Home > Arts plastiques > Jean Miotte, le peintre de la liberté, est mort à 89 ans.

Jean Miotte, le peintre de la liberté, est mort à 89 ans.

Le peintre Jean Miotte est mort hier soir à l'âge de 89 ans. Nous republions un article posté sur Terre de Compassion en septembre 2011 à l'occasion de ses 85 ans.

Jean Miotte est né à Paris le 8 septembre 1926, il a treize ans lorsque la guerre mondiale éclate. Il doit quitter sa maison pour l’internat et la guerre apporte privations et désespérance. Jean est même arrêté en 1943 par des miliciens pour avoir jeté des tracts de propagande, mais il parvient à s’échapper de justesse. Pourtant, lorsqu’il parle de son enfance, il évoque davantage le jazz que la faim ou la peur. Durant l’occupation, il « résiste » à travers sa passion pour le jazz, ce qui était doublement interdit à cause du couvre-feu et du caractère « dégénéré » de cette musique. Alors il n’hésite pas à braver le couvre-feu pour rejoindre ses amis et écouter les « 33 tours » à la mode : Lester Young, Louis Armstrong, les rythmes de Duke Ellington, Benny Goodman ou encore Old Man River. Le jazz, par sa liberté, est un défi et une forme de résistance face à l’idéologie.

Renée Kurz devant un tableau de Jean Miotte © Points-Coeur

Jean Miotte étudie au lycée Hoche à Versailles et il y côtoie des russes exilés. Il apprend le russe et dès la fin de la guerre, il est invité à Londres où il rencontre Zizi Jeanmaire et Skouratov. Il découvre aussi les spectacles de la troupe des ballets Diaghilev. Admirateur de Rouault, Matisse et Picasso, il commence à rêver d’une  communion entre les arts et d’une synthèse entre la peinture, la musique et la chorégraphie. Le mouvement de la danse qui exprime la dimension intérieure de la liberté fascine Jean. Il admire le rythme de la vie qui jaillit dans cette beauté éphémère pour remplir l’espace et le cœur. La danse permet une peinture en trois « dimensions » : la vue, la musique, le corps. Les peintures de Jean Miotte sont autant de chorégraphies, comme on le voit lorsqu’il peint :

Par la danse, Jean Miotte peint « le geste que l’on porte en soi », l’unité dans la personne de l’âme, du cœur et du corps. Au XXe siècle, la dichotomie « corps – intellect » blesse l’unité de la personne. Le corps n’est qu’une chose, un objet dont on peut faire n’importe quoi. Le corps suit l’instinct comme la raison mesure des concepts abstraits. L’unité de la personnalité est éclatée. Jean Miotte a une peinture « extatique » qui s’enracine au plus profond de la liberté de l’homme, là où le corps, le cœur, la raison et l’âme communient dans un même élan vers la beauté. Pour Jean, « la peinture exige un engagement total du corps et de l’âme…. Ma peinture est une projection, une succession de moments aigus où la création se produit dans le milieu de la tension spirituelle à la suite de conflits internes. La peinture n'est pas une spéculation de l'esprit ou une pensée, c'est un geste de l'intérieur. "

Jean a déjà peint des décors de théâtre mais quel est le déclic qui le fait basculer dans une vie vouée totalement à l’art ? Suite aux privations de la guerre puis du service militaire, Jean contracte une tuberculose et les médecins envisagent le pire à son sujet. A vingt ans, la perspective de la mort provoque en lui un irrésistible besoin de peindre, pour célébrer par la beauté des couleurs, l’intensité de la vie et la profondeur de la réalité. La liberté est toujours une victoire sur le vide et la mort, une affirmation de l’être.

A peine guéri, Jean prend un ticket de train pour le sud, il visite Florence, Rome, Ischia…le désir de peindre se confirme. Pourtant, il faut beaucoup d’audace pour se lancer dans une carrière artistique. Outre l’insécurité financière des premières années, le contexte culturel de l’époque n’est pas favorable. L’art est alors tantôt au service de la société de consommation (pop art), ou il est moyen de propagande du pouvoir (art conceptuel), souvent aussi l’art est réduit à une prouesse technique vide de signification qui va jusqu’à la « non peinture ». Jean Miotte se lance pourtant, avec la certitude de vouloir transmettre cette beauté qu’il voit autour de lui : « L’expression, selon moi, doit venir de la spontanéité. Cette spontanéité est le fruit d’une confrontation intérieure, d’une introspection qui fait jaillir les premières touches »

L’artiste prend des risques, mais c’est pour mieux suivre son intuition dans ce qu’elle porte de plus vrai. Jean raconte pour illustrer cela son séjour au Liban. Dans un pays marqué par la guerre, il voulait apporter une peinture colorée porteuse d’un discours de paix et de joie. Mais ce qui aurait été sans doute à ce moment-là des couleurs superficielles se transforme en une période de noir très intense.

Le débat, 1998, 195x520cm © Miotte Fondation

En 1961, Jean Miotte reçoit le grand prix de la Ford-Foundation, ce qui lui donne accès à une bourse pour travailler aux USA. Il traverse l’Atlantique et découvre les grands espaces américains. Sa première idée n’est pas de s’enfermer dans un atelier, mais d’ouvrir son regard. Il achète une voiture avec l’argent de sa bourse et traverse les immenses étendues, respire l’air vif, jeune et libre de la terre de l’oncle Sam. Ses toiles prennent les dimensions du pays, la couleur rajeunit dans des tons plus vifs, plus contrastés, les gestes deviennent plus amples. La liberté a besoin d’espace pour « penser grand », pour penser loin, pour aller jusqu’au bout de son ambition. Après avoir revendu sa voiture, Jean Miotte s’installe à Soho et fait la connaissance de plusieurs peintres dont Robert Motherwell (1915-1991), Mark Rothko (1903–1970), Jacques Lipschitz (1891-1973) ou Alexander Calder (1898-1976).


En 1980, Jean Miotte est le premier peintre occidental invité pour une exposition dans la Chine de l’après Mao. Sa peinture provoque l’enthousiasme, en particulier le style des « toiles écru ». Cette nouvelle orientation de la peinture de Jean est emprunte d’intériorité, de profondeur, de retenue et à la fois d’une grande force, elle dialogue ainsi avec la calligraphie orientale. On pourrait qualifier le style de cette période de minimaliste, en référence à la musique d’Arvo Part ou Philippe Glass, car le trait est ramené à sa plus simple expression. Fruit d’une longue contemplation, le trait transmet une profonde émotion de la façon la plus synthétique possible : « Je cherchais un certain raffinement dans mon geste, la possibilité de rendre avec quelques traits de couleur l’essence d’une émotion vraie, un signe qui divise l’espace avec la plus grande simplicité. Je voulais présenter la profonde résonance émanant d’une fantaisie créative purement symbolique. Nous partagions un paradigme commun de transcription rapide et spontanée. Les maîtres chinois ont tous cette approche vivante et éloquente ».

Adagio, 1983, 100 x 81 cm © Miotte Fondation

Le style de Jean Miotte est parfois appelé informel, car au-delà de toute formulation, de toutes frontière ou limite. Le vent de liberté qui souffle dans la peinture de Jean Miotte ouvre des chemins de rencontre et de dialogue pour briser les murs et la solitude. Au plan interculturel et international mais aussi au niveau interdisciplinaire : on connaît la collaboration de Jean Miotte avec le poète René Char, les concerts de musique donnés au Chelsea Art Museum, les spectacles de danses devant ses toiles…  La peinture de Jean Miotte suscite ces rencontres féeriques où la liberté est une expérience de plénitude.

A voir sur internet : The Chelsea Art Museum de la fondation Miotte

Deux livres :

 

Citations : Interview avec John Lekay, HEYOKA, vol 1, 2005.

Vous aimerez aussi
L’Intelligence Artificielle et la fin des artistes
La terre de couleurs
Dieu, l’art et le brin d’herbe
Conscience de la continuité

5 Commentaires

  1. gabrielle bonansea

    C'est un Grand Monsieur. Merci au Père Jacques Bagnoud pour ce déroulé des origines de cette inspiration communicative de beauté et de liberté. 

  2. Christina

    Bonjour,
    Oui, merci..pour la danse, l'empathie entre le mouvement et l'espace,la peinture et ses couleurs et le geste intérieur ré-unificateur..au delà de nos dualités…merci pour A. Pärt, Rothko et tous les autres qui sont en recherche d'oubli de soi par l'art et la spiritualité incarnée.
    Merci au Père Bagnoud pour sa transcription inspirante.