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Mgr Hollerich (2) : Les défis de l’Eglise au Luxembourg

L’archevêque du Luxembourg prend à bras le corps les défis contemporains. Il est confronté à la perte de la foi d’une société catholique et à la séparation de l’Eglise et de l’Etat provoquée par le gouvernement. 

L’Europe, l’évangélisation et les jeunes 

Après le Japon (voir article précédent) qu’est-ce qui vous a marqué au Luxembourg suite à votre nomination comme archevêque en 2011 ? 

Le Luxembourg était une terre fortement catholique. Un peu comme l’Irlande, la Flandre ou Malte. Mais maintenant il n’y a plus beaucoup de restes du catholicisme d’autrefois. C’est une société fortement sécularisée, une société internationale. Et la partie luxembourgeoise est la plus sécularisée. Quand on va dans les églises, ce ne sont plus que des vieilles gens, un peu comme dans les temples du Japon. Les jeunes ne connaissent plus grand chose sur la religion, tout comme au Japon. Nous sommes dans la situation dangereuse d’oublier le christianisme. 

On voit aussi le même cléricalisme que dans le bouddhisme japonais où les gens gèrent le temple mais ne sont pas des missionnaires actifs du bouddhisme. Pourtant, le bouddhisme avait originellement cette ouverture missionnaire puisque, en partant de l’Inde par le biais de la Chine, il est arrivé au Japon. Et c’est la même chose en Europe on a perdu cet élan missionnaire. 

Mais pour cela, une religion doit être vécue. On voit qu’au Luxembourg, la primauté est donnée à l’économie. On y suit un consumérisme religieux qui est une adaptation du consumérisme général. On fait la même chose on consomme la religion. Mais comme Dieu n’est pas un objet, il ne se laisse pas consommer. 

Comme au Japon, je vois donc mon travail comme le fait d’être missionnaire. 

Et comment se caractérise cette mission ?  

Tout d’abord ma priorité ce sont les jeunes. Parce que les jeunes ne sont plus à l’église. J'en rencontre pas mal par les confirmations. J’aime leur parler et j’ai l’impression qu’ils écoutent bien. Nous avons fait des voyages ensemble, nous étions 280 pour aller à Rio, aux JMJ, ce qui était un succès énorme parce qu’à Madrid ils n’étaient que 40. Mais ce n’est pas seulement le fait du nombre, mais les propositions que l’on fait aux jeunes : on voit qu’ils reviennent changés. Si on ne fait pas des jeunes une priorité pour l’apostolat, on n’aura plus de christianisme demain. C’est une question de vie ou de mort pour le christianisme. 

Vous avez aussi emmené 150 jeunes en Thaïlande. Et vous partez bientôt à Assise en pèlerinage.

Oui, l’année passée, nous avons construit une église dans un petit village Karens et c’était merveilleux. Les jeunes se sont vraiment dépensés pour construire cette église. Nous partons à Assise avec 82 de ces jeunes, puis à Rome avec 80 servants de messe, ça fait partie de mon programme d’été… 

Votre devise d’ailleurs est « Anunciate » !  

Annoncer ! Il faut annoncer l’Evangile. C’est la mission que le Christ a donnée à son Eglise. Et qu’il a donné aux apôtres. Si je prends au sérieux le fait d’être successeur des apôtres, je dois annoncer l’Evangile, que ça plaise ou non. 

Rencontrez-vous des résistances par rapport à ce positionnement ? 

Oh oui ! Nous avons un catholicisme très libéral à Luxembourg, qui fait de bonnes choses et les gens sont de bonne foi. Mais ce n’est pas un christianisme qui porte du fruit. Parce que l’annonce de l’Evangile n’est plus faite. Peut-être que les gens confondent prosélytisme et annonce de l’Evangile parce qu’ils pensent que proposer la foi serait déjà trop. Alors que moi, je ne peux pas vivre sans proclamer le Christ.

L’Evangélisation est toujours une proposition de la foi à la liberté. Nous ne faisons que l’annonce. Celui qui touche les cœurs, la liberté des gens, c’est Dieu.

Les relations de l’Eglise et de l’Etat au Luxembourg

Vous êtes confronté à un gouvernement fortement anticlérical qui vient de précipiter la séparation de l’Eglise et de l’Etat…

Le gouvernement ne comprend pas du tout les religions. Pour lui, les religions sont du domaine du privé. Là, je proteste toujours, car je ne peux accepter cela. Ils sont d’avis que le christianisme va disparaître : c’est la raison qui s’établira, il n’y aura plus besoin des religions, de l’obscurantisme religieux, etc. Les vielles histoires du temps des Lumières… 

Comment cette séparation s’est elle produite ? 

Il y a trois conventions que j’ai dû signer avec le gouvernement. 

La première concerne le salaire des prêtres car jusqu’à maintenant, même s’il n’y a pas d’impôt comme en Allemagne, tous les ministres du culte et les agents pastoraux étaient payés par l’état. Je pense que c’était normal à un moment où tout le monde était catholique, mais s’il n’y a que 4% qui vont à la messe le dimanche, il devient difficile de le justifier. 

Je pense qu’on a trouvé un très bon accord. Tous ceux qui reçoivent déjà un salaire continueront à recevoir leur pension. Mais il n’y aura plus de ministres payés par l’état dans l’avenir. En revanche, nous continueront à recevoir un soutien financier même si cela ne concernera plus l’intégralité des besoins. 

Ce qui fait plutôt mal c’est la suppression du cours de religion. Les parents n’auront plus le choix entre un cours de religion ou de morale laïque. Les deux seront abolis. Un nouveau cours de « valeurs » sera introduit. Cela fait mal, mais en même temps, il faut aussi avouer que dans quelques années, nous n’aurons plus les personnes pour donner ces cours car beaucoup de ces enseignants sont proches de la retraite. Si on regarde cela de manière réaliste, le gouvernement nous aide à quitter un système qui bientôt ne fonctionnera plus. Nous sommes donc en train d’élaborer un programme de catéchèse en paroisse. 

C’est la troisième convention qui fait le plus mal. Nous fonctionnons avec le concordat de Napoléon, avec les « Fabriques d’Eglise ». Ces organes publics, dont le maire fait partie, sont destinés à gérer les biens de l’Eglise. Il y en a 270. Ils sont sous double tutelle, celle de la commune et celle de l’archevêché. Normalement, les communes devaient assumer le déficit de ces organismes. Ils couvraient les frais de décoration intérieure (orgues, autels, etc…) et les bâtiments étaient pris en charge par la commune. 

Le ministre de l’intérieur à fait cette proposition : on va créer un fonds, et dans ce fonds on va mettre toutes les propriétés des Fabriques d’Eglise. Il sera administré par des gens de l’archevêché. Quant à moi, j’ai donné la garantie que ce fonds aura une gestion locale. 

Ça pose beaucoup de problème aux Fabriques d’Eglise, mais pas à moi. Je pense que c’est la meilleure manière de rentabiliser ces organismes. 

Le problème, c’est qu’il y a certaines communes qui ne veulent plus payer pour les églises. Le ministre de l’intérieur attend donc qu’on sécularise les églises dont on n'a plus besoin. Mais naturellement, la définition de ce dont on n’a plus besoin est différente du point de vue de l’archevêché ou de celui des communes. Il y aura des pourparlers, et là, je voudrais prendre une ligne dure. Parce que s’il y a des gens qui ont travaillé pour cette église, qui ont donné de l’argent pour les statues, les orgues, je pense que l’église appartient aux gens. Et que nous ne pouvons donc pas les fermer. 

Cependant, dans l’avenir, si on regarde l’âge des personnes qui vont à la messe, on aura besoin de beaucoup moins d’églises. On devra alors vendre les églises aux communes, ou à l’état pout 1 euro, car l’état et les communes ont investi dans les églises. Elles devront être désacralisées, pour une utilisation qui ne soit pas contraire à la vocation du lieu. J’y veillerai et protesterai publiquement si cela n’est pas respecté. 

Comment réagissent les luxembourgeois ? 

Ce sont de grands changements survenus en peu de temps et cela fait peur à beaucoup. Si on leur explique les choses, en général ils sont d’accord, mais le syndicat des Fabriques d’Eglise réagit violemment contre ma signature. Il me trouve un peu trop naïf et ils ne savent pas qu’il y a beaucoup de contacts avec les hommes politiques et que les choses ne sont pas si simples. Mais on sera occupé avec ce problème dans l’avenir encore. 

Et du point de vue de la pratique religieuse… 

Il y a aussi un danger. Si nous avons trop d’églises, les prêtres vont dire des messes dans toutes les églises, il n’y aura plus de rassemblements eucharistiques, mais une vingtaine de personnes ici et là. On a aussi des ADAP, des cultes sans prêtre en même temps que des messes dites ailleurs et je ne suis pas du tout en faveur de ces pratiques. Si il y a moins d’église, on devra se déplacer. 

Cela implique donc un changement dans les manières de faire…

On se déplace pour faire des achats, pour aller dans les écoles. Il n’y a plus d’écoles de villages depuis longtemps. Il y a eu des transformations de la société qu’on suit après beaucoup d’années. Ça paraît plus violent parce que tout arrive d’un seul coup.   

Il y a eu un referendum récemment sur différents points notamment le droit de vote aux étrangers, etc. Quelle est votre vision ? 

Il y a eu un non spectaculaire aux propositions du gouvernement. Il est clair qu’une majorité de gens en ont marre du gouvernement, d’un premier ministre qui pleure souvent à la télévision mais qui ne connaît pas ses dossiers… 

Dans ce referendum nous avons cherché à éviter la question sur la religion. Des gens disent que l’Eglise n’aurait pas dû signer les conventions mais aurait dû oser le referendum. Si on avait pu poser des questions sur l’instruction religieuse ou sur les bâtiments d’église, je pense qu’on aurait gagné. Mais le referendum ne portait que sur un article de la constitution concernant le fait que les ministres du culte étaient payés par l’Etat. C’était sur cette phrase que le referendum devait se jouer. Et cela aurait donné du crédit pour les réformes que le gouvernement voulait entreprendre. On n’aurait pas seulement perdu le traitement pour les nouveaux ministres du cultes et agents pastoraux, mais la totalité. Or l’église n’a pas les fonds pour assumer ces coûts. J’ai dû faire le calcul : si nous vendions tout, nous ne pourrions perdurer que 3 ans et demi sans licencier personne. 

De plus, la télévision, RTL, qui n’est pas favorable à l’Eglise aurait certainement fait une campagne sur les prêtres pédophiles pour influencer les personnes. Il y aurait eu beaucoup de dégâts. Je suis content qu’on ne l’ait pas fait. 

Est-ce que ces changements ne représentent pas une opportunité pour l’Eglise du Luxembourg ?

Je pense que c’est une grande opportunité. Nous avons retrouvé notre indépendance. Nous sommes une Eglise très influencée par le joséphisme, nous appartenions à l’empire des Habsbourg, Joseph II était duc du Luxembourg, on prescrivait jusqu’au nombre de cierges qui pouvaient être brûlés. Cela a continué avec le concordat de Napoléon. Nous allons redevenir libre. Par exemple, jusqu’alors, quelqu’un qui travaille pour l’Eglise ne pouvait pas accepter de charge officielle. Pour les prêtres c’est normal, cela coïncide avec le droit canon, mais pour un laïc c’est tout de même discriminatoire. Ces choses-là tomberont. 

De plus, aujourd’hui les paroisses et les Fabriques d’Eglises sont déterminées par la loi. Je n’ai donc pas la liberté de changer les paroisses. 

Il y a aussi un clergé très bien payé. Nous avons de très bons prêtres, mais aussi un certain pourcentage qui serait peut-être parti s’ils n’avaient pas de tels salaires. Cela fait du mal à l’Eglise. Je pense que ce sera plus sain dans l’avenir. 

Cela représente un défi pour l’évangélisation…

Oui, car aujourd’hui nous nous grisons du passé. Nous pensons que nous sommes nombreux, que nous sommes une culture chrétienne, mais tout cela a cessé depuis longtemps. Il faut nous rendre à l’évidence, voir la réalité. On ne peut trouver Dieu que dans la réalité, et non dans le rêve. Il faut donc accepter la réalité pour que Dieu puisse nous conduire dans l’avenir.
Mais c’est difficile. 

Ça nous donnera aussi un outil pour intégrer les populations qui pour l’heure sont trop sectorisées. Il y a quelques évènements où les différentes communautés luxembourgeoises, françaises ou portugaises se rencontrent. Mais on aimerait beaucoup plus de ce genre d’initiatives pour qu’on devienne une Eglise non pas seulement sur le papier, mais en réalité. 

De toute façon on a beaucoup de centres au Luxembourg qui ne sont pas des paroisses. Comme la chapelle du Christ Roi des Jésuites, les sœurs du Verbe Incarné à Cents (Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matará), l’église des pères rédemptoristes… Ce ne sont pas des paroisses mais la vie est beaucoup plus présente que dans les paroisses. Donc ça nous permet de mettre une autre structure qui soit plus souple pour les nouvelles réalités qui pour l’heure sont complètement écartées et négligées. 

(A suivre… Dans la suite de l’entretien, Mgr Hollerich évoque ces changements dans l’Eglise, les nouvelles réalités ecclésiales, la nature des charismes, l’obéissance, la filiation et la place de la compassion dans la mission).

Propos recueillis par D. Cardinaux

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