Le 17 mars dernier était organisée à Nagasaki une messe commémorative pour fêter les 150 ans de la découverte des « chrétiens cachés » au Japon. C’est une histoire unique et émouvante, en même temps qu’un témoignage extraordinaire.
Au Japon, les premières activités missionnaires lancées par les jésuites, dont saint François-Xavier, débutent en 1549. Ils sont rejoints par les Ordres mendiants espagnols. Pendant la trentaine d'années qui suit la mort de François-Xavier (1552), le christianisme se développe dans la région de Kyushu doucement mais sans heurts (Kyushu est la troisième par sa taille et la plus au sud des quatre îles principales du Japon). Un premier diocèse – le tout premier d'Extrême-Orient – est créé sur cette île en 1588.
A cette époque la vie matérielle et la culture au Japon étaient si dures, que la bonté des missionnaires chrétiens y eut l'effet d'une rivière au milieu du désert. Après une décennie de présence chrétienne, les registres officiels font déjà état de deux cents à quatre cents mille chrétiens au Japon. Mais bientôt le vent devait tourner. Les relations entre le Portugal et le Japon se détériorent, et le christianisme fait figure, aux yeux des autorités japonaises (parmi lesquelles on comptait pourtant nombre de convertis), d'instrument de domination manipulé par le gouvernement portugais. Un édit est promulgué qui interdit la présence chrétienne. Le 5 février 1597, 26 catholiques sont crucifiés à Nagasaki, et en 1614, le shogunat Tokugawa interdit le christianisme.
Les violentes persécutions qui suivirent éradiquèrent du pays toute présence missionnaire et toute trace chrétienne dans le peuple japonais. Du moins était-ce ce que l'on croyait alors.
En réalité, sous le joug d'une dictature féodale sanglante, pourchassés et menacés de mort, les chrétiens du Japon entrèrent en clandestinité, s'organisèrent par groupements de petits quartiers, avec baptiseurs et chefs de prière, utilisant toutes sortes de subterfuges pour dissimuler leur culte secret, comme l'usage de statuettes de la déesse Kannon camouflant la Vierge Marie, ou des décorations de sabres évoquant la croix chrétienne. Ils purent ainsi garder intacte leur foi chrétienne pendant deux cent cinquante ans, sans le secours d'aucun prêtre et donc d’aucun sacrement. Ils attendaient dans la clandestinité, de génération en génération, et dans la prière, que la liberté religieuse leur soit rendue.
L’événement que nous avons célébré dans tout le Japon le 17 mars dernier correspond à la période du début de l'ère Meiji (fin XIXème) quand le Japon ouvrit à nouveau ses frontières. Pour la première fois depuis longtemps, des missionnaires des Missions Étrangères de Paris purent venir s'établir au Japon. Quelle ne fut pas la surprise de l’un d’entre eux, le Père Bernard Petitjean, lorsqu'un soir il trouva rassemblés devant sa maison un groupe de Japonais. D'abord il eut peur que ce soit la police venue l'arrêter, mais bientôt l'un d'eux sort du groupe, s'approche de lui et lui dit : « Votre cœur est notre cœur. » Des chrétiens s’étaient transmis la foi pendant plus de deux siècles, et ils venaient saluer le premier retour d'un prêtre sur leur terre. Les historiens japonais nous disent qu'ils étaient de 30 à 50 000, dispersés dans tout le pays. C'est avec eux que l'Église du Japon a pu renaître. Elle a survécu à des siècles de persécutions mais de nombreux défis se présentent encore aujourd’hui à elle.
L’un d’entre eux est la dilution de la foi. Dans un pays où il n’est culturellement pas de « bon ton » d’être différent, rien n’encourage les chrétiens à affirmer publiquement leur foi. Par ailleurs, le contexte culturel japonais, favorise un certain anonymat, peu de choses personnelles transparaissant des relations au jour le jour. Enfin, dans une communauté qui ne compte pour tout le pays qu’environ 500 000 fidèles, il n’y a souvent pas d’autres choix que de se marier avec un partenaire d’une autre confession.
Pourtant, le christianisme au Japon attire encore. La presse parle non seulement en termes positifs du Pape François mais depuis la première fois dans l’histoire de ce pays, un article paraît chaque semaine à son sujet. Par ailleurs, nous avons chaque année plusieurs baptêmes d’adultes. J’ai eu l’occasion de devenir le parrain de l’un d’entre eux, Sato San. Je le rencontre avec sa femme une à deux fois par semaine, et je suis émerveillé de leur désir de mieux connaître la foi, de façon vivante et actuelle. Dans nos discussions, je peux comprendre aussi à quel point la foi est une réponse aux interrogations de la société japonaise, souvent non formulées. Il faut que notre présence au Japon soit de plus en plus enfouie afin que puisse résonner en eux notre message « notre cœur est votre cœur »…