Diplômée de Sciences Po Paris, Thérèse du Sartel, 24 ans, est institutrice. Rien ne la disposait à cela. Cette idée s’est imposée à elle en découvrant le projet de la Fondation Espérance Banlieues. Rencontre avec une passionnée de l’éducation.
La Fondation Espérance Banlieues compte aujourd’hui quatre écoles. Le cours Antoine de Saint-Exupéry à Asnières a été ouvert en septembre 2015, avec une cinquantaine d’élèves, en grande majorité issus de l’immigration. Thérèse du Sartel est chargée de la classe de CE2. Elle a onze élèves, âgés de huit ans.
Comment passe-t-on de Sciences Po à une classe de CE2 en banlieue parisienne ?
Cela faisait longtemps que je voulais être prof’, mais je m’étais toujours dit que cela viendrait à 40 ans après avoir eu quatre enfants. Je trouvais que c'était un métier très facile. J’avais aussi le désir de connaître le monde de l’entreprise, avec cette gêne du stéréotype de la future femme au foyer qui n’a jamais travaillé et ne connaît rien au monde. C’était mon angoisse, je n’avais pas envie d’être comme cela, et je voulais être reconnue pour mon expérience professionnelle. Du coup, je me suis d’abord orientée vers l’entreprenariat social en faisant des stages dans ce domaine-là.
Finalement, je me suis rendu compte que ce que j’aimais le plus, c’était transmettre, éduquer, ouvrir le cœur des enfants. La réalité m’a rattrapée ! Je me suis donc posé la question de devenir professeur. C’est finalement en découvrant le projet Espérance Banlieues que j’ai eu un énorme coup de cœur et que j’ai fait le pas de choisir cette voie-là.
Si j’avais envie d’avoir un emploi qui me challenge vraiment d’un point de vue personnel, j’avais aussi envie d’être sainte et je voulais être au service des autres. J’avais peur d’être dans un emploi où l’aspect technique prendrait trop de place et de passer ainsi à côté des relations humaines au quotidien, qui sont pour moi le lieu de sanctification. Par ailleurs, le projet de la Fondation Espérance Banlieues a un message de fraternité très fort à passer à la société, dans lequel je me suis complètement reconnue.
Quelles sont les particularités du cours Antoine de Saint-Exupéry ?
Comme dans toutes les écoles hors-contrat de la Fondation Espérance Banlieues, le primaire et le collège forment une entité unique. Cela dit, dans notre école, il y a deux plans. Il y a le plan de la classe qui peut être semblable à ce qu’on trouve dans toutes les écoles. Et puis il y a cette dimension « école » qui, pour nous, est très importante, parce que l’école forme une communauté dans laquelle chaque enfant doit trouver sa place pour être heureux. Il faut que chaque enfant ait envie de venir à l’école et c’est dans cette communauté-là qu’il va apprendre le « vivre-ensemble », malgré les nombreuses différences de religions et d’origines qui caractérisent les élèves de notre école.
Quelle est votre pédagogie ?
Il n’y a pas de pédagogie particulière, mais nous nous inspirons de tout ce qui marche : méthode Singapour, syllabique, Montessori, etc. Nous avons pour principe d’insister sur les fondamentaux français, maths, histoire en primaire pour consolider les acquis des enfants qui ne parlent pas toujours français à la maison et n'ont pas l'occasion de bien connaître la culture française.
Les professeurs sont appelés professeurs-éducateurs. L’accent est mis sur la continuité et la cohérence de l’éducation. Chez nous, le professeur fait la classe le matin, fréquente ses élèves sur la cour de récréation, prend les repas avec ses élèves, etc.
Dans la vie de l’école, les élèves sont répartis par équipes inter-âges. Nous cherchons à y recréer la structure familiale. Le but, c’est de réussir à vivre ensemble. Les élèves prennent leur repas de midi en équipe, chacun tirant son repas de son sac.
Pendant le repas, on apprend à ne pas se lever, à discuter à table, etc. À la fin on fait des jeux : pictionary, touché-coulé, batailles navales, devinettes. On apprend alors passer un bon moment ensemble simplement avec presque rien, ou même sans rien. Le temps de midi est aussi un moment de célébration des anniversaires ou autre. C’est un temps important d'unité dans la vie de l'école.
Quatre fois par semaine, il y a une assemblée dans la cour avec le lever des drapeaux français, européen et du drapeau de l’école. Pour chaque lever, nous chantons l’hymne correspondant. C'est un moyen qui aide les enfants à s'enraciner dans ces trois communautés : l’école, la France et l'Europe. L'assemblée c'est aussi le moment de parler de l'idéal de l'école, de ce qui nous rassemble. Il ne suffit pas de dire à un enfant : « travaille, travaille, travaille ! ». Ce qui porte du fruit c’est de lui montrer où on veut l’emmener, où se trouve son bonheur, pour qu'il comprenne que le seul moyen d’y arriver, c’est d’accepter l’effort, d’accepter de sortir de soi-même et de travailler.
Les professeurs félicitent tous les jours des enfants, qui font des efforts pour appliquer les « règles d'or » du Cours et qui lèvent alors les drapeaux. Ceci témoigne que ce qui unit ces trois communautés c'est notre attachement à des valeurs communes, le service et la fraternité. Lorsqu'un enfant est récompensé pour un effort, cela montre que ces valeurs ne sont seulement des idées abstraites, mais que chacun cherche à les incarner dans la vie quotidienne.
Si l’instruction est essentielle, elle n’est pas l’unique but de notre école.
Quelles sont les difficultés rencontrées pendant cette première année ?
Il y a plusieurs difficultés. La première c’est de responsabiliser les grands. Les petits sont tout de suite entrés dans cette ambiance de l’école. Les petites redoutent une exclusion, non pas à cause d'un sentiment de honte, mais parce qu’ils ne veulent pas manquer un événement de l’école pendant la journée d’exclusion. Les enfants du primaire comparent l'école à une famille. Le défi c'est de responsabiliser les adolescents. Ce n’est pas parce qu’ils sont nommés chefs d’équipes qu’ils vont se responsabiliser ipso facto, ce n’est jamais gagné. Le besoin urgent pour les adolescents c’est de leur laisser une plus grande autonomie, de les responsabiliser, sans quoi nous nous trouvons en porte-à-faux avec eux, et dans la confrontation du jeune qui se révolte contre l’autorité. Si on veut éviter cela, il faut beaucoup de lieux, où ils puissent se donner, être reconnus pour leur utilité. Ils peuvent par exemple être responsables d'organiser les cours de sports des petits.
Nous avons eu une deuxième difficulté par rapport à certains parents qui ont été très « consommateurs », mais si les parents ne sont pas avec nous, nous avons finalement que très peu de moyens d’éduquer les enfants. C’est un autre point essentiel que de réussir à gagner la confiance des parents, qu’il y ait un véritable engagement de la part des parents.
Malgré cela, il faut dire que cette première année a été très positive.
Quels sont les jeunes d’aujourd’hui ?
En ce qui concerne les jeunes de notre école, mes élèves de huit ans. Un des principaux aspects, c’est qu’il y a un vide culturel profond. Ce n’est sans doute pas récent, mais cela arrive de plus en plus jeune : ils sont de plus en plus confrontés à la télévision, il y a de plus en plus d’écrans dans leur vie.
Pour certains parents, nous avons demandé de manière répétée d’arrêter la télévision, et nous avons eu des enfants qui sont réveillés, qui étaient des robots et qui se sont épanouis d’une manière extraordinaire. Il y a sûrement plusieurs facteurs favorables à leur épanouissement, mais ceci en est un important. Nous avions un enfant qui « zonait » littéralement en classe, et puis la maman à progressivement réduit le temps quotidien passé devant la télévision. C’est un garçon qui s’est éveillé, a commencé à se donner en sport, arrive enfin à tenir son stylo, et arrive à écrire, chose qu’il n’arrivait pas à faire au début de l’année. Une autre fille de CM2 ne pouvait pas regarder quelqu’un dans les yeux. Elle regardait sans cesse le sol, avait un regard terne, et restait sans expression. Elle a découvert la lecture et décidé de lire. Elle s'est ouverte au monde. Sortie d'un comportement passif, elle a connu un déblocage intellectuel impressionnant, ce qui lui a aussi permis d'avoir enfin plus d'amis et de jouer avec les autres.
Il y a un vraiment un enjeu aujourd’hui à apprendre aux enfants le travail bien fait, la joie de l’exigence. Cela est vrai pour tous les enfants. Si l'enfant n'a pas appris à aller au-delà de lui-même, dès qu’il y a une difficulté, c’est l’explosion de colère et de peur, parce qu’il a peur. Ceci amène les enfants à être très agités.
Que veut dire éduquer ?
Permettre à la petite graine de devenir la belle plante qu’elle doit devenir.
Propos recueillis par Vincent Billot