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Réflexions après la parution de l’encyclique Laudato si’

En publiant son encyclique Laudato si', le pape François s'inscrit dans la tradition de l'Eglise de se prononcer sur les grands sujets qui déterminent l'avenir de l'humanité. Dans le respect du principe de séparation de l'ordre temporel et de l'ordre spirituel, l'Eglise a coutume de porter un jugement et d'éclairer les consciences sur des questions touchant tous les hommes, au-delà du cadre des nations. Ces prises de position sont au cœur de la dimension universelle (katholikos) de l'Eglise et de sa préoccupation pour l'humanité tout entière.

La liste est longue des encycliques traitant de thèmes qui s'inscrivent dans un contexte social déterminé. Certaines d'entre elles figurent d'ailleurs parmi les textes les plus célèbres :

  • en 1891, Léon XIII publie Rerum Novarum et affirme la doctrine sociale de l'Eglise, abordant notamment la question du syndicalisme et de la condition ouvrière, dans une Europe transformée par la révolution industrielle
  • En 1914, à l'aube de la Première Guerre mondiale, Benoît XV dénonce dans Ad beatissimi apostolorum principis les horreurs de la guerre et rappelle avec force les principes de la charité chrétienne
  • Plus récemment, en 2009, Benoît XVI complète la doctrine sociale de l'Eglise dans Caritas in Veritate

Cette fois-ci, dans Laudato si', le pape François aborde le thème de l'écologie, un sujet d'actualité, à la mode pourrait-on dire. Sans faire preuve de catastrophisme, il appelle l'humanité à prendre soin de la "maison commune" (oïkos en grec, d'où sont d'ailleurs issus les mots diocèse ou œcuménique…). Le thème de l'environnement n'est pas une nouveauté pour l'Eglise. En 1967, dans son encyclique Populorum progressio, Paul VI a défini la position de l'Eglise sur le développement humain et le progrès social. Il définit le "progrès intégral", dont le caractère anthropologique est proche de la notion "d'écologie intégrale" proposée par François. Dans les deux cas, il s'agit de considérer la place prépondérante et le rôle de l'homme, dans toutes ses dimensions, notamment dans son comportement avec l'environnement et les lois naturelles.

Il n'est pas étonnant que le pape François ait choisi ce thème pour sa première encyclique écrite par lui seul (Benoît XVI avait largement contribué à l'encyclique Lumen fidei). Au-delà du caractère actuel et médiatique du sujet, ayons à l'esprit que le pontificat de François est marqué par la figure et le modèle de saint François d'Assise : "François est l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité".

Une lecture de l'encyclique Laudato si' permet de dégager deux conclusions.

D'une part, le pape exprime une forme de radicalité, appelant à une "conversion écologique". L'urgence et la gravité du problème, que François attribue aux activités humaines, imposent un changement profond des comportements et une nouvelle orientation vers plus de simplicité et de sobriété : "La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice". Se plaçant du point de vue des pays du Sud, il évoque une "dette écologique" des pays développés et appelle à "redéfinir le progrès".

D'autre part, le texte est teinté d'espérance. L'encyclique s'ouvre sur un beau cantique de saint François d'Assise : "Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe". Conformément à toute la tradition judéo-chrétienne, en premier lieu bien sûr le livre de la Genèse, le pape François distille dans son encyclique un regard bienveillant et positif sur la création et sur l'homme en particulier. La force du texte vient de l'appel qu'il lance aux hommes, qui sont les seuls responsables de l'environnement, dans une perspective anthropologique de l'écologie.

En revanche, la question démographique est peu abordée dans l'encyclique de François. Elle a pourtant été au cœur des thèmes développés pendant le voyage pontifical aux Philippines en janvier dernier. Pendant la messe célébrée à Manille, le pape avait défendu la position de l’Eglise sur la «paternité responsable», récusant l’idée que les couples catholiques doivent avoir le plus d’enfants possible.

Dans Laudato si', François reste prudent sur ce sujet, reprenant la position du Conseil pontifical "Justice et Paix" : "S’il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire"1.

La démographie constitue pourtant un défi majeur pour l'humanité et l'une des causes des déséquilibres du monde. Passant de 1,5 milliard à 6 milliards d'habitants en un siècle, la population mondiale a connu au XXème siècle une croissance sans précédent, qui se poursuit aujourd'hui. Conjuguée au phénomène d'urbanisation des pays émergents et à l'élévation générale des niveaux de vie et de consommation, cette évolution démographique explique en partie les défis écologiques auxquels nous sommes confrontés. En outre, les projections montrent que la démographie restera d'une actualité brûlante au cours des prochaines décennies ; l'INED (Institut National d'Etudes Démographiques) prévoit par exemple 10 milliards d'habitants en 2060, soit une population mondiale multipliée par sept en un siècle et demi…. Alors que les populations de la plupart des pays du Nord auront tendance à stagner, les populations des pays du Sud, dont la géographie et le climat sont parfois moins propices à l'agriculture, vont augmenter fortement. A titre d'illustration, le Nigeria va plus que doubler sa population actuelle, passant de 174 millions d'habitants à 444 millions en 2050, dépassant les Etats-Unis. Dans certaines régions déjà marquées par l'instabilité politique, la violence et les affrontements ethnico-religieux, la démographie constitue une pression supplémentaire pour l'accès aux ressources naturelles, l'eau notamment.

En complément de la lecture nécessaire de Laudato si', qui lance un appel exigeant aux hommes tout en réaffirmant le regard bienveillant et aimant de Dieu sur sa création, pourquoi ne pas lire ou relire Malthus, notamment quelques passages de son Essai sur le principe de population (1798)  ? Les idées de ce pasteur anglican, contemporain de la révolution industrielle anglaise, ont acquis une connotation négative, le terme "malthusianisme" étant associé au pessimisme et à la restriction. La thèse de Malthus est simple : la population croît en progression géométrique (1, 2, 4, 8, etc.), et double ainsi tous les vingt-cinq ans, alors que la production des subsistances nécessaires à l'alimentation humaine n'augmente qu'en progression arithmétique (1, 2, 3, 4, etc.). Il présente alors l'augmentation de la population comme un danger pour la survie du monde et préconise la maîtrise de la démographie. Malthus condamne pourtant le contrôle des naissances, qu'il estime contraire aux lois de Dieu ; mais l'homme et la femme ne doivent s'unir qu'à partir du moment où ils sont à même de subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur descendance, c'est-à-dire un comportement conforme au principe de "paternité responsable". Les progrès de la technique et de l'agriculture ont longtemps rendu ces thèses caduques, mais les déséquilibres actuels du monde, parmi lesquels l'écologie, ne donnent-elles pas à nouveau un certain crédit aux thèses de Malthus ? Celles-ci ne sont pas incompatibles avec l'espérance et la confiance en l'avenir.

1. Conseil pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 483.

 

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4 Commentaires

  1. Denis Cardinaux

    Cher Jérôme, les thèses de Malthus partent d'un principe restrictif sur la réalité dont il est manifeste qu'il était faux, même si elles continuent à motiver la plupart des politiques démographiques internationales. En effet, les prévisions sont toujours alarmantes et justifient une politique de contraception massive dans les pays en voie de développement comme dans les autres. Il me semble que la vision de Malthus se fonde sur une peur à priori des risques futures qui ne me semble pas tout à fait adéquate à la capacité humaine de trouver des solutions, ni à une vision chrétienne de l'histoire.

    En reprenant les arguments de Malthus tels que vous les présentez de manière équilibrée, pour ce qui est de l'Europe, si l'homme et la femme ne devaient s'unir que dans le cas où les ressources étaient suffisantes, nous devrions atteindre des taux de natalité records… Or en occident, ce n'est pas seulement une question de ressources, mais bien d'orientation politique et d'une conception de la "paternité responsable" fondée sur le confort individuel plus que sur une véritable reconnaissance de la vocation de la famille. 

    D'autre part, une utilisation raisonnée des ressources et une régulation des excès de la logique de consommation, telle que prônée par le pape, dans un contexte où les capacités de productions sont aussi puissantes, contriburaient à compenser l'éventuel manque. Puisque les pays occidentaux sont aussi présents dans les pays en voie de développement, plutôt que de résoudre le problème de la faim par des solutions déshumanisantes, il conviendrait de favoriser un développement équilibré de ces pays, respectant le droit des peuples à disposer d'eux même et mettant notre "avance" économique à leur service.

  2. Charles Atans

    Voici un article paru récemment qui alimentera le débat : « Cette mère lapine a dû s'en mordre les oreilles. Vivant au dessous du seuil de pauvreté selon les critères de l'ONLU (Organisation des Nations Lapines Unies) et ne pouvant nourrir sa portée qu'avec des carottes traitées aux pesticides – ce qui n'a pas manqué d'émouvoir l'opinion internationale – elle n'aurait pas pris la peine de s'informer sur la notion de "paternité responsable".

    Le père lapin, ayant quitté le foyer, se dégage de toute responsabilité et déclare à la presse : "Il me semble que dans ce cas précis, on devrait plutôt parler de ‘maternité irresponsable’ ". De fait, notre lapine a reçu une leçon dont elle se souviendra: "Vous voulez laisser orphelin sept portées de lapereaux ?", lui reproche-t-on vertement, alors qu’elle risque sa peau de lapin pour mettre au monde sa huitième tournée par césarienne !

    Soudain couleur carotte, mère lapine, qui avait été influencée par la propagande néfaste de l’OL (Observatoire de la Lapinophobie), lié sans aucun doutes à l'EL (Etat Lapinique) est revenue à la raison en demandant, penaude : "Que dois-je donc faire ?" On lui répond du tac au tac : "La parole-clé que la Communauté des Lapins défend est : paternité responsable. Comment se réalise-t-elle ? Par le dialogue". 

    S’empressant d’obéir à cette injonction surnaturelle, Mère lapine s’est immédiatement inscrite au groupe de conseil matrimonial de sa communauté de terrier. Depuis, elle consulte aussi sur internet les "experts et les pasteurs" qui lui montrent le chemin. Pour elle, il s’agit d’un nouveau départ : "C’est pour moi une possibilité de me faire pardonner mes erreurs passées, dit-elle en sanglotant, j’ai enfin compris que je contribuais honteusement à las raréfaction des carottes". C’est d’ailleurs ce qu’enseigne Rabbi Rabbit, dans le Livre des lapins : "Loin de la tempérance, pas même un brin d’herbe ! " (Lap 3,14). Elle ajoute : "Je peux maintenant commencer à reconstruire ma vie, mais ça prendra du temps". C’est ce qu’elle s’efforce de faire, soutenue par une cellule de rééducation, car la responsabilité ne s’apprend pas en un jour. "Ma vie a changée, déclare-t-elle, cela représente beaucoup de sacrifices, mais nous ne mangeons plus que des carottes bio en les agrémentant de persil et de thym certifiés". Un petit pas pour ses lapereaux, mais un geste moral essentiel pour la lapinité dont beaucoup ferait bien de s’inspirer.

    De son côté, la congrégation des Sœurs des Mères Lapines, dont la mission consiste à sensibiliser les pauvres lapins, se réjouit de l'incident qui lui offre une publicité inespérée. Dorénavant, elle a les dents plus libres pour promouvoir sa tâche éducatrice. Celle-ci consiste à enseigner comment plastifier les carottes afin que les familles lapines puissent mieux conserver leurs réserves au frigo, évitant ainsi les embarras liés au réchauffement climatique. De fait, selon les informations de l’ONLU, les terriers en voie de développement dans lesquels la congrégation met en œuvre sa charitable entreprise sont les premiers à souffrir de la surpopulation et des carences alimentaires.

    Quant au père lapin, il ne manque pas d’approuver : "je me réjouis de ce nouvel acquis de conscience, déclare-t-il, on peut enfin expliquer aux lapines qu’avec cet irrépressible "besoin de lapereaux" et ce manque de distanciation par rapport à leurs instincts, elles font office de tortue plus que de lièvre". Fier de sa formule, il ajoute : "On doit courir avec son temps, toutes ces lenteurs conservatrices sont un crime contre les générations futures !". Depuis, il fréquente l'associations de libération des mères lapines, fondée par Nicole Lapin et participe énergiquement à ce grand mouvement de sensibilisation. Il déclare, ému : "j’ai reçu une éducation lapinique, mais je me suis toujours tenu à l’écart des assemblées. Ces nouvelles orientations me permettent de reconsidérer ma vie et, peut-être, d’entreprendre un chemin de conversion". Un espoir pour la communauté Lapinique, dont les terriers sacrés se vident systématiquement depuis plus de 50 ans.

    Le travail reste immense, mais ne tient-on pas le bon bout ? Mère lapine le reconnaît aisément, qui voit dorénavant dans son aventure une occasion de sensibiliser ses congénères. Fort de sa conversion écologique, elle participe aux manifestations et scande avec la foule « Yes we can ! », donnant ainsi de bonnes raisons d'espérer pour l'avenir de la terre. »

    Source : Les liaisons dangereuses, par Roger Rabbit Chaud de Lapeau (article paru dans lapin-news.la, traduit du lapon par Lapin Crétin).

    J’ajoute à cet article cette vidéo montrant le combat désespéré d’un militant attardé de l’OL contre le serpent : http://www.dailymotion.com/video/x139p3_lapin-vs-serpent-le-combat_animals

  3. MCD

     Bonjour, je ne me suis pas fourvoyée dans le terrier, mais à cause de vous Charlatan, je ne peux plus dorénavant appeler mon petit-fils mon Lapinou!

    Ceci dit, quand le Pape François a réactivé "la paternité responsable" ds son discours devant les Philippins , mon oreille féminine européenne a bien traduit"maternité responsable".et je pense que le principal obstacle à la maîtrise de la fécondité ds les pays dits"pauvres"(malgré leurs richesses…mais ça c'est un autre problème) est l'ignorance et en premier lieu celle des femmes.Ce n'est pas un hasard si l'explosion démographique concerne surtout les pays où la femme a un statut d'infériorité ds la société et où l'analphabétisme féminin ou le manque d'éducation restent importants ds les couches populaires ..On peut même parler de régression …ds certaines sociètés…MCD

     

    1. Charles Atans un peu

      Chère MCD, je suis bien désolé d'avoir pris en otage vos petits mots affectueux. Je suis sûr que dans quelques jours, vous m'aurez oublié et que vous pourrez utiliser tous les "lapinous" que vous voudrez… En attendant, je m'incline jusqu'à terre devant votre intervention et je salue l'acuité de votre belle oreille, capable de percevoir ce qu'il convient d'entendre sous les mots. Combien vous avez raison ! Qu'elle sévisse dans les pays "pauvres" ou chez les lapins gras (mais qui maigrissent dangereusement), cette ignorance des femmes et de la femme, de sa vocation profonde et de sa dignité est sans aucun doute la cause de bien des souffrances. Ce petit article était un hommage indirect à ces femmes dont le drame personnel ne peut trouver de réelle consolation dans les slogans ou les déclarations de bonne intention, fussent-elles utiles. Mon gros coeur de lapinou voudrait battre au rythme du monde, mais il souffre d'arythmie (mon coeur ou le monde ? Je ne suis pas sûr de la réponse). Dimanche prochain : lapin aux pruneaux !