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Histoires de l’Est – À propos de la peinture de Johanna Kandl

Cette peinture semble plus actuelle que jamais : un terrain vague, des débris, des grilles, des personnes égarées dans un lieu désert. Comment ne pas faire le lien avec les images de migrants dont les médias nous submergent actuellement ? Johanna Kandl vient de bénéficier d'une exposition retrospective au Essl Museum de Vienne. 

Johanna Kandl, o.T.  (Everyone Is), 2013, Gouache sur bois, 170 x 250 cm (Dom Museum, Vienne)

Après avoir reçu une bourse à Belgrade dans les années 80, Jahanna Kandl a commencé une longue collaboration avec les pays de l'ex Union soviétique. Le temps qu'elle y a passé et les amitiés qu'elle y a nouées ont influencé son travail de façon déterminante jusqu'à aujourd'hui.

Johanna Kandl est née en 1954 à Vienne. Elle a grandi dans le 21e arrondissement, autour du magasin de couleurs que tenaient ses parents. Elle a toujours été accompagnée par les odeurs de peinture et de laque. C'est à cela qu'elle attribue sa sensibilité pour le matériel de peinture, la couleur et la matière, éléments qu'elle mettra souvent en scène dans son travail. 

On pourrait classer sa peinture figurative à la gouache dans le « réalisme narratif ». En regardant attentivement ses peintures, on voit que Johanna Kandl porte un regard critique sur le monde mais toujours avec le respect des personnes qu’elle représente. C'est à l'Est qu'elle va chercher de nouvelles sources d’inspiration pour son travail : en Bulgarie, en Roumanie, en Géorgie, en Russie, en Ukraine, ou dans les pays limitrophes de l’Autriche. Ses œuvres sont souvent basées sur des photos ou des instantanés d’événements qu’elle a vécus ou vus lors de ses voyages.

« Everyone is a potential winner » peut-on lire sur la peinture. C’est le titre de cette gouache datant de 2013, basée sur une photographie prise à Novi Beograd (Serbie) en 2011. Sur la photographie on peut reconnaître un marché sur un terrain vague. Toutes sortes d’objets sont étalés sur des toiles à même le sol : des chaussures, des pièces de vêtements, des vases, des tasses, des machines à café, des haut-parleurs, des Narguilés, etc. Le regard des personnes, en quête de bonnes occasions, est tourné le plus souvent vers le sol.

La peinture reprend le même thème. Mais à une différence près : des inscriptions manuscrites remplacent les détritus apparemment abandonnés et remplissent les places vides du parking. On peut y lire des phrases comme : « I will be a millionnaire », « I will be a winner », « The winner take it all », « No problems only challenges », « In life you have million of chances », etc. Kandl emprunte ces phrases à des livres de management, des journaux économiques ou des manuels de succès. En les mettant côte à côte, elle joue sur leur contradiction évidente avec la situation des gens qui travaillent sur ce marché noir. Pourtant « ces personnes ont tout ce dont un Manager a besoin » dit Johanna Kandl : « la flexibilité, le goût du risque, l’attention au client – et surtout le courage ».

La photographie est pour elle un moyen d'engager un contact réel avec les personnes. Elle tâche ensuite de rendre plus évidente l’histoire que portent ces photos en les traduisant en peinture. Cet intérêt pour les conditions de vie des personnes nous permet de chercher derrière les apparences et de mettre en relation une perception subjective d'une situation donnée avec la situation politique, économique et sociale mondiale. 

On peut se demander si les questions que provoquent la contemplation des peintures de Kandl sont suffisantes pour s’approcher de la réalité. D’après Otto Mauer l’art est « plus que simplement un compte-rendu, c’est la découverte de vérités intérieures qui demeurent cachées pour la plupart des personnes et qui demeurent souvent cachées même après que l’œuvre d’art les ait dévoilées. » Pour autant, par ce travail long et exigent de traduction picturale, Johanna Kandl propose un regard sur le monde des pays de l'est dans le dialogue qu'il a engagé avec les logiques marchandes occidentales.

 

Traduit de l'Allemand par Suzanne Anel et DC. 

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