Si Daesh n’est pas l’islam, pourquoi les autorités ne prononcent-elles pas un Takfir, une exclusion de l'oumma ? Les musulmans sont divisés sur ce point. Les uns, comme le grand Imam d'Al-Azahr, autorité sunnite du Caire réputée modérée, venue rencontrer le pape au Vatican en mai dernier, voient en Daesh une déviance qui ne touche pas à l’intégrité des professions de foi musulmanes. Les autres demandent qu'un jugement clair et définitif à l'encontre de l'Etat Islamique soit émis de la part des savants. Mais cela reviendrait à prendre position concernant l’interprétation des sourates dont Daesh se sert pour justifier ses actes. Le journal libanais An-Nahar s’est penché sur cette question. Voici la traduction de quelques extraits.
Une mise à l’index politique plus que religieuse
Daesh a déjà été exclu à travers une Fatwa par des savants islamiques de la doctrine Salafiste, ceci en Arabie Saoudite. Mais cette Fatwa est loin de faire circuler une interprétation différente des textes – ce qui a été critiqué par beaucoup d’observateurs. La tentative se réduit donc à une exclusion purement politique, opérée par l’Arabie Saoudite dans sa lutte interne contre Al-Qaïda. Ainsi, le Mufti de l’Arabie Saoudite, le cheikh El Aziz Al-Cheikh a déjà décrit Daesh comme « un des groupes extérieurs qui n’est pas compté dans l’islam, ni dans ses adhérents, mais une extension des Kharijites » (secte déviante de l’islam, ndt) (…). Cette exclusion, Al-Azhar, reconnue pour son attitude modérée, ne l’a pas suivie. Ce qui a créé une tension à plusieurs niveaux : d’une part, il est facile de trouver par internet, dans la presse saoudienne, des critiques contre Al-Azhar à cause de sa non-exclusion de Daesh. Et d’autre part, un conflit oppose Al-Azhar à des intellectuels égyptiens, ces derniers critiquant l’attitude du grand Imam : ils dénoncent la facilité avec laquelle il a prononcé des exclusions vis-à-vis de certains artistes et écrivains égyptiens, et la difficulté qu’il a à condamner Daesh par une mise à l’index.
Il n’est pas possible d’exclure Daesh de l’islam
Le Cheikh d’Al-Azhar, le docteur Ahmed Al-Tayeb répond : « pour exclure quelqu’un, il est nécessaire que ce dernier sorte de sa foi, renie sa foi dans les anges, les livres de Dieu (Torah, Evangile, Coran). Il est dit : "Ne vous sortira de votre foi que le fait de nier le contenu qui a fait que vous aviez adhéré à cette foi" ». Pour appuyer son point de vue selon lequel il est nécessaire de punir les membres de Daesh, comme « corrompus sur terre », et non de les exclure, le cheikh a cité ce verset du Coran : « La sanction de ceux qui combattent contre Dieu et son prophète, et qui cherchent la corruption sur terre, sera d’être tués ou crucifiés ou que leurs mains ou pieds soient coupés ». Il disait également qu’Al-Azhar ne peut accuser une personne d’apostasie tant que cette personne croit en Dieu, même si elle a commis toutes les horreurs. Il a donc affirmé clairement qu’il est impossible d’exclure Daesh, bien qu'il les juge comme des « corrompus sur terre ».
L'EI est fidèle à l'islam, mais corrompu
Pour se pencher sur différentes visions de l’islam à propos de l’exclusion, An-Nahar a interviewé Sayyed Jaafar Fadlallah (fils de Mohammad Hussein Fadlallah (1935-2010), chiite considéré comme le chef spirituel du Hezbollah, ndt) qui a défini l’exclusion comme « quelque chose de relatif » : « Daesh confesse sa foi au prophète Mahomet et à Dieu, expiant autrui. Ce groupe s’appuie sur une lecture déformée de l’islam, la transformant en pratique d’un comportement criminel. Les deux professions de foi en islam sont comme la nationalité du musulman. Si par exemple un français tue, sa nationalité lui sera-elle retirée ? » Sayyed Jaafar continue en rappelant la nécessité de « se concentrer plutôt sur le fait de voir comment mettre un terme à la corruption sur terre, dont l’action de Daesh fait partie, et en conséquence, de voir comment l’islam punit ces comportements meurtriers plutôt que de se poser la question de l’exclusion. Sinon, les centres de recherche plongeraient dans des discussions doctrinales à n’en plus finir ; discussions qui nous éloigneraient de notre devoir de confesser que la vérité des solutions dans la région est ‘politique’ par excellence. Finalement, décider d’exclure Daesh ou pas n’est pas vraiment le cœur du problème et ne changera absolument rien. Mais l’importance réside dans le fait de démanteler ses organisations intellectuelles, financières et fonctionnelles ».
La possibilité d'une exclusion partielle
De son coté, le directeur général du Waqf Islamique (oeuvre humanitaire, ndr) à Dar el Fatwa au Liban, le Cheikh Hicham Khalifeh dit à ce propos : « Nous ne voulons pas prendre le rôle de Daesh : il ne faut pas absolutiser l’exclusion d’un groupe ou d’une confession sauf si eux-mêmes renient leur foi musulmane publiquement. Daesh pose des actes corrompus, et là il faut juger ces actes. L’exclusion en soi, c’est le refus de l’islam et son reniement, le quittant. Mais les actes de Daesh nous pouvons les décrire par l’exclusion partielle, comme des actes étrangers à l’islam. N’est compté comme exclu que celui qui annonce le reniement de sa foi musulmane. Dans le cas où il existe aussi des actes et des paroles qui vont à l’encontre des bases de la foi, ceux qui les pratiquent doivent être repris. Et si une fois repris, ils refusent de changer, un verdict légal sera prononcé par le juge contre eux. Mais cette question d’exclusion doit être étudié individuellement et non communautairement sauf si Daesh, en tant que groupe, confesse publiquement le reniement de sa foi musulmane ».
Cependant, Khalifeh donne l’exemple de la Fatwa pronnoncée contre les francs-maçons par l’Académie Islamique Fokeh à Jaddah dans les années 70. Il affirme qu’elle pourrait être aussi prononcé contre Daesh. Cette Fatwa disait : « La personne qui adhère à ces groupes, tout en connaissant ses buts qui vont à l’encontre de la religion, cette personne a renié l’islam véritable. Il faut aussi considérer que ces groupes et organisations combattent Dieu et son Prophète. Tous ceux qui en font partie, conscients des buts de ces organisations, sont des apostats de la religion musulmane et il est interdit de traiter avec eux. Tout rapport avec eux sera reconnu comme trahison. Il ne faut pas accorder une trêve ou une entente avec eux. Et tous ceux qui sont tués en les combattant seront comptés pour de vrais martyrs (terme utilisé par les musulmans pour désigner la mort d’un djihadiste, ndr) ».
Tdc : C'est un fait que la plupart des musulmans récusent les agissements de Daesh. Mais au delà des bons sentiments et des opinions rapides, une question leur est aujourd’hui posée : Daesh appartient-il à l’islam ? Si la réponse est non, pourquoi les savants de l’islam ne se prononcent-ils pas vraiment sur l'exclusion du groupe ? Si la réponse est oui, une autre question se fait jour. Le pape François a rencontré le grand Imam d'Al-Azhar le 23 mai dernier et multiplie les déclarations conciliantes dans l'espoir, selon toute apparence, de soutenir un sunnisme modéré. Or, pour cette haute autorité musulmane, les membres de Daesh sont de vrais musulmans dont le tort est d'agir mal – « individuellement », si l'on en croit le Cheikh Hicham Khalifeh. Cela revient à ne pas condamner l'idéologie du groupe tout en déplorant ses dérives fanatiques. Il y a donc plus urgent que la question pointilleuse de l’exclusion, c’est le fait de garantir une interprétation différente des textes coraniques utilisés par Daesh pour justifier les horreurs perpétrées au nom de l’islam. Sans ce dernier pas, il sera illusoire de prétendre endiguer la radicalisation tandis que l'espoir que l'occident place dans la solution d'un islam pacifiste se justifiera difficilement.
Merci de nous donner accès à cet article qui met en évidence la problématique cruciale devant laquelle Daesh semble mettre le monde musulman ainsi que les démocraties occidentales. Regarder simplement la réalité permet aux hommes de bonne volonté – musulmans ou non – de chercher le bien et de se positionner en conséquence. La réalité est dure, mais l'homme à vocation à l'assumer et à la transfigurer, même au prix du martyr (celui qui meurt innocemment pour sa foi, et non le soldat du djihad, précision faite eut égard à la confusion sémantique régnante). Une telle démarche impose le respect.
Il fallait des journalistes libanais, en contact réel et pondéré avec ces questions, et pouvant écrire dans un arabe littéraire (celui du coran), pour traiter aussi bien un tel sujet. Là-bas, on peut interroger de vrais musulmans qui font autorité et qui peuvent dire honnêtement les choses telles qu'elles sont chez eux.
On est loin des dialectiques sécuritaires parasites comme celle du burkini. A ce sujet, je m’interroge sur cette manie de laisser traîner sur les plages des seins et des fessiers oublieux, sans qu'il y ait eu aucun préliminaire pour le justifier… Dans un contexte aussi distrait, je comprends assez que des femmes consciencieuses (qu'elles soient musulmanes est ici très secondaire) n'aient pas envie de se déballer sur le sable brûlant.
Mais, voyez-vous, la République, môssieur, au nom de son devoir le plus sacré, vous enjoint de vous baigner en string. Bientôt, elle annoncera la couleur : léopard, zébré, à paillettes, avec bretelles en cuir, avec une plume d'autruche… comme on le voit de plus en plus dans ces parades qui égaient les rues de nos villes et aucours desquelles il n'est pas montré que la meilleure face du monde…
Il est par ailleurs assez cocasse que la Fatwa invoquée pour inspirer une condamnation partielle de Daesh et qui pourrait innocenter l'islam aux yeux de l'inquisition européenne libertaire, est précisément celle qui jette un anathème sans jésuitisme sur les francs-maçons… Comme quoi, les petites différences culturelles inhérentes à la rencontre de l’autre en tant qu’autre ne sont pas à minimiser dans ce dialogue tendu (comme un string).
Pour se faire bien voir, les autorités sunnites ont donc du fil de string à retordre… Cela risque de prendre plus de temps que prévu…
Quand bien même une autorité musulmane , Al Azhar par éxemple, prononcerait l'exclusion de Daesh de l'oumma, quel effet cela aurait-il ? Limité probablement: l'islam n'est pas une religion organisée comme le catholicisme, mais une nébuleuse. En soulignant qu'il ne peut exclure Daesh sans interpréter le Coran, le recteur montre bien les limites de la compétence des ulémas.