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Winston Churchill, un homme dans l’adversité (2)

Lorsque l'Angletterre entre en guerre en septembre 1939, les propos de Churchill avant le déclenchement des hostilités semble avoir été prophétiques : « si vous ne voulez pas prendre les armes pour une juste cause lorsque vous pouvez aisément vaincre sans effusion de sang, si vous refusez encore de combattre quand la victoire est certaine et peu coûteuse, alors vous risquez d’avoir à lutter avec toutes les chances contre vous et un faible espoir de survie. Mais ce peut être encore pire : vous pouvez être forcé de livrer bataille sans espoir de vaincre, parce qu’il vaut mieux périr que vivre en esclave[1] ».

Mais à ce moment l'heure est à la résistance et Churchill va incarner cet état d'esprit. Une fois balayé les ilusions du désarmement mondiale et du pacificisme vis à vis de l'agresseur nazi, il pourra donc être rapidement rappelé aux affaires et diriger la Grande Bretagne en ce moment crucial où elle joue sa survie.  

L’esprit de résistance de Churchill et celui de l’Angleterre

Dès 1937 à Ribbentrop Churchill remet les choses au point devant l’ambassadeur du Furher. Le portrait qu’il dresse de l’Angleterre semble être presque un autoportrait : « Lorsque vous parlez de guerre, et de ce qui serait certainement une guerre générale, il ne vous faut pas sous estimer l’Angleterre. C’est un curieux pays, dont peu d’étrangers parviennent à comprendre la mentalité. Ne le jugez pas d’après l’attitude de son gouvernement actuel. Qu’une grande cause s’offre à son peuple, et vous verrez de combien d’actions inattendues seront capables ce même gouvernement et la nation britannique ! » Et je répétai : «ne sous estimez pas l’Angleterre ! Elle est très habile. Si vous nous plongez dans une nouvelle grande guerre, elle dressera le monde entier contre vous comme la dernière fois ».  

Et c’est bien parce qu’il est premier ministre en tant de guerre qu’il pourra donner la pleine mesure de lui même. Winston est de ceux qui devant une porte qui se ferme pousse plus fort au lieu d’abandonner. Et son énergie sera contagieuse. A présent tout le pays va se ranger derrière lui. Il fait un avec sa fonction de premier ministre :

« C’est ainsi que, dans soirée du 10 mai, au moment où débutait une bataille formidable, j’ai assumé le pouvoir suprême de l’Etat, que je devais exercer sans cesse plus activement pendant 5 ans et trois mois de guerre mondiale (…)

Au cours des dernières journées trépidantes de crise politique, mon pouls ne s’était pas accéléré un seul instant. J’avais pris tous les évènements comme ils venaient. Mais je ne saurais cacher au lecteur de ce récit sincère que, lorsque j’allais me coucher vers 3 heures du matin, je ressentis un profond soulagement. J’avais enfin de pouvoir de donner des directives dans tous les domaines. J’avais l’impression de ne faire qu’un avec le destin, et il me semblait que toute ma vie passée n’avais été qu’une préparation à cette heure et à cette épreuve.

Dix années de traversée du désert m’avaient tenu à l’écart des habituelles luttes partisanes. Les avertissements que j’avais donnés aux cours des six dernières années avaient été si nombreux, si précis, et se trouvaient à présent si terriblement justifiés que personne n’était en mesure de me contredire. On ne pouvait me reprocher ni d’avoir déclenché la guerre, ni d’avoir négligé de la préparer.

J’estimais n’être pas dépourvu d’expérience en la matière, et j’étais sûr de ne pas échouer. Quelle que fût donc mon impatience d’en arriver au lendemain matin, je dormis d’un profond sommeil et n’eus besoin d’aucun rêve pour me réconforter. La réalité vaut mieux que les rêves[2] ».

La source de l’action  de Churchill : sa compassion.

L’un de ses adversaires politiques du moment, Clement Attlee, dira de Churchill: « sa plus grande vertu, la compassion, n’a jamais été pleinement appréciée. C’est cette compassion, jointe à son énergie, qui le rendait si « dynamique ». La cruauté et l’injustice le révoltaient. Sa volonté de les combattre lui faisait prendre bien des initiatives qui n’étaient sans doute pas toujours avisées et pas toujours à mon goût.

Mais je n’ai jamais sous estimé ce vaste fonds d’humanité, de bienveillance, d’amour –appelez cela comme vous voudrez- qui transparaissait dans son caractère. (…) Je me souviens des larmes qui coulaient sur ses joues lorsqu’il me disait un jour d’avant guerre à la chambre des communes comment on traitait les juifs en Allemagne –non pas quelques juifs de ses amis, mais les juifs dans leur ensemble (…) Il était opportuniste sans nul doute, mais il avait de la compassion pour ses semblables [3]»  

« Quelle est notre politique ? »

Il annonce dès le 13 mais sa politique. : « après avoir annoncé les nominations effectuées jusque là aux différents ministères, je déclarai ensuite ; « je n’ai rien d’autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur (…) je conclus par ces mots :

« Vous me demandez : « quelle est votre politique ? » je répondrai : faire la guerre sur mer, sur terre et dans les airs, avec toute la puissance et toute la force qu’il plaira à Dieu de nous donner ; faire la guerre contre une monstrueuse tyrannie, sans égale dans le sinistre et lamentable catalogue du crime humain. Voilà notre politique.

Vous demandez ce qu’est notre but ? Je vous réponds d’un mot : la victoire, la victoire à tous prix, la victoire en dépit de toutes terreur, aussi long et pénible que puisse être le chemin ; car sans victoire il n’est point de salut (…) mais c’est plein d’espoir et d’enthousiasme que j’aborde ma tâche, car je suis certain que les hommes ne supporteront pas de voir échouer notre cause. En cet instant, je me sens en droit de réclamer l’aide de tous et je vous dis : « allons réunissons nos forces et avançons tous ensemble [4]».        

La force des chefs : savoir entrainer les autres.

Au moment où la défaite de la France se fait de plus en plus probable et lorsque l’opération « dynamo » (évacuation de France du corps expéditionnaire britannique) parait compromise  il dit aux députés :

« Bien entendu, quoi qu’il arrive à Dunkerque, nous continuerons le combat ».

Sa détermination est contagieuse car il raconte qu’à ce moment là : « il se produisit une manifestation qui me surprit, considérant la nature de cette assemblée composées de vingt cinq politiciens et parlementaires chevronnés (…) beaucoup d’entre eux parurent bondir de leur place pour accourir jusqu’à mon fauteuil, en poussant des exclamations et en me tapant dans le dos. De toute évidence, si, à cette heure critique, j’avais montré la moindre faiblesse dans la conduite de la nation, j’aurais été chassé de mon poste. J’étais certain que chacun des ministres était prêt à se faire tuer sur l’heure et à voir sa famille et ses bien anéantis, plutôt que de se rendre ». 

Et maintenant c’est au tour de l’opposition, si hostile au réarmement il y a encore peu de temps, de rejoindre Churchill dans sa détermination. En plein Dunkerque, Monsieur Attlee, chef du parti travailliste déclare : « le peuple anglais comprend maintenant le danger qui le menace et il sait que, dans le cas d’une victoire de l’Allemagne, tout ce qu’il a édifié serait détruit. Les allemands ne tuent pas seulement les hommes, mais aussi les idées. Notre peuple est déterminé comme jamais auparavant dans son histoire ». 

La résistance jusqu'au bout

Un tel ralliement tardif devait cependant paraitre un bien maigre consolation devant l’accumulation des mauvaises nouvelles surtout depuis la France. Churchill se rend compte qu’elle va capituler et que l’Angleterre va devoir continuer seule le combat. Pis, ce qui est en jeu maintenant c’est la survie même de la Grande Bretagne, menacée de nouveau par une invasion. Mais le premier ministre est plus déterminé que jamais et semble plus à l’aise que jamais lorqu’il est dos au mur. Il affiche sa détermination à se battre jusqu’au bout lors d’un discours resté célèbre :  

« Bien que de vastes étendues de l’Europe et de nombreuses nations illustres et vénérables soient tombées ou puissent encore tomber aux mains de la Gestapo et de tout l’odieux appareil du régime nazi, nous ne faiblirons ni ne faillirons. Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et sur les océans, nous nous battrons dans les airs avec une assurance et une force toujours croissante, nous défendrons notre île, quel qu’en soit le coût, nous nous battrons sur les plages, nous nous battrons sur les terrains d’aviation, nous nous battrons dans les champs et dans les rues, nous nous battrons sur les collines ; jamais nous nous rendrons. »

Les mois d’été 1940 seront donc consacrés à la défense de l’île, au rééquipement des 250 000 hommes évacués à Dunkerque[5] et à la guerre aérienne pour s’assurer la suprématie de l’air. Mais c’est mal connaitre notre homme que de penser qu’il va s’en tenir à une stratégie uniquement défensive. A la grande stupéfaction de son état major Churchill, qui sait que la meilleure défense c’est l’attaque propose dès le 4 juin 1940 :

« Nous ne pouvons pas permettre que l’état d’esprit exclusivement défensif qui a causé la perte des français compromette également toutes nos initiatives (…) comme ce serait merveilleux si nous pouvions amener les allemands à se demander où il subiront le prochain assaut, au lieu d’être nous-mêmes contraints de murer notre île et de la couvrir d’un toit ! Nous devons nous efforcer de nous débarrasser de notre sujétion mentale et morale à la volonté et à l’initiative de l’ennemi ». 

De 1940 à 1945 il sera sur tous les fronts contre le nazisme. Et même si l'histore le jugera sévèrement pour un certains nombres de décisions (Mers el Kebir, inutile bombardement de Dresde en mars 1945, soutien de Tito contre les monarchistes, erreurs stratégiques en Grèce, lâchage du gouvernement légitime de Pologne pour s’assurer du soutien de Staline…) il ne deviera pas de son  objectif d’obtenir la victoire finale. Il restera toujours à l’image de cette grande qualité du peuple anglais qui se bat jusqu’au bout, prêt à tous les sacrifices pour la victoire.

Il restera reconnu comme l’homme qui a vu venir le nazisme et su lui opposer une résistance de tous les instants. Et le premier à dénoncer ensuite le « rideau de fer » abbatu sur l'Europe par les communistes. De tels hommes intègres, courageux, fidèles à eux même, prêt à sacrifier leur vie et leur carrière pour leur pays, n’est ce pas ce dont nos pays occidentaux ont urgemment besoin au moment où se profilent de nouveaux dangers en Europe et dans le monde ?

 


[1] « Winston Churchill Mémoires de Guerre 1919-1941 », édition Tallandier.

[2] « Winston Churchill Mémoires de Guerre 1919-1941 », édition Tallandier, p.249.

[3] « Winston Churchill » par François Kersaudy, édition Tallandier, p.305.

[4] « Winston Churchill, Mémoires de guerre 1919-1941, édition Tallandier, p.267-268.

[5] Si les hommes ont pu être évacués, au revanche tout le matériel du Corps expéditionnaire a été perdu. C’est les américains qui viendront au secours des anglais en commençant par leur donner des fusils et des canons de 75 datant de …la première guerre mondiale !

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Patrick Billot

    Merci Arnaud pour ton double article. Deux points de discussion avec toi si tu le veux bien.

    Tout d'abord je ne crois pas à cette idée de compassion comme source de l'action de Churchill.

    En effet, ce qui c'est passé à Dresde est suffisement significatif pour mettre à mal cette idée. Le choix de Churchill (et des Américains) de bombarder une ville avec des bombes à fragmentation peut être vu alors comme un extraordinaire machiavélisme. 

    D'ailleurs, pour reprendre la 1ère partie de ton article, il fut capable de relever l'injustice du traité de Versailles et du venin que ce traité distillait en Europe, mais inflige quand même un Dresde aux allemands créant de facto les conditions d'une rancune populaire.

    Ensuite je pense que l'idée d'une détermination anglaise sacrificielle, qu'incarnait Churchill, est bien réelle, mais romancée. C'est une image largement écornée parce que Churchill a fait payer un lourd tribu à ses ennemis comme à ses alliés pour obtenir cette fameuse victoire totale. Victoire, certes. Mais terriblement ambivalente. 

    A vous le micro,

     

     

  2. Arnaud de Malartic

    Cher Patrick, 

    Cette qualité de la compassion de Churchill ne vient pas de moi mais de l'un de ses plus féroce adversaire politique, le travailliste Clément Attlee. Il m'a semblé intéressant de la mettre dans cet article car cet homme, tout en reconnaissant des désaccords avec Churchill et un certain opportunisme de sa part (mais quel homme politique n'est pas un peu opportuniste?), avait réussi à voir que la source de l'action de Churchill résidait dans cette empathie qu'il avait pour les personnes qui souffrent. En l'occurence ici les juifs persécutés par l'Allemagne nazie.

    Quant au bombardement de Dresde en avril 1945, bombardement totalement inutile, justifié par aucun objectif stratégique au sein d'une guerre déjà gagnée, il est sans doute à mettre sur le compte de la faiblesse de notre homme. Staline avait réclamé ce bombardement et Churchill et les américains se sont exécutés. Aujourd'hui, avec le recul, l'histoire trouve cet acte insensé. Néanmoins, je ne pense pas qu'il faille juger et condamner l'ensemble de l'action d'un homme sur cette faute, aussi lourde fut elle. Car elle ne cadre pas justement avec le personnage. Jamais Churchill n'a parlé de vengeance, d'envie de destruction, de désir d'exterminer le peuple allemand ou de lui faire payer sa fidélité à Hitler. Il ne faut pas réduire Churchill à Dresde de même que de Gaulle au lâchage de l'Algérie et des harkis (les 100 000 morts de Sétif) après une guerre gagnée sur le terrain.  

    Il est difficile d'étudier les grands hommes sans que soit en même révélé leurs erreurs. Et des erreurs il y a en eu d'autres pour Churchill. Je pense, entre autres, à la livraison des prisonniers russes à Staline (livraison racontée et dénoncée par Soljénitsyne dans l'Archipel du Goulag). La part d'ombre de Churchill n'éclipse pas ce que cet homme a eu de lumineux dans un moment aussi décisif de l'histoire. Dresde nous enseigne que cette guerre n'a pas uniquement mis en cause des gentils contre des méchants. Mais que tout homme a été confronté à des choix et n'a pas toujours pris la bonne route.