Home > Musique, Danse > Le requiem du défi

C'est l'histoire d'une interprétation historique du Requiem de Verdi dans le ghetto de Theresienstadt. Murry Sidlin, président de la Defiant Requiem Fondation, dirigeait le 20 septembre dernier dans la prestigieuse Konzertaus de Vienne l’orchestre Wiener Akademie ainsi que le Chœur Philharmonique Tchèque de Brno pour la création d’un Requiem de Verdi original, dont le propos était de raconter l’histoire de Raphaël Schächter. Ce dernier fit chanter le Requiem à Theresienstadt entre 1943 et 1944. C'était pour lui un acte de résistance. Durant le concert, la musique était intérrompue par des témoignages de survivants, des images d'archives et des lectures de correspondances. Cette mise en scène ainsi que la qualité de l'interprétation nous faisait découvrir la mission unique de ce chef de choeur traversé par une certitude. 

« Nous chanterons aux nazis ce que nous ne pouvons pas leur dire ». C’était la conviction profonde de Raphaël Schächter (1905-1945), diplômé du conservatoire de Prague, lorsqu’il décida de faire chanter le Requiem de Verdi à un chœur de prisonniers du ghetto de Theresienstadt. Utilisant une partition de contrebande et n’ayant à sa disposition qu’un seul piano, il fera chanter ses 150 choristes plus de 16 fois entre 1943 et 1944.

Le Requiem de Verdi ainsi que le texte latin semble symboliser la tragédie, la souffrance et la supplication de son peuple. Lorsqu’il en prendra conscience, cet homme charismatique dans la force de l’âge sera obsédé par une idée fixe : jouer le Requiem coûte que coûte. Cela s’identifie à ce point à une mission que les choristes survivants ne trouveront pas d’autres mot que celui « d’obéissance » pou décrire la manière dont il s’acquittera de sa tâche.

Raphaël Schächter
 

Mais une telle certitude n’ira pas sans opposition de la part de sa communauté : interpréter une œuvre catholique revenait à s’excuser d’être juif. Il ne manquait d’ailleurs pas d’œuvres faisant référence à l’Ancien Testament. Pourquoi une messe ? Pourquoi le Requiem ? Le conseil du ghetto s’oppose.

Raphaël demeure imperturbable. Il est habité par cette musique et par ce texte. La violence de la musique, sa douceur souvent, et à certains moments, sa joie, tout semble exprimer le drame de Theresienstadt tout en l'éclairant d'une lumière aussi nécessaire que le pain, qui manquait d'ailleurs cruellement. Il faut chanter.

Les choristes survivants témoignent. Sous sa direction, il ne leur semble pas interpréter une œuvre du passé, il semble plutôt qu’elle est en train d’être créée, qu’elle est jouée pour la première fois. Pour eux, le Requiem de Verdi est une œuvre du Ghetto de Teresienstadt, crée sous la houlette du prophète « Raphi ». Ils sont transportés par la joie étrange du Sanctus, ils forment une communauté qui expérimente d'abord pour elle même ce qu’elle devra transmettre aux auditeurs. La musique leur fait vivre une expérience de salut.

De fait, pour les habitants du ghettos, le Requiem agira comme un baume. En exprimant librement les passions de leurs cœurs, il ouvrira une issue vers une lumière insoupçonnée. Il leur permettra de retrouver leur dignité perdue et leur donnera accès aux sources de la joie. En les rendant à leur humanité, elle leur permettra de trouver la force de tenir debout au cœur de la tragédie. La musique devient alors le signe d’une mystérieuse présence qui accompagne chacun dans son chemin de Croix, le signe d’une miséricorde.

Les nazis sont conscients du pouvoir de la musique. Ils réaliseront en 1944 un film de propagande : « Le führer a donné une ville aux juifs ». On y présente le ghetto sous un jour idéal, il s’agit même, à en croire les images, d’un paradis terrestre. A l’occasion de la déportation d’environ 470 juifs du Danemark, la Croix Rouge viendra inspecter la ville. Les nazis organisent un concert le 23 juin 1944 pour donner le change. Raphaël Schächter doit jouer sous la contrainte.

Mais n’est-ce pas l’occasion rêvée d’aller au bout de cette mission ? Les ennemis doivent entendre ce message.

Photo de l'interprétation du Requiem de Verdi à Theresienstadt durant la dernière performance du 23 juin 1944.

Malgré les contraintes et un nombre insuffisant de choristes, cette représentation restera gravée dans les mémoires des survivants comme la plus marquante de toutes, la plus douce aussi, étrangement. Raphaël Schächter avait conduit ce petit peuple de chanteur au point culminant de son témoignage. Cette représentation sera d’ailleurs la dernière.

Un officier SS ironise : « ces idiots de juifs chantent leur propre Requiem ! ». Paroles semblables à celle du grand prêtre Caïphe prophétisant malgré lui. En effet, au delà de l’amertume et du défit, cette œuvre ouvrait les chemins du ciel. On y découvre que la joie éternelle est concédée au pauvre et à l'opprimé qui s’en remet à Dieu. Elle annonce aussi le terrible jugement à celui qui s’obstine dans le mal.

Quatre mois plus tard, le 16 Octobre 1944, Schächter avec une bonne partie du chœur seront déportés à Auschwitz. La plupart seront tués immédiatement. Raphaël survivra quelque temps pour mourir au printemps 1945, à l’âge de 39 ans, un mois avant la libération.

A la fin du concert, une affirmation est formulée : « la question n’était pas pour nous de savoir où était Dieu, mais où était l’homme ». Une minute de silence sera observée par le public. Ce n’était pas seulement un concert, mais une leçon de vie. L'art devenait l'expression de la compassion de Dieu pour les hommes. Il leur donnait aussi la possibilité de conserver leur dignité. Tenus au silence, ils pouvaient ainsi transfigurer l'oppresion. La musique de Verdi les faisait entrer dans un chemin de véritable obéissance, qui devenait dans ce contexte, une résistance : « Nous chanterons ce que nous ne pouvons pas leur dire ».

Informations sur le film Defiant Requiem 

Ecouter ici le Requiem de Verdi dirigé par Daniel Barenboim à la Scala en 2011. 

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