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Il n’est jamais trop tard !

Elle a dû attendre 77 ans pour défendre sa thèse devant un comité académique à Hambourg. 

Mme Rapoport, une dame de 102 ans, néonatalogiste à la retraite, vivant à Berlin, a présenté sa thèse à l'Université de Hambourg en 1938, cinq ans après qu’Adolf Hitler ait pris le pouvoir. Son sujet était la diphtérie, une maladie infectieuse qui était alors la principale cause de décès chez les enfants aux États-Unis et en Europe.

Le professeur de Mme Rapoport, qui avait été un moment membre du parti nazi, avait loué son travail et l’avait appuyé. Mais cela n’avait pas suffit. « On m'a expliqué que je n’avais pas la permission de passer l'examen oral » raconte-t-elle. Les autorités académiques avaient alors invoqué « des raisons raciales » pour la bannir. Mme Rapoport, née Syllm, avait été élevé dans la religion protestante, mais sa mère était juive, faisant d'elle, dans le jargon nazi, « un croisement au premier degré ». Les fonctionnaires avaient marquée ses formulaires d'examen avec une bande jaune révélatrice et l’estimait inéligible pour l'avancement académique.

 

« Ma carrière médicale a été ruinée », a déclaré Mme Rapoport. « C’était une honte pour la science et une honte pour l'Allemagne ».

Son sort est loin d'être unique : des milliers d'étudiants et de professeurs « non-aryens » ont été poussés hors des universités sous le Troisième Reich d'Hitler et beaucoup sont morts dans les camps.

Elle et sa famille ont été épargnées, bien que l'Université de Hambourg avait embrassé avec ferveur le nouvel ordre. Son doyen avait en effet déclaré l'école « le premier institut national-socialiste de l'enseignement supérieur du Reich ». Parmi les professeurs qui allaient à l’encontre des nazis se trouvaient le professeur de Mme Rapoport, Rudolf Degkwitz, que les manifestations d’indignation au sujet des euthanasies dans l'hôpital des enfants, entre autres dissidences, avaient conduit à l’emprisonnement.

Le parcours du combatant

En 1938, Mme Rapoport, Ingeborg Syllm a ce moment, émigre sans argent et seule aux États-Unis. Elle y effectue des stages hospitaliers à Brooklyn, NY, Baltimore et Akron, Ohio. Elle fait une demande auprès de 48 écoles de médecine et n’a été acceptée qu’au Women’s Medical College of Pennsylvania de Philadelphie.

« J’ai eu beaucoup de chance et peut-être une certaine ténacité », déclare-t-elle.

Elle décroche son premier emploi comme docteur en médecine (MD) dans un hôpital de Cincinnati, où elle rencontre en 1944 un médecin autrichien juif et biochimiste, Samuel Mitja Rapoport, qu'elle épouse deux ans plus tard. Le couple est florissant au point de recevoir un certificat de mérite de la part du président Harry S. Truman pour son travail sur la conservation du sang. Quant à elle, elle monte rapidement les échelons pour parvenir à la tête de la polyclinique pédiatrique de l'hôpital. Le couple aura trois enfants qui se succéderont rapidement.

Mais M. Rapoport attire également l'attention du gouvernement en raison de ses liens avec le Parti communiste, auquel son épouse adhère également. Tous deux passent leurs dimanches matins à distribuer le Daily Worker dans les zones défavorisées de Cincinnati.

« Je suis terriblement chanceuse dans tout cela. Pour moi, tout a été pour le mieux : j'ai eu mes meilleurs enseignants aux États-Unis, j'ai trouvé mon mari, j’ai eu mes enfants »

Sentant que les choses allaient s’envenimer, M. Rapoport décide de rester à Zurich après une conférence pédiatrique donnée en 1950. Mme Rapoport, enceinte de son quatrième enfant, le rejoint en Europe avec leurs enfants. Il a cherché en vain une position au lieu de ses origines, l'Université de Vienne, avant que la famille déménage en Allemagne de l'Est.

M. Rapoport a fondé son propre institut biochimique et restera actif jusqu'à sa mort en 2004. Mme Rapoport a fondé la première clinique de néonatologie en Allemagne, à l'hôpital de la Charité de Berlin et leurs enfants se sont lancées dans des carrières universitaires et médicales.

« Je n'ai jamais ressenti d'amertume » dit-elle. « Je suis terriblement chanceuse dans tout cela. Pour moi, tout a été pour le mieux : j'ai eu mes meilleurs enseignants aux États-Unis, j'ai trouvé mon mari, j’ai eu mes enfants ». Mais elle se sentait lésée…

C’est depuis ces derniers mois seulement qu’il a été possible qu'elle reçoive le doctorat allemand qui lui avait été refusé. A Hambourg, un professeur de Harvard Medical School, collègue de Tom, le fils de Mme Rapoport, raconte cette histoire à l'actuel doyen de la faculté de médecine de l’université de Hambourg, qui décide d’assumer cette cause.

Le doyen, le Dr Uwe Koch-Gromus, s’est vite rendu compte que les obstacles bureaucratiques n’étaient pas mineurs. En Mars, le service juridique de l'université  déclarait que, pour trois raisons (sa thèse originale n’avait pas pu être trouvée, elle n'a jamais passé sa défense orale et elle avait gagné un MD aux Etats-Unis) Mme Rapoport ne pouvait recevoir qu’un diplôme honorifique.

Ni le Dr Koch-Gromus ni Mme Rapoport n’étaient satisfait par un doctorat honorifique. Il a donc dû imaginer une voie légale pour qu’elle se qualifie. Mme Rapoport s’est mise au travail.

 

Un doctorat dans le salon 

Son principal obstacle pratique a été sa vue, elle ne pouvait ni lire ni écrire sur un ordinateur. Alors, ses proches et ses amis biochimistes se sont mis à chercher sur Internet les avancées scientifiques sur la diphtérie depuis les sept dernières décennies et lui faisait des rapport par téléphone.

« J’en sais beaucoup plus sur la diphtérie maintenant que je n’en savait alors » dit Mme Rapoport, qui a écrit dans ses mémoires en 1997 que son dévouement de jeunesse à la médecine a été en partie inspiré par le missionnaire chrétien Albert Schweitzer.

Le mercredi 13 mai, le Dr Koch-Gromus et deux autres professeurs, installés dans le mobilier marron et orange du salon de la maison de Mme Rapoport à Berlin et l’on cuisiné pendant 45 minutes avant d'approuver son doctorat, près de huit décennies après qu'elle ait posée sa candidature.

« Ce fut un très bon test », a déclaré le doyen. « Madame Rapoport a acquis des connaissances remarquable au sujet de ce qui est arrivé depuis. Compte tenu notamment de son âge, elle était brillante ».

Mme Rapoport, bien que soulagée, était moins certaine. « J’ai l'habitude de faire mes meilleurs travaux durant les épreuves » dit-elle. « Je crains que je ne pourrais plus le faire. »

102 ans de souvenirs

L'université a prévu une cérémonie à Hambourg le 9 Juin, lorsque Mme Rapoport deviendra, au vue de tous les éléments de preuve disponibles, la personne la plus âgée à recevoir un doctorat. Le Guinness World Records a en effet cité un Allemand de 97 ans comme le plus ancien bénéficiaire d'un doctorat.

Le Dr. Koch-Gromus, explique : « Cet examen de doctorat ne peut pas supprimer l'injustice mais nous apportons une contribution à la confrontation avec le côté sombre de l'histoire allemande dans les universités ».

Madame Rapoport affirme que « le Dr Koch-Gromus a fait un grand effort pour montrer que les choses sont maintenant différentes en Allemagne. »

Mais le processus l’a également ramenée au point de départ : « Etudier m'a fait me souvenir combien je me sentais abandonnée et incertaine en 1938 », a-t-elle dit. « Cela avait été recouvert, mais c’est revenu récemment dans mes rêves. »

James Graff (Wall Street Journal, 14/05/2015)
Traduction : Viky Fiorenza
Article original : 
 

 

Bibliographie : Meine ersten drei Leben: Erinnerungen, Nora (2012)

 

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