Suite à l’épuisement du Venezuela, dernier filon économique et financier avec le monde extérieur, Cuba se trouve au pied du mur et n’a pas d’autre issue que celle de se diriger vers les Etats-Unis afin d’éviter une crise sans précédent. Mais l’ouverture des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis, le 17 décembre 2014, est plus qu’un rapprochement économique de circonstance. Elle marque un événement historique après plus de cinquante années d’embargo.
Sur place, lors de discours officiels, l’accueil de cette nouvelle n’a pas suscité une vague d’enthousiasme comme ce fut le cas pour la communauté internationale qui y voit une réconciliation enfin possible entre ces deux pays séparés par moins de 200 kilomètres. Les cubains ont tellement écouté de discours de tous bords sur leur situation politique, économique et sociale, qu’accorder une pleine confiance dans les dirigeants, alors même qu’il s’agirait du énième Président des Etats-Unis d’Amérique, est loin d'être un acquis.
Il ne faut pas non plus oublier que tout ce qui régit la vie des cubains est souvent double : la monnaie, le marché, les réformes, les discours… Et nous ajoutons : l’embargo. Il y a certes le célèbre embargo des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba, mais il y a également l’embargo du gouvernement cubain vis-à-vis du peuple cubain contre lequel bien des dissidents luttent en vain pour provoquer une prise de conscience plus large.
Dans cette première étape diplomatique, les cubains exilés voient la reconnaissance tragique d’une légitimité accordée au système politique cubain. Parmi les cubains sur place, certains demeurent dubitatifs quant aux effets réels. D’autres se réjouissent en y voyant, de manière nuancée, la possibilité d’un avenir plus heureux : « nous avons été si souvent trompés, que tant que nous ne verrons pas les effets concrets de cette ouverture (notamment l’accès à Internet) sur la vie quotidienne des cubains, nous resterons sceptiques »[2].
Une lueur d’espoir se refléta malgré tout dans l’attitude bouleversante de cette femme cubaine qui versa quelques larmes en se remémorant tout le travail lancé par Jean Paul II lors de son voyage sur l’Île en 1998. Dans un discours bien connu, le Saint Pontife y prononça ces paroles prophétiques qui, aujourd’hui, semblent enfin devenir réalité : « Que le monde s’ouvre à Cuba et que Cuba s’ouvre au monde »[3]. A cela s’ajoute la visite de Benoit XVI en 2012 et la médiation du Pape François en 2014, manifestant une évidente continuité dans les démarches diplomatiques vaticanes. Il est également important de souligner un détail qui fut peu relayé par la presse. Raul Castro comme Barak Obama, dans leurs discours officiels du 17 décembre, remercièrent l’intervention du Saint Père et exprimèrent leur reconnaissance pour cette médiation. Dans cette action diplomatique venant de Rome, cette femme cubaine perçoit comme l’annonce d’une nouvelle naissance : « Puisque l’Eglise a œuvré dans la réalisation de cette ouverture inespérée, comment ne pas y voir là un bon départ pour que le peuple cubain puisse enfin retrouver sa dignité ? »[4].
Dans les heures qui suivirent les discours de deux présidents, ce ne fut pas l’euphorie à La Havane, malgré la joie que provoqua la libération des trois derniers héros cubains sur les cinq emprisonnés depuis seize ans pour espionnage dans les geôles américaines. Leur libération fut reçue avec l’ironie propre aux cubains dans les moments tragiques : « les trois derniers ont été libérés mais il en reste encore onze. Onze ? Mais n’y en avaient ils pas seulement cinq ? Si. Néanmoins il y a encore onze millions de cubains à libérer !! »
Le chemin est encore long et étroit pour que Cuba puisse vivre une authentique liberté car il s’agit désormais de louvoyer entre l’esclavagisme des idéologies présentes sur les deux rives du détroit de Floride. L’enjeu étant bien entendu que Cuba puisse retrouver sa dignité propre en puisant dans ses racines, en offrant le témoignage d’un peuple dont la spiritualité, la joie et l’espérance auront été mises à mal mais jamais anéanties et en sachant se nourrir de l’expérience du monde extérieur pour vivre cette transition historique. Une ovation aux trois papes qui auront été les acteurs principaux de ce printemps cubain. Que les hommes sachent désormais suivre ce que la Providence a commencé !
[1] Trad. TB « Nous sommes tous américains » Barack Obama. Discours 17 décembre 2014 http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/12/17/statement-president-cuba-policy-changes
[2] Réactions des cubains sur place.
[3] Jean Paul II, Visite Apostolique, Cuba 1998 :
[4] Une femme cubaine rencontrée sur place.