Photo: Page Facebook de "Mille et une fois"
Pouvez-vous nous parler de rencontres qui vous ont marqué?
En novembre 2012, je fais la rencontre du Père Najib, une figure incontournable dans le paysage chrétien en Irak. Cet amoureux des livres porte la longue robe blanche de la congrégation des dominicains, fameuse jusqu’au XXème siècle a Mossoul pour son séminaire, ses hospices et ses écoles. En 2009, les dominicains furent victimes d’une série d’attentats à la voiture piégée dans leur monastère, les contraignant à quitter Mossoul pour se réfugier a Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d’Irak. Il rapatria les manuscrits deux jours avant l'entrée de Daech dans Qaraqosh et termine aujourd'hui la numérisation de ses manuscrits. Il continue de m'épauler pour la radio. Un père spirituel pour moi[1].
A Gyumri, en décembre 2012, je rencontre une des plus belles personnes que les aléas du voyage ont mis sur ma route : la Sœur Arousiag Sajonian (voir vidéo en fin d'article). Au moment du séisme, en Décembre 1988, la sœur Arousiag est supérieure général de sa congrégation à Rome. Affectée par la catastrophe, elle présente sa démission et s’installe en Arménie, à Spitak, épicentre du séisme. Vingt-cinq ans plus tard, son œuvre laisse pantois : un Centre éducatif, Notre Dame d’Arménie, qui éduque, nourrit et encadre une quarantaine de pensionnaires qui ont entre six et vingt ans, un lycée professionnel à la pointe de la technologie, un centre pour personnes âgées et pour handicapées…. Aujourd’hui, nombreux sont ceux en Arménie qui ont entendu parler de ce « petit bout de femme » qui sait se faire écouter des ministres et des évêques tout en restant présente auprès des plus démunis[2].
En février 2014, à Addis Abeba, je fais aussi la rencontre Le Professeur Joachim, le Tryphon Toursesol du monachisme éthiopien. Cet Hollandais dandy, membre de l'Eglise copte, sillone l'orient depuis plusieurs décénnies et parle près de dix langues dont l'hébreu, l'arabe, le norvégien, le swahili, le francais et – rarissime pour un étranger – l'amharique, la langue officielle de l'Ethiopie. Sa rencontre s'avère déterminante dans mon voyage. Le vieux Docteur, probablement un peu fou, est conquis par mon périple et accepte de m'accompagner dans le Tigré, la province chrétienne du nord de l'Ethiopie.
Vous pensiez avoir suffisamment vécu avec deux ans sur la route, et pourtant vous voilà reparti en Irak pour participer à un très beau projet. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il est vrai que je ne pensais pas repartir, mais le projet Radio al Salam m'a convaincu de retourner en Orient.
Radio Al Salam est une belle histoire, fille de la tragédie irakienne. Durant l’été 2014, 600.000 déplacés fuient l’invasion de Daech et se réfugient au Kurdistan irakien, laissant derrière eux leur habitation, leur travail, leur école, leur vie. Au-delà des conditions dramatiques de leur sort, ces populations souffrent immédiatement du manque de communication. Sujet à l’intérêt épisodique de l’opinion internationale, les déplacés émettent peu à peu le besoin de créer un média local dans lequel ils pourraient s’exprimer dans leurs langues, être écoutés à l’étranger et trouver un peu de réconfort et d’espoir. C’est au cours d’une mission de reconnaissance dans le Kurdistan irakien en octobre 2014 que des membres de deux ONG françaises, La Guilde Européenne du Raid et Radios Sans Frontières, découvrent cette situation. Le projet Radio de la Paix (« Radio Al Salam » en arabe) voit le jour.
Photo: Radio Al Salam with the displaced families of Harsham camp yesterday.
Avec l’accord des autorités kurdes et le soutien de l’ancien consul de France à Erbil, la radio obtient une existence légale : Radio Al Salam FM 90.5 peut émettre. Radio Al Salam est le résultat d’une coordination inédite et complémentaire entre d’acteur venus d’horizons différents, mais rassemblés autour du sort tragique des déplacés. C'est probablement à cause de mon profil atypique que les acteurs en présence pensent à moi pour développer le projet.
En partie composée de l’ancienne équipe d’une radio chrétienne détruite par Daech, Radio Al Salam s’affiche dès sa création comme une radio chrétienne, ouverte et plurielle. Parmi le flot de nouvelles tragiques et d’apriori négatifs qui gravitent autour du Moyen Orient, Radio Al Salam apporte une voix de paix et d’espérance. Contre le fatalisme ambiant, elle montre que la coexistence entre des individus de confessions et de cultures différentes est encore possible dans cette région du monde. Tant qu’il y’aura des hommes et des femmes de bonnes volontés, les belles histoires comme Radio Al Salam continueront d’exister au Moyen Orient.
Lire la première partie de l'entretien:
Vincent Gelot : au nom des chriétiens d'Orient.
Interview de Vincent Gelot sur France-Culture.
[1] Sur le père Najib, voir par exemple l'article de L'Express du 01/03/2015 "J'ai sauvé des milliers de manuscrits de la folie destructrice de Daesch".
[2] Voir la soeur en vidéo :
Pingback : Vincent Gelot : au nom des chrétiens d’Orient – Terre de Compassion