Magister, et permettre à chacun, surtout celui qui est le plus loin de découvrir sa vocation à l’Amour révélée par le Christ.
[1] Sandro Magister, « La véritable histoire de ce synode. Le metteur en scène, les exécutants, les assistants », http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350897?fr=y
[2] Idem
[3] Ainsi à titre d’exemple l’édition électronique du Figaro du 13 octobre titrait-il « Divorcés remariés : l’Eglise Catholique prête à donner son feu vert »
[4] Cardinal Camillo Ruini, L’Evangile de la famille dans l’Occident Sécularisé, http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350894?fr=y
[5] Jean-Paul II, Varcare la soglia della speranza. Intervista con Vittorio Messori [Entrez dans l’espérance. Interview de Vittorio Messori], Mondatori, Milano, 1994, 138.
[6] «Il matrimonio-sacramento corrisponde solo a quell’educazione dell’amore che si sviluppa sulla base della verità che 'Dio e amore' e 'l’amore è da Dio'». «Realizzare queste verità significa collaborare con la grazia dell’amore» Karol Wojtyla, «Educazione a l’amore», cité dans http://www.aleteia.org/it/religione/articolo/libro-giovanni-paolo-ii-educazione-amore-famiglia-5910242126725120
Je souhaiterais commenter sur ce passage : « aujourd’hui un nombre important de baptisés qui se marient n’ont pas la foi : « La question se pose donc de savoir si ces personnes peuvent contracter de manière valide un mariage sacramentel. » ».
Il me semble erroné de dire qu’un baptisé n’a pas la foi. Qu’il ne l’ait pas cultivée, qu’il s’efforce de la nier et de lutter contre, sûrement. Mais Dieu lui a fait le don de la foi le jour de son baptême, et ne la lui a pas reprise. Il l’a reçue, qu’il le veuille ou non. C’est peu ou prou ce que nous avait dit le prêtre qui nous a (bien) préparés au mariage mon mari et moi, en nous expliquant qu’il ne pouvait pas célébrer le mariage comme si mon mari n’était pas baptisé même s’il se prétendait non croyant…
Dieu nous fait le don de sa grâce le jour de notre baptème, c'est à dire qu'il dépose en nous la vie qui est en lui avec la possibilité de la développer.C'est la foi qui le permettra, mais elle ne peut résulter que d' un acte libre et volontaire de notre part.
Merci de poser clairement ces questions… Sans doute n’étions-nous plus habitués à ce qu’il y ait débat dans l’Eglise: ce fut pourtant le cas, pendant des siècles, au moins jusqu’au Concile de Trente.: mais ce n’était pas sous le regard des médias. Il me semble qu’en se qui concerne le mariage, l’Eglise a cru prématurément l’avoir christianisé. Or le mariage tel que nous le connaissions encore jusque dans les années 60 ne provenait pas uniquement du christianisme. C’était un héritage du droit romain dans lequel bien des éléments entraient en compte: transmission du patrimoine , alliances entre familles, liberté relative des conjoints face aux volontés paternelles , pression sociale hostile au divorce. En réaction contre la Réforme, le concile de Trente définit les fondements théologiques du sacerdoce mais non ceux du mariage, considéré comme habitude sociale nécessaire: il se contente de définir juridiquement le sacrement. Pensant les choses acquises, l’Eglise accepte de bénir les unions sans véritable préparation. Dans la seconde moitié du XXème siècle, l’émancipation des femmes va de pair avec la multiplication des divorces. Dans le même temps, la théologie du mariage est développée à frais nouveaux sous l’influence, entre autres, de Karol Wojtyla , du P.Henri Caffarel et du Concile. Mais, là aussi, « le mal est fait »et la prise de conscience trop tardive: on s’aperçoit que nombre de fiancés ne réalisent pas la dimension sacramentelle de leur mariage dans sa profondeur théologique. Et pour cause: il y a eu transmission d’habitudes matrimoniales respectables, parfois édifiantes, mais pas d’une présentation du mariage comme « vocation » chrétienne . Il n’est que temps de s’en préoccuper, en s’appuyant notamment sur l’enseignement de Jean-Paul II. Mais il faut bien, aussi, se pencher en attendant sur les situations difficiles léguées par le passé.
A voir l’excellent livre de Pierre-Hervé Grosjean; Aimer en vérité, concernant la préparation des jeunes, des couples à la vie affective et en vu du mariage, dans la ligné de Saint Jean-Paul II. Accessible pour croyants et non croyants, ceux qui veulent bien lire. Un beau cadeau, même pour les couples mariés.
»Depuis des années qu’il rencontre et écoute des jeunes, l’abbé Grosjean les connaît bien. De son expérience d’accompagnement et de ses conférences, il a recueilli le meilleur pour répondre à toutes leurs questions sur la construction d’un amour vrai. »
Personnellement, je me réjouis des nouvelles intonations dans le discours écclésial sur les personnes homosexuelles. Etre plus audacieux dans l’accueil ne signifie pas sacrifier la doctrine (qui reste valide), mais revient à reconnaitre que certaines personnes n’ont pas la possibilité de s’y conformer pour des raisons qui ne sont pas du ressort de leur liberté, mais sont néammoins appelées à devenir disciples du Christ et à faire partie de la communauté des fidèles.
Le cardinal Müller vient de rappeler combien une telle vision des choses est impossible : « Chaque division entre “théorie” et “pratique” de la foi serait le reflet d’une subtile hérésie christologique ». Il indique que l’enseignement constant de l’Eglise est que la « connaissance de Dieu » est ordonnée à « la fin ultime de l’homme, pour la rédemption de l’homme » (concile Vatican I). Il ne peut jamais y avoir d’« hiatus ou de conflit entre la compréhension de la foi et la pastorale ou la pratique de la foi vécue » ; par conséquent, toute « théologie authentique » croît à partir de la « théorie » et reste en cohérence avec elle.
« Toute la pensée théologique, toutes nos investigations scientifiques ont toujours une dimension pastorale profonde. Que ce soient les disciplines dogmatiques, morales ou théologiques, elles ont toutes leur propre dimension pastorale », a-t-il précisé.
Rappelant que la foi chrétienne « n’est pas irrationnelle », il a ajouté que la théologie « examine, dans un discours rationnel sur la foi, l’harmonie et la cohérence des diverses vérités de la foi, qui trouvent leur source dans le seul fondement de la révélation du Dieu Un et Trine ». La théologie n’est pas « une pure spéculation ou théorie détachée de la vie des croyants ».
Si la pastorale est l’expression de la doctrine et ne saurait la contredire – et c’est l’enseignement de l’Eglise que rappelle le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi – un changement de pastorale signifierait une modification de la doctrine.
Ici l'article (en anglais) : https://www.lifesitenews.com/news/attempt-to-divide-doctrine-and-pastoral-practice-is-a-subtle-heresy-vatican
Si quelqu’un est atteint d’une crise de naïveté profonde, je conseille la lecture du surprenant article de Sandro Magister, « La véritable histoire de ce synode. Le metteur en scène, les exécutants, les assistants », http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350897?fr=y … Guérison assurée !!!
Dans mon Vieux-Pays, pourtant si profondément catholique, il a suffit d’une génération pour voir 80% des fidèles tourner clairement le dos à l’Eglise.
Matérialisme ? Richesse ? Mauvais exemple de nos voisins ?
Et pourquoi pas plus simplement la triste prise de conscience que ce monolithe écorné, rétrograde et tellement pharisien qu’est notre Eglise n’a plus rien à leur offrir ?
Des gens qui savent lire, suffisamment pour percevoir le décalage complet entre cette Eglise qui juge, qui exclut et qui chasse des ses rangs clairsemés ceux dont le parcours de vie ne correspond pas à sa morale janséniste et asexuée.
Des gens qui croient en Jésus, ce maître d’amour qui enseigne l’acceptation de l’autre, des plus petits d’entre les Siens, des blessés de la vie. Dans aucun évangile Il ne fait la moindre allusion aux homosexuels. Pas plus qu’aux divorcés remariés. Il propose juste de laisser lancer la première pierre à celui qui n’a jamais péché.
Alors, je crois que le Pape François, face à ce monolithe moribond, n’a que deux solutions : le contourner, ou le miner. Car les 20% restant auront forcément disparu dans quinze ans. Les autres ne reviendront pas sans un message clair d’un retour à l’essentiel, à l’évangile, au bon Samaritain, aux Béatitudes. En espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard, que « le mal ne soit pas déjà fait ».