Marguerite Gentzbittel, ancien proviseur du Lycée Fénelon, auteur d’un best-seller sur l’éducation publié à la fin des années 1980, est décédée à l’âge de 81 ans.
Nous sommes en 1988. La « guerre scolaire » à peine achevée avec la victoire des partisans de l’école libre, la France s’enflamme à nouveau sur les problèmes éducatifs. Jean-Pierre Chevènement a promis de mener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, au grand dam des défenseurs du prestigieux diplôme : l’école doit former des professionnels, disent les uns, elle doit enseigner des savoirs, disent les autres. Le ministre Devaquet est tombé en 1986 après avoir mis lycéens et étudiants dans la rue contre son projet de sélection à l’entrée de l’université. Le monde éducatif se déchire entre « pédagogistes », sensés vouloir centrer l’école sur l’élève et tenants de l’instruction traditionnelle centrée sur les savoirs. Lionel Jospin, nouveau ministre de l’Education Nationale en 1988, amène dans ses bagages son conseiller Claude Allègre, déjà enclin à vouloir « dégraisser le mammouth » éducatif. Un an plus tard, c’est l’interminable feuilleton du port du voile à l’école qui commencera dans l’Oise.
C’est dans ce contexte incertain que le pays s’entiche d’une petite femme au sourire bienveillant, toujours vêtue d’une robe à fleurs, qui parle avec bon sens aux parents de leurs adolescents en pleine crise. Marguerite Gentzbittel, il est vrai, n’est pas n’importe qui. Fille d’un cheminot et d’une femme de ménage de Belfort, elle est un pur produit de la « méritocratie républicaine » et un symbole fort de la promotion des femmes : normalienne et agrégée d’anglais, elle est proviseur du Lycée Fénelon à Paris. Cet établissement n’est pas encore aussi connu que ses prestigieux voisins Henri IV et Louis-le Grand – c’est un ancien lycée de filles – mais Fénelon fait quand même partie de l’élite des grands lycées parisiens. Son emplacement, rue de l’Odéon, va être vite repéré.
Son livre, Madame le Proviseur[i], devient rapidement un best-seller. Elle est invitée à Apostrophes, l’émission phare de Bernard Pivot, et à l’Heure de Vérité de Paul-Henri de Virieu. Elle est sollicitée sur toutes les antennes, donne des conférences, décrypte pour le public Le cercle des poètes disparus qui vient de sortir en salle. Elle est LA spécialiste de la jeunesse lycéenne. « Marguerite, éduque-les à notre place ! » titre un grand hebdomadaire. Ses livres inspireront une série télévisée.
Pourtant, elle ne dit rien d’extraordinaire. Elle n’emploie jamais le jargon éducatif à la mode. Elle se vante même de n’avoir pas d’idées générales sur l’éducation et en tirera argument pour refuser les postes prestigieux qu’on lui propose, inspection générale ou direction au ministère. C’est que la dame a du caractère et ne se cache pas d’aimer le pouvoir, fut-il sur un espace limité et exercé depuis un minuscule bureau. Célibataire, elle se contente d’observer les ados avec bienveillance, de conseiller aux parents de lâcher du lest sur leurs lubies passagères et de tenir bon sur l’essentiel. Au moment où la génération issue de 1968 est en quête de repères pour éduquer ses enfants, elle offre une image d’autorité rassurante pour les parents et les enseignants. Ses détracteurs objectent qu’elle joue sur du velours, les jeunes qui habitent le Quartier Latin n’étant pas particulièrement représentatifs de la jeunesse française, notamment de celle des banlieues qui commence à faire parler d’elle. Marguerite n’en a cure : un jeune est toujours un jeune, et on peut aussi avoir des tendances suicidaires dans le 6e arrondissement.
Parmi ses collègues chefs d’établissement, elle suscite un peu d’envie parmi ceux qui ont couché leur expérience sur le papier avec un vocabulaire plus professionnel. D’où lui vient donc ce charisme et cette popularité ? Son prénom champêtre et ses robes à fleurs n’expliquent pas tout. Marguerite Gentzbittel l’a laissé supposer dans son premier livre, elle le confirme une fois à la retraite dans La foi du charbonnier[ii] : outre un solide bon sens, le « moteur de son action et de sa vie », c’est sa foi catholique. La foi qui lui faisait regarder son prochain avec les yeux de Jésus, son compagnon de chaque jour. Le secret de Marguerite, c’était l’amour.
Elle s’était tue depuis longtemps. Elle consacrait son temps à l’association des amis de l’abbaye cistercienne de la Grace-Dieu, dont elle était présidente. Dans un de ses livres, elle écrivait : "Nous avons la chance de travailler avec des gens qui vont vivre après nous, qui vont vivre longtemps. Ce banal constat leur procure des droits et nous créé des devoirs." En ce temps de pessimisme accentué, nous avons bien besoin d’ un tel message d’espérance.