Pierre Vianin est enseignant spécialisé, professeur à la Haute Ecole Pédagogique du Valais en Suisse. Le 9 février dernier, il était invité par Points-Cœur, à Genève, pour une conférence. A partir du récit des pèlerins d’Emmaüs (Lc 24, 13-34), il nous a introduits à la pédagogie du Christ pour nous en inspirer. Pierre Vianin nous accorde une interview sur ce thème.
Pierre Vianin, vous avez écrit un livre sur la pédagogie du Christ et vous donnez des conférences sur le sujet. D’où vient cette motivation ?
Le livre que j’ai écrit avec François-Xavier Amherdt me tient particulièrement à cœur, car il m’a permis de concilier deux de mes passions : ma foi en Jésus-Christ et la pédagogie.
Si l’on devait attribuer une profession au Christ, je pense que l’on pourrait dire qu’il était enseignant. J’ai toujours été intrigué par la force de la pédagogie du Christ qui, avec une petite poignée de disciples, a su transmettre un message qui est encore pertinent au XXIème siècle. Avant de rédiger cet ouvrage, j’étais persuadé que la question de l’enseignement du Christ avait déjà été étudiée en profondeur, mais peu de travaux ont été consacrés à ce sujet. En analysant la pédagogie du Christ, j’ai redécouvert la force de sa parole qui est véritablement une parole vivante qui ne cesse de questionner et de surprendre.
Que retenez-vous de la pédagogie du Christ ?
De nombreux éléments, mais ce qui m’a le plus étonné, c’est que le Christ est capable de concilier une bienveillance extraordinaire et une exigence totale. Par exemple, dans l’épisode d’Emmaüs, il est en même temps à l’écoute de la souffrance des disciples, mais il souligne également leur manque de foi de manière très sévère. Il est en même temps ferme, bienveillant et cohérent.
Pouvez-vous appliquer cet enseignement à votre propre expérience pédagogique ?
Bien évidemment, Jésus est un modèle pour l’enseignant que je suis car il est totalement cohérent entre ce qu’il fait et ce qu’il est. Les gens que nous rencontrons sont très sensibles à cette cohérence, beaucoup plus qu’aux discours qu’on leur tient ou aux savoirs qu’on leur transmet.
De plus, si le savoir est évidemment essentiel, la qualité de la relation qui s’établit est également primordiale. L’apprentissage est décuplé, lorsque l’on est accompagné par des enseignants qui soignent la relation.
Avec François-Xavier Amerdth, nous avons synthétisé la pédagogie du Christ en 8 principes essentiels qui peuvent nous inspirer en tant qu’enseignants, éducateurs, parents, catéchistes ou chrétiens (cf. résumé ci-dessous). Pour en citer trois, je dirais que le Christ est toujours attentif à bien comprendre ce que vivent les personnes qu’il rencontre. Mais il se montre également ferme et exigeant, lorsque c’est nécessaire : ce qui manque très souvent dans l’éducation, c’est un cadre éducatif clair qui permet de se construire en s’appuyant sur des règles stables. Enfin, le Christ se montre cohérent : il éduque d’abord par la manière dont il vit. Un adage amérindien nous le rappelle : « Marche ta parole ! ».
Vous êtes enseignant d’appui et vous apportez un encadrement personnalisé à vos élèves. Mais face à un groupe, à quoi devons-nous prêter attention et que nous enseigne le Christ à ce sujet ?
Le Christ a pratiqué deux formes d’enseignement principales. Lorsqu’il enseigne aux foules, il utilise très souvent la parabole qui permet de s’adresser à un nombre important de personnes en les interpellant grâce à de petites histoires très proches de la vie. Par contre, lorsqu’il enseigne à un petit groupe ou à une seule personne, il différencie son enseignement et prend en compte les besoins singuliers de l’élève. Par exemple, lorsque le Christ enseigne à Zachée (le prototype du cancre absolu !), le Christ s’adresse directement à lui, puis il s’invite chez lui. Il individualise donc son enseignement et s’adapte aux besoins de son « élève ». C’est bien parce que le Christ prend en compte la singularité de la vie de Zachée que son enseignement est pertinent et que ce dernier se convertit radicalement.
J’aimerais aussi ajouter que l’on peut identifier plusieurs étapes dans la démarche pédagogique utilisé par le Christ. Dans l’exemple des pèlerins d’Emmaüs, le Christ prend d’abord un temps d’écoute attentive pour rejoindre les préoccupations de ses disciples : il questionne les disciples et les accompagne sur la route qu’ils ont choisie, peu importe si celle-ci est tortueuse. Ensuite, à partir des doutes exprimés par les disciples, il enseigne de manière exigeante et n’hésite pas à être ferme si nécessaire. Pour finir, le Christ se retire pour laisser place aux disciples, confiant de leurs capacités à cheminer maintenant tout seuls.
De cette conférence, nous pouvons retenir qu’un éducateur (qu’il soit enseignant, parent, ami…) transmet son savoir ou sa foi d’abord par ce qu’il est. L’enseignement du Christ et sa pédagogie concernent chaque chrétien. Nous sommes en effet tous appelés à suivre l’exemple du Christ et à enseigner à toutes les nations. La question pédagogique est inscrite au cœur de la mission du croyant. : « Allez dans le monde entier, enseignez l’Évangile à toute la création » (Mc 16, 15).
Propos recueillis par Camille Vianin
En résumé : comment le Christ transmet-il la Bonne Nouvelle ?
1. Le Christ adapte toujours son message au public auquel il s’adresse
2. Le Christ respecte infiniment ses interlocuteurs
3. Le Christ croit au principe d’éducabilité
4. Le Christ part des représentations de chacun, dans un esprit d’écoute et de non-jugement
5. Le Christ questionne et sa vie pose question
6. Le Christ n’hésite pas à se montrer ferme, si nécessaire
7. Le Christ utilise la médiation par un jeu de présence/absence
8. Le Christ est parfaitement congruent et cohérent dans son enseignement.
Vianin P. et Amherdt F.X. (2011). À l’école du Christ pédagogue – Comment enseigner à la suite du Maître ? St-Maurice : St-Augustin