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Bill Cunningham est mort hier à 87 ans

Le légendaire photographe new-yorkais Bill Cunningham est mort hier, à l'âge de 87 ans à Manhattan. Cécile Fourmeaux l'avait rencontré en janvier dernier après l'avoir guetté sur la 5ème avenue. Nous republions le récit de ces « 2 minutes avec Bill Cunningham ».

Ayant découvert il y a quelques années le documentaire « Bill Cunningham New York », je n'avais plus qu'une idée en tête : le rencontrer. Je voulais en effet le remercier de nous faire découvrir la vérité de la mode, qui ne consiste pas à nous créer des personnages en nous fondant dans des conventions imposées de l'extérieur, mais à ouvrir aux autres l'accès à notre âme, en laissant celle-ci s'exprimer sur notre corps et dans nos habits. Je voulais également le féliciter pour son enseignement sur la manière de regarder les personnes, lui qui prend le temps de découvrir leur beauté. Enfin, je souhaitais lui remettre une petite lettre, entrer ainsi en contact avec lui et espérer pouvoir lui demander un jour le secret de sa si belle vie. 

Photo : Bill Cunningham durant la Fashion Week 15 May 2012, Jiyang ChenCC BY-SA 3.0

Photographe de mode pour le New York Times depuis 1978, Bill Cunningham, 86 ans, est un immense signe de contradiction dans sa profession. Il ne photographie pas une mode « prédéfinie », pour imposer, par ses images, la tendance à suivre. Au contraire, il scrute chaque jour les New Yorkais – les plus ordinaires autant que les plus célèbres – dans les rues de Manhattan, essayant de comprendre ce que leurs vêtements veulent révéler. Solitaire et ascète, il est à la fois l’ami des plus grandes stars de New York et un humble travailleur, qui s'est toujours refusé à recevoir d'importants salaires pour garder son indépendance et son regard. Lorsqu'il couvre les fashion weeks par-delà le monde – son talent étant universellement reconnu et recherché – il le fait avec la même attitude fondamentale : la contemplation, c'est-à-dire une passion pour la réalité, que ses images visent à servir et révéler et non à distordre ou manipuler.

Un mardi, mon amie Natalia et moi sommes donc allées à sa rencontre… Récit en quelques lignes.

D'ordinaire, c'est lui qui attend.

Il se poste au carrefour de la 5ème et la 57ème ; il attend et il guette, confiant que cette beauté qu'il recherche lui sera donnée. Son travail, c'est d'être attentif.

Aujourd'hui, nous sommes deux à l'attendre. Il est 7h30 du matin et où qu'il soit – est-il déjà en route sur sa bicyclette ? – il ne se doute de rien. Il ne pense pas que quelqu'un puisse s'arrêter à lui, lui qui ne s'arrête jamais à lui-même. Il est si heureux de ses vieux vêtements de travail qui le rendent invisible.

Nous attendons une heure et demie, et il fait froid. Nous n'osons pas nous plaindre car nous savons que lui sera dehors toute la matinée, les doigts recroquevillés sur son objectif, comme il l'est chaque jour depuis près de quarante hivers. Nous scrutons les passants, essayant de nous imaginer lesquels il photographierait ; nous essayons de les regarder comme il les regarde.

Mais voilà… peut-être ne viendra-t-il plus. Et nous nous apprêtons à partir, légèrement honteuses de nous être senties un peu ses amies, à cet endroit qui lui est familier.

« Il est là ! ». Le cri de Natalia me fait rebrousser chemin et nous nous précipitons dans sa direction. Rapidement le bruit de son flash se fait distinct.

Bill Cunningham est surpris à notre arrivée, mais ne s'en départit pas pour autant de son sourire facétieux, qui illumine les rides de son visage d'enfant. La conversation est lancée, tout doucement car il a du mal à entendre et semble fatigué. 

– « Where are you from ? »

« From Paris ».

A ces mots, il se met tout de suite à parler en français pour demander des nouvelles de notre pauvre ville endeuillée. Une compassion en acte qui nous émeut.

Mais lorsque nous parlons de lui et le remercions, il baisse la tête et bredouille humblement qu'il ne sait pas l'impact de son travail. 

Il est heureux néanmoins que nous lui remettions la petite lettre que nous lui avons préparée. Et comme un ami, sachant que tout de la rencontre se joue maintenant, qu'il ne faut pas remettre à plus tard, il veut nous laisser à son tour quelque chose de lui et nous donne un conseil : celui d'aller voir quelques mètres plus loin les vitrines de Noël du magasin Bergdorf Goodman. Après quoi, il reprend son objectif et s'excuse de devoir retourner au travail…

Devant Bergdorf Goodman, nous jetons un coup d'oeil en arrière et l'apercevons une dernière fois, affairé à ses clichés, inaperçu au milieu de la foule. 

Qui sait s'il répondra à ma lettre ? Mais qu'importe, la question qui me hantait – comment vais-je parvenir à vivre ma vie aussi sérieusement et intensément que lui ? – a tout à coup disparu. Par le simple fait de l'avoir vu, par l'attention qu'il a bien voulu nous accorder, il me semble que tout de ma vie reprend son sens et sa valeur, m'invitant à rechercher l'idéal dans chaque petite chose. 

Pour en savoir plus sur Bill Cunningham
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1 Commentaire

  1. Vincent

    Merci Cécile pour ce beau témoignage d'une vraie recherche. Espérons que Bill Cunningham te réponde. En tout état de cause, cet homme apparaît comme un vrai maître de contemplation: un regard pur qui cherche la lumière et la beauté de l'être. Un reportage sur lui m'avait beaucoup marqué il y a quelques années, et depuis ce jour, je regarde la mode autrement, comme une manifestation de la dignité et de la beauté de l'homme, de son corps, de ce qu'il entreprend. Lui-même disait que c'était une vraie manifestation de l'espérance!

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