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A l’occasion des journées du film ukrainien à Vienne, la réalisatrice raconte la genèse du tournage de « Frères : la dernière confession », avec Natalia Polovinka. Interview exclusive avec Victoria Trofimenko. 

Ce premier film (Брати. Остання сповідь, Ukraine, 2013) s'inspire d'un roman de Torgny Lindgren (Suède). Une romancière, interprétée par Natalia Polovinka, s’isole dans les montagnes pour écrire sur saint Christophe, figure dont la symbolique accompagnera le déroulement de l'histoire. Elle vivra auprès de deux frères qui ne se parlent plus depuis des années. Grâce à sa délicatesse et à son humanité, elle pénétre la tragédie de ces deux hommes jusqu'à porter leur péché. Ce drame complexe plonge avec une grande intensité dans les noirceurs de l’âme humaine à la recherche d'une rédemption.

CI : Pouvez-vous nous dire quelle est la genèse de ce film ?

V.T. : Je peux dire que c’est le film qui est venu à moi. Je finissais l’université et je travaillais pour une chaine de TV dans le domaine des documentaires. Un jour, je suis allé chez une amie qui s’apprêtait à jeter des livres et m’a proposé de me servir. J’ai pris le roman “Hummelhonung” de Torgny Lindgren (en français : Miel de bourdon, Actes Sud, 1995, Ndr) par hasard, et quand j’ai commencé à le lire, je ne pouvais plus m’arrêter. Très vite, une chose s’est imposée à mon esprit « c’est mon film ! ». Il me fallait en effet faire un film pour mon diplôme d’université, mais rapidement j’ai senti qu’il me fallait faire un vrai film hors du cadre universitaire. J’ai décidé de prendre contact avec Torgny Lindgren, par le biais de l’ambassade de Suède. L’attachée culturelle  avait comme par miracle rencontré Lindgren quelques temps auparavant et lui avait demandé comment faire pour prendre contact avec lui si quelqu’un le demandait. Elle a donc pu me mettre immédiatement en contact avec l’agent dont Lindgren lui-même avait donné les coordonnées.

Victoria Trofimenko, réalisatrice du film Brothers, the last confesion, Ukraine, 2013).

La réponse mit du temps à arriver, ce qui me laissa le temps de me renseigner sur lui et comprendre qu’il était l’un des auteurs les plus en vues en Suède. D’où peut-être l’absence de réponse à quelqu’un d’aussi insignifiant que moi. Je me décidai néanmoins à rédiger le script. En avançant dans l’écriture, j’acquis la certitude que ce serait un bon film. Et alors que j’avais presque fini ma rédaction, l’agent de Lindgren me contacta pour me demander mon CV…

Puis je lui dis que je ne pouvais payer les droits d’exclusivité, mais voulais quand même faire ce film, étant persuadée qu’il serait bon. Mon audace fut récompensée puisque l’agent me dit que Torgny Lindgren était prêt à me céder les droits gratuitement pour un temps. Il a cru en moi.

Je vous passe les détails d’une histoire qui a duré plus de cinq ans. Je peux mentionner cependant que dans mon pays en crise, l’Ukraine, il est difficile de recevoir des financements pour un film « non commercial ». Beaucoup trouvaient le projet intéressant mais fou. Difficile de savoir où est la limite entre folie et foi.

Puis vint une loi du président Ianoukovitch qui décida de supporter des films ukrainiens. Nous nous présentâmes à un concours, que nous remportâmes et ainsi mon film fut choisi pour représenter le cinéma ukrainien. Ceci me permit de constituer une très bonne équipe, avec des gens excellents dans tous les domaines. Nous avons eu aussi le privilège de travailler avec Svyastolav Lunyov un des meilleurs compositeurs contemporains à l’heure actuelle.

En regardant « Frères : la dernière confession », on est frappé par la véracité des personnages. Comment avez-vous fait le choix des acteurs?

Je ne voulais pas des acteurs professionnels, car je ne voulais pas qu’on les reconnaisse, qu’on puisse les comparer à des rôles précédents qu’ils auraient joué. De plus le langage que j’ai choisi pour mon film était très circonstancié, il fallait que Voytko et Stanislav aient  une façon d’être et de parler caractéristique des Carpates.

Il est difficile de trouver une bonne actrice ukrainienne, car elles jouent toujours les mêmes personnages. On les retrouve dans les pubs, les séries, elles se ressemblent toutes et sont très plastiques. Une actrice connue m’aurait probablement mis dans une situation inconfortable, posant un tas d’exigence à la débutante que j’étais. Je ne voulais pas non plus d’une actrice russe, mais bien d’une ukrainienne. Et puis je voulais quelqu’un qui ait vraiment faim de ce travail pourtant « non commercial ».

Et vous avez trouvé Natalia Polovinka…

J’ai donné mes critères au directeur de casting : « je veux des personnes réelles », avec un véritable visage, une plastique réelle, des mimiques réelles. Et puis je voulais que cette personne soit une lumière, elle devait être très spirituelle, presque sainte et humaine en même temps. Elle était supposée être et ne pas être. C’est très difficile à trouver car difficile à jouer.

Natalia Polovinka était la personne idéale, même si le directeur de casting n’en était pas convaincu. Après avoir lu le script, elle s’est demandée « qui peut tourner une chose pareille ! Il faut que je rencontre ce réalisateur ». Elle est donc venue à Kiev et nous nous sommes serrées la main. Natalia m’a avoué que c’est dans cette poignée de main qu’elle prit la décision de jouer dans ce film. Ensuite, ce fut assez drôle car elle me demanda de m’asseoir et c’est elle qui me fit un entretien de recrutement, en me demandant qui j’étais, pourquoi je faisais ce film. A la fin, visiblement satisfaite de mes réponses, elle me dit « ok, commençons ».

Travailler avec elle fut magnifique. Car Natalia s’était donnée totalement, j’ai senti qu’elle s’était totalement remise dans sa décision. A tel point que quand nous avons commencé à travailler, il lui est arrivé de me dire « joue plus avec moi ». Elle s’est tellement donnée, que lorsque nous avons commencé à recevoir de bonnes critiques, les personnes les plus heureuses furent Natalia et moi.

Pouvez-vous nous dirent quelles furent les plus belles réactions du public au visionnage de votre film ?

Une femme a dit : « j’ai vécu ma propre confession. Il y a des choses que je n’ai jamais osé dire ou regarder en moi, mais en regardant ce film j’ai pu le faire ».

Une autre personne m’a dit : « Nous sommes tous les mêmes. Je suis soulagée d’apprendre que cette histoire vient de Suède, cela n’est pas le problème des ukrainiens ».

En Chine, une personne m’a dit : « cela ressemble à l’histoire de l’Allemagne de l’ouest et l’Allemagne de l’est. Vous êtes l’espérance de nos réalisateurs ».

En Russie, on m’a dit : « Comment pouvez-vous décrire aussi profondément notre propre histoire avec l’Ukraine? »

En Suède, on m’a dit : « Vous devriez faire des films sur tous les livres de Torgny Lindgren »

Au début du film, une image montre un pénitent qui se confesse à un prêtre. Le titre lui-même du film fait référence à la confession. Quelle est votre expérience de la confession ? Pourquoi voulez-vous en parler ?

L’étymologie du mot en ukrainien évoque l’idée de « connaître quelque chose de profond, quelque chose qui est en dessous ».

Je ne suis pas une personne religieuse, et je ne me suis pas confessée depuis très longtemps. Pour moi cela fait référence à quelque chose de commun à toute l’humanité. Je ne sais pas pourquoi je parle de cela, ni pourquoi je fais un film là-dessus, ni pourquoi mon prochain film parle aussi de cela. Ma maman est très religieuse, et mon père athée, je suis probablement un subtil mélange des deux. De mon côté je me suis intéressée à toutes les religions et à leur théologie. J’essaie de manifester ce qui se passe « en-dessous », je tâche de le penser pour le comprendre. Je cherche. J'imagine que chacun doit trouver son propre chemin pour communiquer avec Dieu. Ceux qui se confessent cherchent un médiateur. Je sais ce qu'ils font, mais je ne suis pas tellement croyante, et je n'ai pas besoin de cela. J'essaye de trouver à l'intérieur de moi. Mais je crois que ce film est ma propre confession. D'une certaine manière, je me confesse par ce film, j'essaye d'aller au plus profond de moi pour le donner. 

Que diriez-vous à des distributeurs français pour les convaincre de distribuer votre film ?

Il y a une projection pour des ambassadeurs en Ukraine. Tous ont dit « c’est une histoire cosmopolitaine ». C’est quelque chose qui peut être tourné partout. C’est l’histoire des hommes, ceux qui s’appellent homo sapiens, ceux qui pensent l’être. C’est un peu comme une parabole, cela s’adresse à tous. Je ne veux pas parler de problèmes sociaux, je veux parler de problèmes existentiels.

Je suis une personne cosmopolite, j’aime les mélanges (Suède, Ukraine). Il en sera de même avec mon prochain film. Nous sommes des humains et nous avons tant en commun !

Propos retranscris par Clément Imbert

Trailer du film (sous-titres anglais)

 

 

A lire sur TdC: La voix libérée de Natalia Polovinka

 

 

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1 Commentaire

  1. Vincent

    Merci pour la découverte de ce film. Il est assez frappant d'y percevoir l'intuition tellement ancrée dans le coeur humain d'un besoin, et même d'une soif de confession. C'est là un mystère pour moi, quelque chose que je voudrais scruter toujours plus profondément. Merci Clément de nous avoir fait découvrir cela. J'ai hâte de pouvoir voir ce film.

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