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Loi sur l’avortement au Chili, le Recteur de l’Université Catholique au centre des débats

Le Chili est en passe de légaliser l’avortement. La bataille fait rage. Ignacio Sánchez, recteur de la meilleure université d'Amérique Latine, l’Université Catholique de Santiago (UC), ancien chef du service pédiatrie d'un hôpital du réseau UC, mène depuis plusieurs mois une lutte courageuse, tempérée et décisive contre ce projet de loi. 

Ignacio Sánchez, recteur de la Pontificia Universidad Católica de Santiago 

 

« Nous sentons une pression très forte et bien orchestrée » affirme le recteur, ayant subi récemment de violentes attaques de la part du vice-président du pays.

Le projet du gouvernement chilien vise à légaliser l’avortement dans trois cas exceptionnels : le viol, le risque vital de la mère et l’inviabilité du foetus. Mais fort de son expérience des milieux hospitaliers, Ignacio Sánchez affirme qu'il faut distinguer les interventions médicales nécessaires qui entraînent la fin de vie de l’enfant à naitre – comme effet non désiré – des avortements, même thérapeutiques, qui consistent à supprimer directement le foetus. Il y a quelques jours, il rappelait encore ses positions dans les médias. Invocant le droit à l'objection de conscience, il affirmait que, même si la loi devait passer, aucune clinique de l'UC ne pratiquerait l'avortement. 

Prenant la mesure de l'autorité du recteur, le vice-président du Chili, Rodrigo Peñailillo, a réagi en attaquant : il l'accusait de faire un hors-sujet, tout en exigeant de lui plus de tolérance et de hauteur de vue dans le débat. Des menaces de supression de toute aide ont été proférées. Mais Ignacio Sánchez, qui a toujours su valoriser ceux de ses adversaires qui acceptaient le débat – comme le sénateur Girardi –, a bien compris la manœuvre : « Le gouvernement n’agit pas selon les vertus qu’il prône. Le fondement d’un pays démocratique consiste en ce que les differents acteurs de la société aient tous le droit de donner leur opinion concernant les projets de loi. Cela ne signifie pas être en dehors de la loi. Au lieu de critiquer et de disqualifier les commentaires, le gouvernement devrait être reconnaissant pour l’apport au débat ». Pour lui, le commentaire du vice-président est imprudent, il ne fait qu'envenimer les choses en cherchant à radicaliser les positions de chacun [1]

René González R. – Le droit à l’objection de conscience vous paraît-il absolu ?

Ignacio Sánchez – Le droit personnel à l'objection de conscience est constitué d’éléments absolus. Je ne peux pas attenter à la vie d’un innocent si ma conscience me l'interdit. Il y a des personnes qui n’ont pas cette objection, d’autres si. Un état démocratique doit accepter cela. La thématique de l’objection de conscience doit être considérée à la fois de manière spécifique et fondamentale. Et quoi de plus fondamental que le respect de la vie ?

Carlos Peña (philosophe, recteur de l'université Diego Portales et éditorialiste du Mercurio, ndlr) dit que si la mère est en danger de mort imminente, le médecin « sera obligé d’intervenir, sans qu’il puisse y opposer l’objection de conscience. »

Cela je l’ai affirmé également ! C'est le risque vital de la mère qui régit la conduite médicale suivie dans nos hôpitaux depuis des années. Dans notre hôpital, quand une mère arrive avec une grossesse de douze semaines et qu'elle est atteinte d’un cancer ou d'une autre pathologie grave, nous la traitons avec les médicaments nécessaires pour la sauver. Et si par la suite l’enfant meurt, c’est un effet non souhaité du traitement de la mère. Cela n’est pas un avortement, car l’avortement est une action qui vise en première instance l'élimination de l’enfant, indépendamment du temps de gestation où il se trouve.

(Ici le lecteur remarquera que les termes du débat tendent à insinuer que le refus de l'avortement est une non-assistance à personne en danger, mais le recteur, médecin, sachant de quoi il parle, retourne l'argument et corrige ce qu'on doit entendre par "intervenir", ndlr)

C’est-à-dire que si un médecin se rend compte qu’il doit retirer le fœtus pour sauver la mère et qu’inévitablement celui-ci mourra…

Oui, cela se pratique depuis que je suis étudiant. Si la mère à des chances de survivre et que l’enfant doit inévitablement mourir, cela se pratique. De fait, à la douzième ou quatorzième semaine, aucun enfant ne peut survivre. Mais j’insiste, cela n’est pas un avortement, c’est un effet non souhaité. Dans le débat, beucoup nous reprochent qu’il y a des institutions où cette option n'a pas été choisie. Il faut réaliser un inventaire de ces situations car ce sont de mauvaises pratiques médicales ! Mais ce n’est pas à cause de ces cas qu’il faut légiférer.

(Sur ce point délicat, voir la position de Pierre Olivier Arduin en note qui est la même que celle d'Ignacio Sánchez telle qu'il l'a de nombreuses fois exposée dans les médias [2], ndlr)

Dans le cas d’adolescentes enceintes suite à un abus, l'Université Catholique propose la prévention et l’accompagnement intégraux de la mère. Cela vous paraît-il suffisant ?

Non, ça ne l’est pas, parce que le viol est un acte des plus vils, des plus honteux. Nous comprenons la douleur, mais il y a une vie, un être différent, un être qui, lorsqu’il naîtra, pourra se développer. Pourquoi ne pas proposer un accompagnement ?

Le viol ne se perpétue-t-il pas dans le corps de la mère tant que le matériel génétique y demeure ?

Il est très difficile de se mettre dans cette situation. Le viol produit tous les effets psychologiques que l’on peut imaginer. Il n’y a pas d’études montrant qu’un avortement laisse la mère plus en paix et tranquillisée. La réponse adaptée, c'est que le gouvernement soutienne jusqu’au bout cette mère qui souffre à cause de cela, ou à cause d'un enfant qui arrive avec une malformation fœtale.

Il y a peu de pays dans notre situation, mais nous devons continuer à être une nation de référence qui protège la vie des enfants innocents. Les enfants n’ont pas de voix pour faire valoir leur opinion sur ce qui adviendra d’eux. Nous devons élever la voix avec conviction et joie, parce que nous défendons la vie.

Si le gouvernement ouvre le droit à l’avortement dans les trois cas prévus par le projet, que ferez-vous si un médecin demande une intervention pour interrompre la grossesse d’une femme violée ?

Nous allons devoir lui expliquer que cela n’arrivera pas, que nous allons transférer cette personne. Et là, Carlos Peña me donnera raison : nous avons une objection de conscience et nous devrons mettre ce médecin face à l’incohérence entre la charte qu’il a signée et sa disposition à réaliser une opération qui s’oppose à ces principes.

Vous le licencierez ou lui ouvrirez un procès qui puisse terminer par un renvoi ?

Chacun participe librement à une institution, à un parti politique et il est probable que nous ne le renvoyions pas et que nous n'intenterons pas de procès. Mais il devra reconsidérer le fait de rester chez nous ou sa disposition à réaliser un avortement. Que penserait notre pays si dans notre institution l’on commettait des avortements ? Ou si l’on disait, nous allons engager des médecins pour avorter car la loi le demande ? Ce serait aller contre nos principes et nos valeurs. Nous sommes cohérents.

Si un médecin reçoit une patiente avec des signes d’avortement, doit-il le dénoncer ou la confidentialité est-elle privilégiée (Car selon la loi chilienne, l'avortement est passible de condamnation) ?

La confidentialité prime. Nous recevons des patientes avec des hémorragies et d’autres symptômes. Elles sont traités car il y a urgence et ce sont des personnes en grande détresse, solitude et abandon. Si l’on regarde la jurisprudence chilienne, personne n'a fait de la prison pour un avortement. Les tribunaux sont humains avec ces personnes et nous le sommes aussi en comprenant la douleur des personnes.

"Ceux qui perdront le plus seront les personnes vulnérables et le gouvernement"

Tant le député G. Jackson que le constitutionnaliste M. Soto Piñeiro ont reconnu le droit du réseau UC à ne pas réaliser d’avortement mais exige qu’en conséquence, ces centres d’assistance pourraient ne plus recevoir de fonds publics.

La Catolica est-elle disposée à renoncer aux ressources publiques, si c’est le prix à payer pour ne pas réaliser d’avortement ?

Les fonds publics que nous recevons sont donnés pour soutenir le système de santé. Par exemple, des enfants avec des pathologies cardiaques congénitales, comme dans le Sud de Santiago. La Fonasa (mutuelle chilienne, ndlr) nous donne une contribution bien inférieure au coût réel de la prestation. Très souvent, nous recevons des patients en soins intensifs car le secteur public est saturé et nous lui offrons ce service et bien d’autres encore. Si quelqu’un pense que cela doit être remis en cause, c’est confondre les plans, et plutôt que de me donner des leçons, ils devront l’expliquer aux deux millions de patients, si l’on compte les services de laboratoire. Ceux qui perdront le plus seront les personnes vulnérables et le gouvernement qui a l’obligation de garantir les soins.

Combien perdrait la Catolica ?

Non, nous n’allons pas en faire un sujet financier !

 

Entrevue réalisée par René Gonzales pour La Segunda (Chili) le 3 février 2015. 

 

[1] Les paragraphes précédant l'entrevue cherchent à faire percevoir le contexte chilien depuis la France. Il ne sont donc pas une traduction stricte de l'article original bien qu'ils en reprennent l'essentiel. 

[2] Les propos d'Ignacio Sánchez interviennent au cours d'un débat déjà largement soutenu et avancé. Les auditeurs en comprennent donc les termes. Dans le débat sur l'affaire de Reciffe (2009), Pierre-Olivier Arduin développe les condition de dans lesquelles un geste tel que celui auquel le journaliste fait allusion peut être considéré comme licite. Il s'agit des cas auquels Ignacio Sánchez pense, ceux dans lesquels une mère est en grave danger iminent. Dans ces cas, l'acte de soin ne doit pas être mauvais (il doit consister à soigner et non à tuer), son effet indirect mauvais (la mort de l'enfant à naître) ne doit pas voulu ni utilisée comme un moyen et il ne doit y avoir aucune autre possibilité de rétablir la santé de la mère :  "L’Eglise ne demande pas le sacrifice de la mère mais veut toujours sauver sa vie et celle de l’enfant. Celles qui l’ont fait comme Jeanne Beretta Molla ou Caroline Aigle sont héroïques. Pour une grossesse extra-utérine, la théorie du double effet peut être convoquée pour peser moralement le geste chirurgical. Il sera licite d’opérer la mère en procédant à l’ablation de la trompe de Fallope sachant que l’acte conduira indirectement à la mort de l’embryon. En revanche, il est illicite d’injecter un abortif pour stopper la grossesse dans la trompe. On aurait commis un geste directement abortif ce qui n’est jamais permis."  Voir l'article paru originellement sur Liberté Politique : Pierre-Olivier Arduin, L’Église et l’IVG “thérapeutique” : retour sur un malentendu, Le Salon Beige, 29/09/2009.

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2 Commentaires

  1. Titi4469

    Décidément, la vermine s'installe partout dnas le monde ! Il y avait déjà des bateaux sous pavillon étranger qui avortaient en masse dans les eaux internationales, voilà que le Chili, jusqu'à présent encore sain juridiquement car condamnant tout avortement qu'il soit une "Interruption Médicale de Grossesse (rappel à 90% les enfants atteitns de Trisomie 21 sont éliminés par IMG et injection léthale d'un curare dansleur petit coeur) ou qu'il soit une Interruption Volontaire de Grossesse (pas le moment dans la vie, départ en vacances, père qui menace de quitter la mère, logement ou finances ne permettant pas l'accueil du bébé, pathologie psychiatrique,…..). Le Chili arrivant en dernier devant ces scènes macabres devrait utiliser les retours d'expérience des pays ayat légalisé l'avortement depuis des décennies : on commence par promettre "3 cas exceptionnels" et on finit par ouvrir à l'avortement par complaisance et facilité. Je témoigne tous les jours du Chili où l'eugénisme n'existe pas et où vous croisez une société plus pure que les autres, j'en veux pour preuve le nombre de personnes Trisomiques 21 croisées au supermarché ou dans les rues. TENEZ BON !!!!!

  2. Jean C.

    Suite aux propos du recteur, le député socialiste Marcelo Schilling, répondant à une interview de Radio Valparaiso le 12/02/2015, a réagi violemment aux déclarations des responsables de l’Université catholique (UC) assurant que jamais le réseau d’établissements sanitaires qui lui sont liés ne pratiquerait l’avortement.   « Je veux leur dire, au recteur de l’UC, aux directeurs des cliniques (privées) et à l’archevêque de San Bernardo qui administre lui aussi un hôpital : les parlementaires ne sont pas au-dessus de la loi, eh bien les petits curés et les universitaires non plus », a déclaré Schilling. « Chez nous les lois sont valables pour tous et s’il faut exproprier l’Université catholiques pour des raisons d’intérêt supérieur, eh bien, il faudra le faire. » Et de suggérer à ceux qui voudraient se « rebeller » contre la loi une solution « très simple » : « L’Eglise a son siège étatique au Vatican, au cas où ils ne l’auraient pas noté. » Réagissant aux menaces de Marcelo Schilling, le recteur de l’Université catholique vient de déclarer au quotidien El Mercurio : « Ces paroles sont incroyablement intolérantes et totalitaire. Il est préoccupant qu’un député de la République affiche de telles opinions. » A telle enseigne que Schilling a fini par se raviser un peu, assurant qu’il l’avait dit « à moitié pour plaisanter » : « Je vais commencer à arrêter les blagues, ce pays est trop sérieux. » Mais il a précisé aussitôt qu’il devrait y avoir des sanctions à l’encontre d’un établissement qui refuserait de « porter secours » à une femme que sa grossesse mettrait en péril, le secours étant ici défini comme l’avortement… Il y a matière à rire ? D’autant que quasiment dans le même souffle, le député Schilling a réagi aux déclarations de l’archevêque de Santiago, Mgr Ricardo Ezzati, contre le projet de dépénalisation de l’avortement de manière à peine moins drôle : « Je veux rappeler que les Eglises sont soumises à la loi du culte, où sont établies leurs raisons d’existence mais aussi les raisons de caducité de leur personnalité juridique. » (source)

     

     

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