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Un témoin d’humanité au procès Carlton

Bernard Lemettre est diacre du diocèse de Lille et délégué régional du l’association « Le Nid » qui soutient les personnes qui souhaitent sortir de la prostitution. Son témoignage au procès dit « du Carlton » a provoqué une forte émotion et remis au premier plan de l’actualité la situation des prostituées.

Bernard Lemettre, témoin de la dignité humaine 

 

« Procès du Carlton : et soudain, la dignité s’est exprimée », titrait le journal Le Monde le 13 février dernier. 

Résumons : un certains nombre de notables, de Lille ou d’ailleurs, organisaient depuis plusieurs années des soirées dites « libertines ». Problème : parmi les « invitées » se trouvaient un certain nombre de prostituées rémunérées pour participer à ces soirées. Organisateurs et participants se retrouvent donc accusés de proxénétisme direct ou indirect. Les premiers jours du procès sont particulièrement sordides. Il y aurait eu des violences. Les interrogatoires menés avec vivacité par le président et la procureure jettent une lumière crue sur la dépravation des mœurs d’une certaine « société civile » bien particulière. Pour n’être pas nouvelles, ces pratiques proches de l’esclavagisme ne lassent pas d’étonner.

Un homme âgé a suivi silencieusement la première semaine du procès avec attention. On a simplement remarqué que les anciennes prostituées allaient s’asseoir à côté de lui après leur interrogatoire. Cet homme, c’est Bernard Lemettre, 78 ans. Il a découvert la dégradation  provoquée par la prostitution  lors d’un séjour au Brésil dans les années 60. Ordonné diacre par l’évêque de Lille en 1971, marié et père de deux enfants, il se consacre depuis 40 ans à l’accueil des femmes prostituées. Dans les années 1980, il travaille à plein temps pour le mouvement Le Nid, qui milite pour l’abolition de la prostitution. Il en sera successivement délégué général et président national. Aujourd’hui simple bénévole, il passe toujours des heures chaque semaine dans un centre d'accueil.

Lorsque le président l’appelle à la barre pour témoigner et qu’il commence à parler, tout le monde sent que le procès est en train de changer de nature. « Soudain, la dignité s’est exprimée » note le journaliste du Monde. Doucement mais fermement, Bernard parle sans détours : un corps de femme, ce n’est pas fait pour  cela. De ces jours d'audience, il retient d'abord la honte. "Honte de tous ceux qui sont là et qui ont touché à la prostitution, honte de ceux qui n'osent pas l'avouer. Il suffit de voir cela pour comprendre que la prostitution est bien une atteinte à la dignité des personnes." Il cite ces mots du fondateur du Nid"Si la prostitution n'est pas faite pour ceux que l'on aime, alors, elle n'est faite pour personne." [i] Ce procès est-il en train de devenir celui de la prostitution ?

C’est Bernard que l’une des femmes impliquées dans l’affaire vient trouver en 2011. Il lui offre, ainsi qu’aux autres, "le non-jugement, le temps, la disponibilité. Quand la parole se libère, c'est tout l'être qui se libère". "Il faut parfois 150 heures d’écoute, précise-t-il, pour qu’une prostituée nigériane accepte enfin de dire son vrai nom." [ii]

« Nous entrons dans leur vie, nous découvrons que, derrière elles, il y a une famille, des enfants, des amis. Notre rôle, c'est d'être un passage", poursuit Bernard Lemettre. Sortir de la prostitution, "c'est comme sortir d'un tombeau. Personne n'arrive à la prostitution comme ça, par volonté. Il y a toujours des fragilités. Après, il faut réapprendre à vivre avec un corps qui a été pénétré, violé." 

Des raisons de son engagement à leurs côtés, il dit simplement : "Il y a ceux qui gravissent l'Everest ou l'Annapurna. Moi, j'aime gravir la richesse de la personne humaine."

Emu, l’avocat de l’un des accusés vient le remercier pour ce « moment d’humanité ». Un journaliste du Figaro remarque : « Celui-là au moins n’a pas volé la barrette de la Légion d’Honneur qu’il porte à la boutonnière »[iii]. Ce qui n’a pas été dit, mais que beaucoup ont pensé, c’est qu’avec le diacre Bernard, l’Eglise a été vraiment présente « aux périphéries ».

 

Notes: 

[i] Citations extraites du Monde.

 

[ii] Interview à la Voix du Nord en 2011.

 

[iii] Le Figaro du 13/02.

 

 

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3 Commentaires

  1. Bruno ANEL

    J'ai rencontré Bernard Lemettre il y a bien longtemps. Il est un des premiers diacres à avoir été ordonné en France. On demande parfois: à quoi sert un diacre ? Tout simplement à porter à l'autel, lorsqu'il présente le pain et le vin au prêtre, toute la souffrance des hommes et le labeur de la charité en actes.