Vingt-cinq ans après, l’écrivain raconte l’expérience mystique vécue en 1989 au cours d’un voyage dans le Sahara sur les traces de Charles de Foucauld.
« Je suis né en 1960. Je suis né à nouveau en 1989 ». C’est par ces mots qu’Eric-Emmanuel Schmitt résume le passionnant récit qu’il vient de publier.
Pourtant, rien ne prédispose à une expérience mystique le brillant normalien de 28 ans lorsqu’il effectue en 1989 un voyage dans le Hoggar. Issu d’une famille athée, professeur de philosophie insatisfait, il cherche sa voie. Un réalisateur de cinéma lui demande d’écrire le scénario d’un film qu’il se propose de réaliser sur Charles de Foucauld. C’est avec lui qu’il se retrouve, au mois de février, embarqué avec un groupe de touristes pour un périple de deux semaines dans le Sahara afin de reconnaître les lieux où vécut l’ermite de l’Assekrem.
S’il est tout de suite séduit par l’oasis de Tamanrasset, il est vite pris par l’angoisse quand commence la traversée à pied du désert : « J’avais peur. Peur de la nuit, peur du groupe inconnu. Je craignais la soif, je craignais la faim, je craignais le harassement » Le désert « pointe un a un tous ses défauts » : la marche est dure, le soleil de plomb, le silence pesant, la nuit hivernale. Pourtant, la féérie des nuits sahariennes et la tranquille sérénité d’ Abayghur, le guide touareg qui accompagne le groupe, l’apaisent peu à peu. Et il y a cette phrase qui lui revient souvent en tête : « Quelque part, ton vrai visage t’attend ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Il écoute avec plus ou moins d’attention les explications des scientifiques du groupe sur le paysage et les étoiles, mais observe le touareg qui part discrètement faire sa prière à l’écart. Il discute avec Ségolène, la « catho » du groupe, de l’existence de Dieu.
Le mont Tahat au matin, Photo : Aziza Kharouaâ, Creative Commons
L’aboutissement de l’expédition est l’ascension du mont Tahat, sommet du Sahara. A la descente, Eric précède ses compagnons. Il se perd dans les rochers sans s’apercevoir que le groupe n’a pas suivi. La nuit tombe. Il est seul, sans son matériel laissé au bivouac le matin. Pour se protéger, il s’enterre dans le sable entre deux rochers, grelottant de froid. Le retrouvera-t-on ? Va-t-il être enseveli sous le sable ? La mort est-elle proche ? Non. Il se sent bientôt comme transporté : « Une paix m’envahit. Mon sang bat fort. Un bonheur excessif. J’ai confiance… Le temps s’immobilise. Joie. Flamme. J’épouse la lumière… J’en reçois des messages. Qu’ils sont difficiles à transcrire dans le langage… Les pauvres mots n’ouvrent pas la porte d’accès à ce que je vis… Eblouissant, fulgurant. D’un coup, j’appréhende la totalité… Il faut s’abandonner : j’embrasse. J’embrase. Flamme… Tout a un sens, tout est justifié. Feu… » L’éternité a duré une nuit. On pense à la « nuit de feu » de Pascal, qui donnera le titre du livre.
La douceur du soleil levant le réveille. « La grande lumière s’éloigne mais nous ne nous séparons pas ». Abayghur l’a cherché toute la nuit. Quand il le retrouve, Eric tombe dans ses bras, riant et pleurant à la fois. Sur le chemin du retour, il analyse l’évènement. Sa raison lui dit qu’il a rêvé. Mais non, la lumière ne le quitte plus : « Une nuit sur terre m’a mis en joie pour l’existence entière. Une nuit sur terre m’a fait pressentir l’éternité. Tout commence ». Puisqu’il faut bien dire qui il a rencontré, il le nomme pour la première fois : Dieu. A l’Assekrem, il retrouve dans son sac la prière de Foucauld qu’il a griffonnée sur un papier avant son départ et tombe à genoux : « Mon Père, je m’abandonne à Toi… ».
La nuit de feu, Editions Albin-Michel 2015
Merci pour cette belle introduction à ce livre
Je viens d'achever le livre "La nuit de feu " d'Eric-Emmanuel Schmitt ..des pages écrites avec finesse, sincères et pleines d'amour.Charles de Foucauld doit être fier..Merci M Anel pour votre incitation à la lecture de ce beau livre.MCD
J'ai également beaucoup apprécié ce livre. L'auteur y relate son expérience de la Grâce. Il définit aussi un nouveau paradigme : la fraternité des ignorants.
Ce sage constat d'ignorance n'est pas si nouveau : "je ne sais qu'une chose, s'amusait Socrate, c'est que je ne sais rien…". Avez-vous remarqué que les vrais membres de la fraternité des Ignorants ne dédaignent pas non plus participer à celle des "vérifiants" ?
Ce sage constat n'est certes pas neuf, mais la force du paradigme de l'auteur est précisément de ne pas opposer croyants et non croyants, mais ceux qui prétendent savoir sur la principelle question (et non croire) et les autres. La grâce s'éprouve. C'est la fameuse question "Croire et Savoir" sur laquelle planche la plupart des étudiants en philosophie. L'auteur ne cherche donc pas à convaincre mais à toucher, par un témoignage de la grâce reçue. L'un des personnages dit en substance un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup en rapproche! Mais c'est bien par son expérience personnelle de la grâce que l'auteur croira, et non par les tentatives de démonstration de cet autre personnage. Cf Jean 4, 10 Il nous a aimé le premier…