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Ferguson : retour sur les évènements

De John Saffian (USA). 

Au vu des événements qui se sont déroulés ces dernières semaines dans de nombreuses villes des États-Unis, il est difficile de ne pas éprouver des sentiment de peur, de tristesse, voire de colère. Le trouble et l'animosité semés par ces événements ne laissent pas tranquilles. Ils requièrent une réponse.

Image: IBT

Bien qu'elles soient séparées par plus de mille kilomètres, Ferguson, dans l'État du Missouri, et Staten-Island, dans l'État de New York, viennent d'être rapprochées pour toujours par les décisions rendues par les tribunaux de l'une et l'autre ville, décisions qui ont immédiatement suscité polémique, larmes et tensions raciales. Dans l'un et l'autre cas, des hommes noirs et désarmés — Michael Brown à Ferguson, Eric Garner à Staten Island — furent tués lors de confrontations avec des officiers de police blancs — respectivement Darren Wilson et Daniel Pantaleo. Bien que les circonstances de l'un et l'autre cas diffèrent passablement, l'opinion a aussitôt relevé les caractères identiques, et demandé la condamnation des officiers inculpés.

Michael Brown a été tué le samedi 9 août 2014, lors d'une altercation avec l'agent de police Wilson. Certains allèguent que Brown fut tué alors qu'il tentait de s'enfuir, ou encore qu'il fut exécuté alors qu'il était sur le point de se rendre. L'analyse médico-légale a démontré que Brown s'est battu avec l'agent de police et après examen de celle-ci et des témoignages, le Grand Jury a conclu que l'agent de police Wilson n'a commis aucun crime dans la façon dont il a géré la confrontation.

Eric Garner a été tué par la police le 17 Juillet 2014, alors qu'il vendait ses "loosies", qui sont des cigarettes vendues individuellement. Les propriétaires de plusieurs magasins ont appelé la police pour se plaindre de la présence de Garner en face de leur entreprise. Face à la résistance de l'interpellé, l'agent de police Pantaleo saisit Garner par derrière, utilisant contre lui une prise dite "d'étranglement" ("chokehold") afin de le mettre au sol. Garner, qui avait de nombreux problèmes de santé, y compris un problème d'asthme, s'est plaint à plusieurs reprises qu'il ne pouvait plus respirer, mais les officiers ont continué de lutter avec lui jusqu'à ce qu'il fut maîtrisé. Garner est mort une heure plus tard. Comme dans le cas Brown, le Grand Jury a décidé de ne pas inculper l'agent de police Pantaleo.

La tempête politique et sociale déclenchée par ces deux cas d'officiers blancs tuant impunément des hommes noirs désarmés a été violente et troublante. Suite aux décisions du Grand Jury, de nombreuses manifestations (dont certaines furent violentes) ont eu lieu, et des tensions raciale et civile ont parcouru le pays. Ceux qui défendent les droits des minorités dénoncent une police brutale et raciste, coupée des communautés qu'elle est censée protéger. Les partisans de l'ordre et de la loi y voient une force de police en état de siège, à qui incombe un travail ingrat et dangereux, soumise au feu de la critique lorsqu'un affrontement prend une tournure violente.

Quels que soient les arguments politiques ou sociaux, deux hommes sont morts, et deux familles ont été brisées. Et la vie même des officiers qui sont au centre de ces histoires, même s'ils ne sont pas inculpés, ne sera jamais la même.

Les manifestations, avec leurs cris de ralliement "Les mains en l'air, ne tirez pas" et "Je ne peux pas respirer", sont censées attirer l'attention sur le sort des minorités urbaines faisant face à la domination d'une force de police constituée majoritairement de blancs, une force qui peut agir en apparente impunité. Mais il me semble au contraire que ces manifestations ne feront qu'aggraver le problème racial (et donc aussi la situation des communautés les plus touchées), plus encore que ne l'ont fait les événements eux-mêmes.

Tout d'abord, ces manifestations fomentent la colère contre une force de police à laquelle nous confions à la difficile tâche de maintenir la paix dans les zones urbaines dangereuses. Les communautés qui ont bénéficié des baisses de criminalité les plus importantes considèrent désormais la police, et l'ensemble du système de justice pénale, comme étant opposés à leurs intérêts. La méfiance contre les mécanismes
de protection des individus est à présent à un niveau record. Réparer les effets de ces événements prendra des années.

Deuxièmement, les manifestations ont peut-être déjà endommagé durablement les communautés les plus exposées. Dans Ferguson, où les manifestations ont été les plus violentes et destructrices, les actes de vandalisme contre des biens ou des entreprises locales semblaient arbitraires et motivés davantage par des raisons politiques que par la solidarité avec la victime. En quoi le fait de détruire physiquement sa propre communauté pourrait-il être une manifestation de compassion pour ceux qui ont perdu leur vie? L'histoire montre que cette destruction est très difficile à surmonter. Les quartiers de Los Angeles qui ont connu le plus de violence pendant les émeutes de 1992 ne s'en sont pas encore remises, vingt ans plus tard. En quoi la destruction de Ferguson sert-elle la cause actuelle?

Je trouve très troublant, et même dangereux, que ces histoires tragiques aient été transformées en un réquisitoire contre le prétendu racisme des forces de police. Les forces de police sont la première ligne de défense pour la protection des habitants des zones urbaines, et ont fait plus que toute autre institution au cours des 20 dernières années pour réduire la criminalité dans ces communautés. Le fait que cette protection soit devenu synonyme de domination raciste est extrêmement préoccupant: semer la méfiance et l'animosité contre une force de police vouée à la protection des individus semble absurde et dangereux.

Indépendamment de leur affiliation politique, ces deux histoires sont déchirantes et tragiques. La mort n'est jamais facile à comprendre, et les tensions raciale, sociale et économique ne font qu'ajouter à la confusion et à la consternation. L'accent mis sur "les luttes raciales" ou sur le "racisme latent" de la société américaine ne fait pas honneur à la vie de Michael Brown et Eric Garner.

 

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