Le projet de loi de Marisol Touraine devra être discuté au Sénat d'ici le mois d'octobre. Il demande aux sages-femmes de réaliser des IVG (interruption volontaire de grossesse) médicamenteuses. En plus de la question de l'extension des compétences à cet acte, loin de répondre aux revendications des sages-femmes, ce projet les surcharge sans compensation. Entretien avec Agathe A., sage-femme.
Le gouvernement veut donner plus d'autonomie et d'indépendance aux sages-femmes en leur permettant de prescrire et de réaliser des avortements médicamenteux, est-ce vraiment une revendication des sages-femmes ?
Sage-femme est une profession médicale, c’est-à-dire que nous avons le droit de prescrire certains médicaments aux femmes (enceintes ou non) et de pratiquer certains actes médicaux. Nous pratiquons les accouchements physiologiques (sans complication) de manière autonome. Nous accompagnons la mère et son nouveau-né durant les premiers mois en complément du pédiatre. Depuis 2009 nous pouvons aussi assurer le suivi gynécologique des femmes en bonne santé jusqu’à la ménopause.
Toutes ces compétences mal connues du grand public sont aussi mal reconnues en terme de statut professionnel et de rémunération dans les hôpitaux publics comme privés. Depuis 2 ans nous cherchons à faire valoir nos compétences et notre statut pour pouvoir travailler de manière plus complémentaire avec les gynécologues et les médecins et pour permettre aux femmes d’avoir des interlocuteurs adaptés à chacune de leurs situations de vie.
Pour autant, nos revendications ont été peu entendues. Ce que nous propose le ministère de la Santé est plutôt avantageux pour lui-même : « Le Gouvernement a engagé de multiples actions pour améliorer l’accès des femmes à la contraception et à l’IVG, en particulier dans la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Mais l’accès à l’IVG demeure trop difficile et il s’agit notamment aujourd’hui d’améliorer l’accès des femmes sur l’ensemble du territoire, à l’IVG médicamenteuse, […] » (Article 31 du Projet de loi Santé accepté par l’Assemblée Nationale le 15 avril 2015). Pour régler le problème de l'accès à l’IVG on demande aux sages-femmes d’être de la partie.
Mais le métier de sage-femme est au service de l’accompagnement de la femme dans la régulation de sa fécondité et l’accueil de l’enfant. Il y a déjà beaucoup à faire pour améliorer cela en France ! Ainsi, la pratique de l’IVG (interruption volontaire de grossesse) médicamenteuse est en contradiction avec l’essence même de notre métier. Pour la plupart des sages-femmes, elle n’a jamais constitué une revendication !
Y a-t-il une réaction parmi vos collègues et si oui pourquoi ?
Pour le moment, mes collègues hospitalières ne se sentent pas encore concernées par ce projet et ne réagissent pas à la proposition. Le Conseil de l’Ordre des sages-femmes a, quant à lui, émis un avis malheureusement favorable à cette évolution du métier, tout en rappelant qu’elle ne correspondait pas initialement à une revendication des sages-femmes : « L'Ordre estime toutefois que le législateur, toujours prompt à impliquer la profession sur des mesures fortes, devrait davantage prendre en considération les ambitions légitimes des sages-femmes quant à la reconnaissance dont elles souhaitent bénéficier. » (Communiqué du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes à Paris le 20/02/2015).
Il a également rappelé l’importance de conserver la clause de conscience : « […] le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes estime qu'il est important de maintenir la clause de conscience spécifique à l'IVG, issue de la loi Veil. Cette disposition représente en effet une référence incontournable pour tous les professionnels de santé qui pourraient être amenés à concourir à une interruption de grossesse » (Ibid).
Comment peut-on vivre la liberté de conscience aujourd'hui ?
Difficile question… La clause de conscience est juridiquement un atout encore très fort pour ceux qui ne veulent pas pratiquer certains actes. Cependant, sa légitimité a été remise en question lors de la proposition du projet de loi Santé : l’avortement étant devenu un « droit fondamental de la femme ». Dans quelle mesure celui qui ne veut pas le pratiquer n’entraverait-il pas le droit de la femme ? Il a donc été proposé de retirer la mention spécifique de la clause de conscience pour l’IVG. Cette proposition n’a pas été retenue, étant considérée comme non conforme à la Constitution.
En pratique dans les structures hospitalières, il est parfois difficile de faire respecter sa liberté de conscience. Les étudiants notamment ne bénéficient pas à l’heure actuelle de cette clause. Moi-même, j’ai fait le choix de parler dès mon entretien d’embauche de mon souhait de ne pas participer aux interruptions médicales de grossesse pratiquées en salle de naissance par les gynécologues et les sages-femmes. Dans l’un des hôpitaux où je faisais déjà des vacations, un CDD m’a finalement été refusé pour cette raison. Je connais plusieurs sages-femmes qui ont été dans la même situation. D’autres de mes collègues préfèrent ne pas en parler d’emblée et tenter d’esquiver les situations « à risque ».
Chaque professionnel exerce sa liberté de conscience comme il le peut, il n’y a pas de solution unique. Quoi qu’il en soit c’est un combat. Un combat aussi pour savoir quelle est notre place, comment rester présent auprès de ces femmes, de ces couples qui sont dans une telle détresse qu’ils décident de mettre terme à la vie qu’ils ont fait éclore. Détresse familiale, économique. Sidération et révolte devant la maladie ou le handicap qui surgit avec la vie naissante. Comment accompagner sans juger… ni cautionner ? Au cœur d’un système aux rouages bien huilés, qui ne supportent pas les grains de sables que nous sommes… A moins de les transformer en grains de sel ? « Vous êtes le sel de la terre ! Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n’est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent. »
Quelles actions envisagez-vous pour alerter l'opinion et infléchir ce projet de loi d'ici novembre ?
Nous sommes quelques sages-femmes et étudiantes qui s’interrogent sur l’avenir de notre beau métier. Un groupe s’est ainsi formé pour faire connaître aux élus le métier de sage-femme. Nous voulons leur faire comprendre que l’IVG est un acte contraire à l’essence de notre profession. Nous voulons faire entendre la voix des nombreuses sages-femmes qui refusent d’inclure l’avortement dans le champ de leurs compétences.
Le 10 avril 2015, l’Assemblée Nationale approuvait le projet de loi Santé proposé par Marisol Touraine. Ce texte devrait être discuté au Sénat d’ici le mois d’octobre. Nous envisageons donc d’écrire aux sénateurs et de rassembler un maximum de sages-femmes pour signer une pétition contre ce projet.
Depuis quand exercez-vous ce métier de sage-femme et qu'est-ce qui vous a donné l'envie de le faire ?
Sage-femme diplômée en 2014, j’exerce depuis le mois d’août dans deux hôpitaux parisiens. C’est un métier que je découvre chaque jour. L’idée d’être sage-femme m’est venue simplement en Terminale quand je cherchais quelque chose de concret, tourné vers la personne, mais pas vers la maladie. Ce n’est donc pas vraiment par passion que je me suis lancée… Les études ont d’ailleurs été assez difficiles, avec plusieurs remises en questions. Je peux dire que j’ai vraiment découvert ce métier au cours des stages, parfois difficiles. Et que j’ai vraiment commencé à l’aimer à partir de la 4ème année d’étude (sur 5 !). Depuis c’est chaque jour une découverte, car malgré l’exigence technique que cela requiert, accompagner des couples dans l’arrivée très concrète de l’enfant est une tâche très belle, presque surnaturelle !
Quelles sont vos plus belles expériences professionnelles ?
J’ai un jour accompagné une femme pour la naissance de son premier enfant. Une femme métisse très grande et très belle. Elle me marquait beaucoup par son sang-froid et son courage dans la douleur. Après plusieurs heures de travail, elle me dit entre deux contractions, alors que j’essayais de la soulager en la massant : « Vous savez, les médecins m’avaient dit que je ne pourrais jamais avoir d’enfants naturellement. Nous avons tout tenté pendant des années. J’avais fini par abandonner. Et puis alors que je n’attendais plus rien, notre fille est arrivée. Cet enfant, c’est un miracle. Alors je veux tout donner pour la mettre au monde. » Quelle gratitude face à la vie !
Ma plus belle expérience, c’est d’avoir pris conscience du don total de la femme à travers la maternité. Au-delà des aléas, des contraintes, des stress du métier, c’est cela qui me ramène au sens de ce que je vis au quotidien : contempler ces femmes à travers lesquelles Le Christ se dévoile.
Propos de Agathe A., sage-femme (Contact mail.), recuillis par Jc. Bagnoud
Merci pour ce très bel article qui remet les fondements de ce métier dans sa véritable finalité : être des serviteurs de la vie, accompagner le don de la femme dans sa maternité. Lors de mes études de sage-femme, j'ai aussi le souvenir bien ému d'une très jeune femme qui accouchait sous X. Elle avait décidé de ne pas avorter mais elle ne pouvait pas non plus élever seule son enfant . Elle avait alors décidé très consciemment, d'entrer dans une autre forme de sacrifice et de don : le confier à une famille pour que son enfant soit adopté. Lors de l'accouchement, je me souviens des jugements très violents, humiliants d'une certaine partie du personnel, mais aussi du courage immense et du sourrire plein de larmes de cette jeune maman offrant véritablement son enfant pour une famille.