Home > Arts plastiques > Turner et la couleur

C’est devenu presque un rituel : chaque année le public aixois et ses nombreux visiteurs estivaux attendent non seulement le festival de musique d’Aix-en-Provence mais aussi l’exposition de l’été. Cette année c’est William Turner qui est à l’honneur à l’hôtel de Caumont au sein d’une rétrospective qui a ouvert ses portes le 4 mai et qui se prolongera jusqu’au 18 septembre de cette année. Elle s’intitule « Turner et la couleur ». Et mérite le détour.

 


William Turner, selfportrait, 1799

 

Ian Warell, commissaire de l’exposition (qui compte entre autres plus de 30 toiles prêtées par la National Gallery et de nombreux croquis inédits), explique que si Joseph Mallord Turner (1775-1851) est connu pour être un peintre de la couleur, il a néanmoins « employé celle-ci d’une manière qui le distingue de ses contemporains [1]». Là réside le but de cette exposition : retracer l’évolution de sa peinture à travers différentes périodes et le voir ainsi de façon chronologique. Un peu comme un Van Gogh dont les lettres à son frère Théo sont parsemées de remarques, détails et anecdotes sur la façon d’utiliser la couleur, William Turner n’a eu de cesse lui aussi de chercher et retracer dans son œuvre les conclusions de ces recherches.

En bon pragmatique Turner place à la source de sa peinture ses observations empiriques de la nature. Né sur le bord de la Tamise, il se familiarise avec la nature en effectuant des relevés topographiques pour des architectes. Sa peinture est essentiellement celle de la nature et sa source d’inspiration autant des peintres comme Le Lorrain, Poussin ou Titien que ses voyages en Angleterre puis, après la paix d’Amiens en 1802, dans toute l’Europe (il ira trois fois à Venise). Dès le début ce qui marque les toiles exposées de cette période c’est la place du soleil (« the sun is God » dira t-il à la fin de sa vie) ou plutôt comment la lumière solaire donne chaleur et atmosphère à toute la toile.

 


Le Château de Dolbadern 1824, Royal Academy of arts

 


La cathédrale de Lincoln depuis le Holmes, Brayford 1802-1803

 

La découverte de l’Europe ainsi que la lecture de nombreux ouvrages sur les couleurs (dont le fameux traité des couleurs de Goethe) laisse entrevoir une évolution de sa peinture qui le classera parmi les peintres d’avant garde. Si au début il reste plutôt académique (malgré son désir d’élever la peinture de paysage au rang d’art majeur) voici que se fait jour peu à peu une utilisation de la couleur qui aidera Turner à être considéré comme un des pionniers de l’impressionnisme.

 


« Soleil écarlate (souvenir de Mayence sur le Rhin) » vers 1835-1840

 


« Les tours vermillon, étude à Marseille » (vers 1838)

 


« Départ pour le Bal (San Martino) en 1846

 

Là les critiques de son époque peuvent d’être sévères : accusé par James Lenox de New York « d’imprécision » il fait répliquer : « dites lui que l’imprécision est mon fort »[2]. De fait il le reconnait lui-même : il ne dessine plus avant pour ensuite placer la couleur mais il place la couleur à même la toile et à partir de là fixe son dessin. Commentaire du magazine « Connaissance des arts » : « Il n’y a plus ni pierre, ni terre, ni eau : toute matière est couleur »[3]. Ce qui fera dire à une de ses plus fidèles admirateurs, Jhon Ruskin : « de telles choses existent, bien que l’on puisse en douter »[4].   

Une troisième évolution de sa peinture nous est retracée lors de cette exposition et pourrait s’appeler « dissolution ». Là le peintre ne fait plus que suggérer la forme à travers la couleur et annonce presque déjà l’abstraction.

 


Paysage avec eau : Tivoli (1840-1845)

 


Venise avec la Salute (1844)

 


« Lever de soleil sur l’eau sur le sable mouillé » (1830) (toile que n’aurait sans doute pas renié un Rothko)

 

Et cerise sur le gâteau il faut aussi voir ce « matin après le déluge, Moise écrivant le livre de la genèse » (1843) dont le mouvement circulaire et l’atmosphère biblique n’est pas sans rappeler ce magnifique « la création » de Chagall.


Le matin après le déluge, Moise écrivant la Genèse, 1843

 

Lors d’une émission hommage sur Europe 1 Franck Ferrand[5] appelle Turner « un académiste d’avant-garde ». De fait, rarement un peintre semble avoir réussi un aussi grand écart entre deux époques : celle d’une figuration encore distincte qui poussée jusqu’au bout débouche progressivement sur celle d’une abstraction naissante.

L’exposition possède bien d’autres œuvres de Turner, et notamment une collection de gravures dont beaucoup d’inédites. Les provençaux apprécieront entre autres les nombreuses gravures de leur région et de villes comme Marseille et Aix.

En prime de la visite de ces toiles de Turner, il y a aussi la visite du superbe et très bien restauré hôtel de Caumont. Une belle exposition qui mêlera donc très bien le fond et la forme.

 


[1] Cahier « Connaissance des arts » hors série n°710, article interview de Ian Warell : « Turner maître la couleur »

[2] Cahier « Connaissance des arts » hors série n°710, article « qui a peur du jaune, du rouge, du bleu ? » par Emmanuel Daydé.  

[3] Cahier « Connaissance des arts »hors série n° 710, article « Ruines rouges ».  

[4] Idem.

[5] Emission « les grand portraits au cœur de l’histoire : William Turner » du 28 mai 2016.

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1 Commentaire

  1. Guilherme Ximenes

    Je pense que les debuts sont tres beaux et sont plus de mon goût. les autres toiles abstraites je ne les aime pas. Mais si je suis en France j'irai.