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Otto Mauer – un prêtre, défenseur de l’art contemporain

Monseigneur Otto Mauer (1907-1973) est une figure intellectuelle emblématique pour l’art d’après-guerre. Grâce à son goût pour l’art avant-gardiste, il a réalisé un véritable travail de pionnier en ce qui concerne la présence et l’offre artistique en Autriche.

La galerie St Étienne

En 1954, il fonde la galerie Saint-Étienne. Par sa préférence pour l’expressionnisme abstrait et pour ce qui est informel, Otto Mauer a su appréhender le cœur de notre temps et sa galerie est rapidement devenue la Galerie de l’avant-garde de Vienne. Le groupe de Saint Étienne s’est fondé peu de temps après. Il se composait des jeunes peintres : Josef Mikl, Arnulf Rainer, Markus Prachensky et Wolfgang Hollegha. Markus Prachensky rapporte à ce sujet « Nous avions désormais un lieu d’exposition et quelqu’un avec qui parler. Nous avons souvent passé des nuits entières à parler avec lui ».

La galerie Saint-Étienne offre aux artistes autrichiens ou étrangers un lieu d’exposition, mais abrite aussi de nombreuses lectures de poésie, des représentations musicales, des expérimentations artistiques ou des discussions.

Monsignor Otto Mauer at the opening of an exhibition of Markus Prachensky.
Galerie naechst St. Stephan. Photography. 1960.  (Photo by Imagno/Getty Images

 

Les soirées de vernissage donnaient toujours lieu à des discours passionnés d'Otto Mauer, qui se rapportaient toujours à la théologie chrétienne moderne.

Art et chrétienté, une relation nécessaire

Pendant la guerre déjà, Otto Mauer a commencé à rédiger une partie de ses très nombreux écrits dans lesquels il s’intéresse au phénomène artistique et à sa signification, notamment afin de comprendre le lien entre l’art contemporain et l’Église catholique. En 1941, il publie un essai, Théologie des Beaux-Arts – une tentative, qui parut après la guerre en grande édition et en tirage spécial sous le titre Art et chrétienté.

Rouges differénts sur blanc (1962) Lack auf Leinwand, 220 x 440 cm © Markus Prachensky

La thèse initiale de Mauer est la relation réciproque entre art et chrétienté, sans laquelle aucun art « véritable » ne peut exister. Il montre pour cela que le caractère symbolique de l’art renvoie, à travers le monde, à Dieu. Cette conception de Mauer trouve son origine dans le fait que « le monde des hommes, la nature et le cosmos, avec toute sa consistance spirituelle et vitale, sont eux-mêmes une grandeur symbolique ».

La signification de la « théologie des Beaux-Arts » peut ainsi être fondée : « Il ne s’agit pas d’un traité scientifique, mais d’un plaidoyer enflammé qui traite du caractère nécessaire de l'art pour le christianisme tout comme de la nécessité de la foi pour l'art ». Divisé en treize chapitres, la position de Mauer dans Art et chrétienté veut montrer que l'art est un chemin qui conduit vers Dieu au même titre que la littérature ou la nature, l'art ouvre au symbolisme de la Parole de Dieu. Les titres de ses chapitres sont déjà très révélateurs de sa conception de l'art : « Le monde comme symbole – L'art comme interprétation du monde – L'art comme expression de l'Esprit – Art et Création – Art et vérité – L'art et le bon – L'art et le beau – Art et religion – Art et chrétienté – Art et incarnation – Art et croix – Art et transfiguration – Art et Eschatologie ».

Josef Mikl – Parscher Pfarrkirche Zum Kostbaren Blut, Photo : Anton-kurt, 26. April 2009 

Dans le premier chapitre qui traite du symbolisme, Mauer énonce la thèse selon laquelle le monde créé est aussi symbole. « L'art n'est rien d'autre que cette découverte du symbolisme de l'être de toutes les créatures à travers le regard de l'artiste ».

Mauer réunit ainsi les caractéristiques fondamentales de l'être, du vrai, du bon et du beau – les transcendantaux – avec l'art. Cette position préliminaire est  importante, car elle ouvre la voie à une vision de l'art moderne et de l'esthétique non comme un moyen de montrer la « beauté », mais la « vérité », la « beauté » étant un résultat du « vrai ».  Mauer ne cite aucune définition de la beauté aussi volontiers que celle qui dit que l'art est veritatis splendor, splendeur de la vérité, gloire de la réalité dévoilée.

« L'art n'est rien d'autre que cette découverte du symbolisme de l'être de toutes les créatures à travers le regard de l'artiste (…) l'art est plus qu'une simple copie, il est la possibilité de découverte de réalités intérieures qui sont cachées au commun des hommes, et qui souvent demeurent cachées même après avoir été dépistées par l'œuvre d'art ».

Exposition "La nature est intérieure" du peintre Wolfgang Hollegha, novembre 2015, Neue Galerie Graz, Joanneumsviertel (Autriche). 

La présence de l'horreur dans l'art contemporain

Parce qu'il y a un devoir de vérité dans l'art, la présence de l'horreur, du mal tout comme celle de la souffrance et de la pauvreté sont justifiées. À commencer par la souffrance de la mort du Christ jusqu'à celle du Purgatoire et de l'Enfer, la vérité ne doit jamais être repoussée. Notamment depuis que Mauer a fait l'expérience concrète du mal pendant les dernières années de guerre, il atteste de la réalité de la présence du démon dans la vie comme dans l'art.

Pour Mauer, la tâche de l'artiste consiste désormais à révéler la « splendeur de la vérité » à travers son œuvre. C'est ainsi qu'il dit : « C'est l'Ethos de l'art et de l'artiste : s'engager dans une mort intérieure, ce qui est le plus grand engagement, afin de faire rejaillir la splendeur de la vérité, la lumière de la beauté éternelle et la majesté et la douceur de la bonté divine qui comblent constamment  de nouveaux miracles les cœurs de ceux qui sont disponibles et prêt à s'émerveiller ».

La vie jaillit de la mort, la béatitude de la souffrance

Dans l'épilogue de son ouvrage Théologie des Beaux-Arts, Mauer rédige une conclusion qui résonne comme « un hymne à l'art » : « Croix et Apocalypse – Anges et but de toute histoire ; incarnation et épiphanie, Golgotha et Pâques, Justice et Gloire – c'est toujours la vie qui jaillit de la mort, la béatitude de la souffrance, la lumière des ténèbres – c'est le thème éternel de la vie et de l'art. C'est cela l'art « chrétien » : transpercer l'expérience de la création pour atteindre la réalité du drame intérieur de la création, la dynamique déchainée du devenir, pour surmonter notre monde jusqu'au monde supérieur du Dieu Trine. Par le Christ et en Christ, dont le corps est le cosmos, par l'Esprit Saint qui est amour et unité, toute créature retourne au sein du Père dont elle provient. Car Dieu est ‘‘Tout en tous’’. Et cette liturgie, cet évangile et cette prophétie divine, c'est cela l'art ».

La galerie Saint-Étienne est peu à peu devenue une sorte de patrie pour les artistes et un lieu de discussion pour tous ceux qui sont intéressés par l'art.

Le programme d'exposition international de la Galerie enrichit le paysage culturel autrichien de cette année. La Collection Otto Mauer se compose actuellement d'environ 3000 œuvres depuis les modernes classiques jusqu'aux peintures les plus informelles, elle est maintenant gérée par la cathédrale de Vienne et le musée diocésain.  

Article de Monika Haas, traduit de l'allemand par Suzanne Anel

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1 Commentaire

  1. Vincent

    Merci Monika pour cet article qui nous fait découvrir un homme passionné par la vie et par le réel sous toutes ses formes. Par ce que tu écris, et donc par la vie de mgr Mauer, je comprends mieux le travail que nous avons tous à faire pour savoir lire les signes des temps, entendre les cris des hommes, leurs cris de souffrances, mais aussi leurs cris prophétiques. 

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