Il y a quelques jours le premier ministre indien Narendra Modi entamait une visite officielle à Dubaï. Il avait bien sûr un but économique puisque les Emirats sont un des premiers partenaires économiques de l’Inde. Le 17 août, un des moments phares de la visite de Modi fut sa désormais traditionnelle rencontre avec la communauté indienne de la diaspora – 40 000 personnes faisant la queue sous une chaleur étouffante.
Le président Indien à Doubai, CC : Narenda Modi (flickr)
Chacune des rencontres de Modi avec la diaspora génère un grand enthousiasme de la part de celle-ci. Cela tient sans doute à sa personnalité, à son image d’homme d’affaire pragmatique qui laisse espérer un futur prospère pour l’Inde. Mais sans doute aussi la communauté indienne était elle touchée car elle avait le sentiment que Mother India ne l’oubliait pas. Ainsi ces mots d’encouragement de Modi : « when you work hard, you honor us »[1]
Modi représente certainement une Inde plus sûre d’elle, un pays qui peut prétendre à jouer un rôle de premier plan dans la région et dans le monde.
Un acteur politique de premier plan ?
En juillet le groupe des 5 pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) lors de leur 9ème rencontre lançaient officiellement une Banque de Développement qui vise à équilibrer les options trop unilatérales du FMI ou de la Banque Mondiale. Ce groupe des BRICS rassemble ce qu’on appele les pays émergeants. Si elle est avant tout un ensemble de coopération économique elle est devenue inévitablement un lieu de coopération politique – ainsi le soutien apporté à la Russie dont l’économie souffre durement des sanctions occidentales[2]. Ce groupe des BRICS peut prétendre à rééquilibrer un monde trop unipolaire où les Etats-Unis sont la seule grande puissance. L’Inde, dont les Etats-Unis sont un partenaire de premier plan – comme l’a confirmé la visite de Barak Obama en janvier dernier – n’hésite pourtant pas à se tourner quand c’est nécessaire vers d’autres acteurs. En cela l’Inde est fidèle à sa realpolitik qui a été sa ligne de conduite en politique internationale depuis les années 90 et l’effondrement de l’Union Soviétique, son partenaire traditionnel depuis l’Indépendance[3].
Пресс-служба Президента России, Wikimedia Commons
L’Inde adopte donc une démarche très pragmatique au niveau international, cherchant avant tout son intérêt propre. Cela rend toute lecture de sa politique internationale difficile et ce qui contraste avec son désir d’une plus grande reconnaissance au niveau mondial et en particulier son accueil au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. Certains analystes notent un manque de vision globale ou d’une stratégie à long terme[4].
Cependant, si le gouvernement Modi marque malgré tout des points au niveau international il est aussi critiqué par certains qui ne le trouvent pas à la hauteur en politique intérieure. Et de fait les défis ne manquent pas.
Tensions
Il y a quelques jours certains chiffres du recensement de 2011 ont été rendu publics : ils révèlent que la population musulmane augmente plus vite que le reste de la population et que par conséquent sa part dans la population totale a augmenté – elle est aujourd’hui de 14,23% soit 172, 2 millions[5]. La publication de ces chiffres a suscité un certain émoi parmi une partie de la population hindoue et n’a pas manqué de faire réagir la frange nationaliste. Depuis l’accession du BJP de N. Modi au pouvoir en mai 2014, les groupes hindous fondamentalistes font beaucoup parler d’eux. Ses chefs lancent quotidiennement leurs provocations dans les médias tandis que des actes violents sont attribués régulièrement aux groupes qu’ils dirigent – notamment contre des lieux de culte chrétiens. Les minorités en Inde vivent dans une certaine peur et se sentent mises à l’écart et ignorées du pouvoir central.
Des évènements récents au Gujarat semblent remettre en question une institution indienne qui date de l’Indépendance : la discrimination positive dont bénéficient les plus basses castes. En effet, une caste plus favorisée, les Patel, suite à différents évènements a commencé à revendiquer de pouvoir bénéficier de ces mesures de discrimination. Le mouvement a pris de l’ampleur et c’est finalement le système même de discrimination positive qui est remis en cause[6].
L’Inde est une société complexe. Tous reconnaissent que les attentes concernant Modi étaient – et restent peut être – disproportionnées. Lui-même reste entouré d’un certain mystère quant à sa vision de la société indienne. Nationaliste de circonstance plus intéressé par l’économie que par la politique, ou porte-parole discret mais efficace de l’édification de la « Nation Hindoue » ? Il faudra encore un certain temps avant qu’il ne se dévoile plus complètement.
[1] http://indianexpress.com/article/india/india-others/modi-in-uae-pm-to-address-indian-diaspora-in-dubai-shortly/
[2] http://in.rbth.com/world/2015/07/04/bilateral_relations_will_guide_brics_44043
[3] https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-3-page-95.htm
[4] https://www.foreignaffairs.com/articles/india/2013-04-03/indias-feeble-foreign-policy
[5] http://indianexpress.com/article/india/india-others/indias-population-121-09-crores-hindus-79-8-pc-muslims-14-2-pc-census/
[6] http://www.bbc.com/news/world-asia-india-34048678