Après le terrible récit des événements, un otage du Bataclan explique : « ils avaient besoin d'un idéal, et le monde dans lequel ils vivaient ne leur offrait pas cet idéal. On leur en a offert un de vengeance, de haine et de terreur » dit-il. On ne peut qu’être surpris devant la magnanimité et la justesse de ce regard. Si le monde d’aujourd’hui n’offre que du vide, de la consommation, de l’éphémère, du « droit au blasphème », une vie limitée à la vie présente, une vie sans origine ni fin, peut-on s’étonner que des jeunes choisissent de se radicaliser ?
« Djihadistes contre homo festivus »
C’est le titre d’un article d’Elisabeth Levy dans Causeur.fr paru le 17 novembre. Elle-aussi s’interroge sur les motivations des tueurs : « Un philosophe assure qu’ils détestent la "République festive et sociale". Je crois, pour ma part, qu’ils s’en prennent effectivement à ce que nous avons de plus cher : la fête et la consommation. Le chien d’infidèle type, c’est Homo festivus. Muray les avait déjà calculés : ce que veulent détruire les djihadistes, c’est un ventre mou, un Occident fatigué d’être lui-même qui cherche sa rédemption dans la consommation. » Dans le communiqué de revendication des attentats, Daech parle même de « fête de la perversité » en référence au concert du groupe « Eagles of Death Metal » qui jouait au Bataclan. Bien que non exclusivement, c’est « l’homo festivus » qui est dans le collimateur du terrorisme islamique.
Ce qui surprend dans l’article d’Elisabeth Levy, c’est sa conclusion. Alors que l’on pourrait s’attendre à un appel en vu d’un sursaut spirituel, culturel ou même au nom de « valeurs », ses derniers propos semblent une capitulation : « Eh bien, c’est cet Occident qu’il faut défendre et avec lui le droit de mener une existence banale, agréable et vaine. Face aux djihadistes, Homo Festivus, c’est moi ! "Nous vaincrons. Parce que nous sommes les plus morts", écrit Muray. Qu’il me pardonne, mais aujourd’hui, le deuil est trop frais pour se résigner à cette sinistre conclusion. Je préfère penser que nous vaincrons parce que nous sommes les plus frivoles, les plus paresseux, les plus faibles. Ce n’est peut-être pas glorieux, mais c’est bien agréable. Ce n’est pas rien ».
Mais cela ne vole pas très haut non plus. Si face aux terroristes nous n’avons qu’à opposer la paresse, la faiblesse et la frivolité, il fait peu de doute que notre détermination ne durera pas longtemps. Est-ce là l’unique legs de nos ancêtres, de ceux qui se sont battus et ont donnés leur vie pour la France ? Un militaire risque-t-il sa vie pour permettre à ses concitoyens « de se saouler au champagne », comme le montre ironiquement la dernière une de Charlie Hebdo ?
Il reste qu'il ne s'agit nullement donc de supprimer la fête, le sport, les soirées entre amis, ce que nos amis étrangers appellent justement un « art de vivre à la française ». Cette façon de voir la vie avec son aspect de détente et de nécessaire repos de l'âme et du corps peut même être considérée comme un des plus beaux fruits du Christianisme au sein de la société actuelle. La religion de l'incarnation n'a pas de haine pour le corps et la sexualité, au contraire d'une idéologie djihadiste. Continuer à promouvoir la culture et notre « art de vivre » ne peut que constituer en ce sens un acte de résistance. Le danger, ceci dit, vient justement de réduire notre façon de vivre à cet aspect festif et d'en faire une autre idéologie, comme s'il n'y avait que deux alternatives : djihadiste ou homo festivus. L'heure ne serait elle pas venue d'un sursaut spirituel qui puise aux fondements de notre civilisation ?
La très pertinente analyse de la porte-parole de Sens Commun
Dans la même veine que l'abbé Grosjean qui réagit sur son blog, Madeleine de Jessey propose dans le Figaro du 18 novembre un excellent article qui reprend cet appel à un sursaut spirituel et le développe :
« La neutralisation des individus dangereux en France s'avèrera temporairement efficace, certes, mais d'autres s'empresseront de reprendre le flambeau, sous des formes toujours nouvelles et toujours plus barbares. Pourquoi? Tout simplement parce que notre modèle de civilisation est aujourd'hui incapable de retenir ces jeunes assoiffés de radicalité et d'absolu. Si Daech a pu planter dans le crâne de ces Français son sinistre drapeau noir, c'est parce que nous y avions nous-mêmes semé la culture du vide. Comment s'étonner, dès-lors, que cette culture du rien soit aujourd'hui concurrencée par le nihilisme de Daech ? »
Et l’article de détailler ensuite comment le reniement de toutes les grandes valeurs spirituelles et culturelles de la France n’ont pu que produire les barbares qui ont semé la terreur vendredi 13 novembre. Et de conclure :
« L'humanité d'une civilisation se mesure à l'aune de sa vigueur culturelle. C'est parce que nous avons laissé notre culture s'effondrer que la barbarie est réapparue (…) sur le long-terme, nous ne gagnerons la guerre qu'à la condition d'aimer et de faire aimer un héritage culturel commun. Notre société devra réaffirmer l'amour de sa culture et de ses grands penseurs, la fierté de toute son histoire, des Gaulois à notre République, et l'attachement aux racines judéo-chrétiennes qui lui donnent sa stabilité et ses ressources spirituelles. La culture du seul divertissement et de la consommation sans limites ne satisfait plus personne. Nos enfants ne résisteront aux sirènes de l'islamisme qu'à la condition d'être intégrés à une civilisation qui réponde à l'exigence de leurs aspirations. Il est temps de leur donner un idéal ».
Sans donc renier en aucun cas le match que l’on regarde en famille, la bonne bière entre copains, la convivialité des amis qui se retrouvent pour dîner ensemble en terrasse ou pour aller à un concert de musique, il s’agit néanmoins de réussir à préserver une civilisation qui ne se résume pas à des loisirs et à de la consommation. Une civilisation qui aille plus loin, qui puisse viser plus haut, proposer un idéal pour lequel il vaille la peine de donner sa vie. Une civilisation qui prenne en compte l’homme, tout l’homme et ses aspirations les plus profondes, à la vérité, à la justice, à la vie, à l’amour, à l’infini, seul un cadre de vie digne de l’idéal avec lequel nous naissons pourra être appelé « civilisation ». Et mériter qu’on le défende. La France telle qu'elle est ne mérite pas d´être détruite. Nous pouvons néanmoins essayer, avec toute la délicatesse et compassion possible pour tous nos compatriotes, essayer de la vivifier par notre foi en la faisant revenir à ses racines, à son identité profonde, à sa vocation au milieu des peuples. Et continuer ainsi à lui redonner un avenir.