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40 ans de l’avortement en France : l’urgence de l’accompagnement

Alors que certains "fêtent" les 40 ans de l'avortement en France, il est consolant de découvrir le travail de cette petite association qui a pour but d'écouter la souffrance inavouable des femmes qui ont avorté. Témoignagne d'une bénévole.

Image : Klimt, larmes d'or, détail

Plusieurs événements sont à l'origine de mon travail d'écoute des femmes enceintes se posant la question de l'avortement. Le plus significatif est sans doute la conversation que j'ai eue avec une proche, enceinte de 5 mois environ, souffrant d'anamnios (absence ou quantité insuffisante de liquide amniotique), et dont l'interruption médicale de grossesse (IMG) était programmée quelques jours après. Je me suis rendu compte que j'arrivais trop tard pour une réflexion ouverte sur la vie, la nécessité de l'IMG présentée par les médecins (« cet enfant n'est pas viable, mieux vaut tout arrêter tout de suite, ni lui ni vous ne souffrirez ») et confirmée par le prêtre consulté (« dans votre cas… ») ayant verrouillé la situation. Aucun argument sur les conséquences psychologiques inévitables, ni celui de l'accompagnement jusqu'à la fin de la vie de son bébé n'a ébranlé sa décision, c'était « ce qu'il y avait de mieux à faire » d'après elle.

C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de la nécessité de me former à l'écoute pour pouvoir accompagner très tôt, c'est-à-dire dès que la grossesse est connue, ces personnes qui se posent la question, ou à qui on pose la question de l'avortement. Par mon parcours antérieur de formation et d'accompagnement de couples dans le domaine de la fertilité, j'étais très au fait des conséquences souvent dramatiques de l'ivg sur la santé, la fertilité et l'équilibre psychologique.

Plongées dans l'absurde

Les femmes vont mal après l'avortement parce qu'il n'est pas dans leur nature de détruire l'être que leur utérus a pour fonction de protéger. En témoigne cette jeune femme qui me disait avoir très bien supporté physiquement l'acte mais ne pouvait plus regarder ni prendre dans ses bras un bébé. 

Le traumatisme physique et psychologique de l'ivg peut les faire tomber dans des dépressions, addictions et comportements à risques. Une jeune fille brillante n'a pas pu passer le concours de l'internat de médecine à cause du mal-être qu'elle vivait depuis l'ivg censée lui permettre de s'y consacrer. Elle a d'ailleurs abandonné ses études, elle qui avait tout réussi jusque là, et n'est jamais devenue médecin. 

Quand elles ne souffrent pas directement des conséquences physiques de l'ivg, elles peuvent devenir agressives, caractérielles et parfois ne supportent plus leur entourage, voire même leurs propres enfants. C'est toute la famille qui en pâtit. Cette mère africaine de trois enfants voulait avorter parce que la grossesse tombait mal, elle devait commencer une formation. Quelques semaines après l'ivg, elle m'a dit : « ce que je vis est bien pire que les conséquences de l'ivg dont vous m'aviez parlé, j'ai du mal à m'occuper des mes enfants, ils me rappellent à chaque instant celui que je n'aurai jamais ». Ou cet homme qui disait ne plus reconnaître sa compagne et me demandait comment il pouvait l'aider à quitter la prostration dans laquelle il constatait qu'elle s'enfermait.

Difficultés d'en parler avant l'acte

La discussion sur l'avortement, qu'elle soit publique ou privée, est toujours difficile parce que les personnes ne disposent pas d'une information complète, notamment sur les conséquences, niées le plus souvent médicalement et politiquement. 

D'autre part, les idées véhiculées par la société sont lénifiantes alors qu'il s'agit d'un acte extrêmement violent, tant pour l'organisme que pour le psychisme, les relations affectives, les relations sexuelles, le couple, la famille, etc.

Dans ce contexte, la vérité est rarement dite, ni avant pour éviter que la femme ne culpabilise, ni après car la réalité est indicible. La femme vit alors une schizophrénie : elle est à la fois bourreau et victime. 

Enfin, il est difficle d'aborder les choses parce que le vécu de l'acte d'avortement se fait dans la plus grande solitude, même lorsque la personne est entourée. Combien de jeunes femmes m'ont dit qu'elles n'avaient jamais pu exprimer leur douleur, même à ceux qui les aiment, notamment parce qu'ils souhaitent qu'elles tournent la page, alors qu'elles sont incapables de le faire. Il y a un nombre élevé de couples qui se séparent après une ivg (dans mon expérience, environ 8 sur 10).

Le besoin urgent d'un accompagnement

Mes écoutes ont des caractéristiques récurrentes : 

  • En premier lieu, même lorsque la femme est déterminée à avorter, dans la plupart des cas elle remercie pour les informations données (notamment sur le syndrome post-ivg), pour le temps passé à l'avoir accueillie et écoutée sans jugement ni idée préconçue. J'ai eu comme cela une jeune femme de 20ans pendant plus d'une heure. 2 mois après son ivg, elle m'a recontactée pour savoir comment se faire aider à sortir du syndrome dans lequel elle n'aurait pas cru s'enliser, et dont j'avais été la seule à lui parler
  • Je remarque que la plupart des femmes savent au fond d'elles-mêmes la beauté de cette vie commençante. Elles sont reconnaissantes lorsqu'elles ont pu s'en émerveiller, ne serait-ce que le temps d'une conversation. Et cela produit parfois des effets inattendus, comme lorsque cette femme a téléphoné pour savoir si elle pourrait aller travailler le lendemain, juste après son ivg par comprimés, et qu'à la fin de l'échange elle a pris conscience qu'elle était parfaitement capable, et même désireuse, de poursuivre cette grossesse pourtant non prévue (ce qu'elle a fait).
  • J'observe que les femmes ont souvent le sentiment de ne pas être libres face à la décision de la poursuite ou non de la grossesse, soit parce qu'elles subissent des pressions pour avorter (conjoint, famille et notamment leur mère, contexte religieux, culturel ou socio-économique, etc), soit parce que, si elles poursuivent la grossesse, elles ont peur d'être jugées, peur du regard des autres, peur de décevoir (leur conjoint, leurs parents, leurs amis, leurs collègues de travail ou employeur), et donc peur de tout perdre. 
  • Je suis témoin de la certitude des femmes ayant avorté que personne ne peut comprendre leur douleur, qu'elles vivent seules même lorsqu'elles sont en couple.
  • Enfin, le cercle vicieux de la souffrance de ces femmes ayant vécu l'avortement, qui, pour certaines, voient dans la douleur psychique leur punition pour l'acte qu'elles ont commis. Il est par conséquent très difficile, et souvent très long, de prendre les moyens de sortir de ce cercle vicieux. 

Urgence et espérance

Aujourd'hui, en France, une grossesse non planifiée n'aboutit que rarement à la naissance d'un enfant. Mais les femmes qui avortent vivent une douleur inhumaine et indicible dans une société où l'ivg est légale. Des associations spécialisées dans l'écoute post-ivg viennent au secours de ces femmes (La Vigne de Rachel, Mère de Miséricorde, Agapa).

Heureusement le témoignage du bonheur de celles qui, souvent contre vents et marées, et parfois dans des conditions matérielles très précaires, ont décidé d'accueillir leur enfant, est porteur d'espérance pour notre monde. Il a parfois suffi à ces femmes d'entendre : « c'est possible, tu peux le faire, et tu ne seras pas seule » pour que la vie s'épanouisse. Nous ne serons jamais assez nombreux pour le leur dire !

Témoignage d'une volontaire de www.ivg.net